Quitter une situation de violence conjugale n’est jamais facile. C’est d’autant plus vrai si la victime y perd toute sécurité matérielle. Plusieurs dispositions légales – pension alimentaire, séparation des biens acquis pendant l’union, etc. – protègent les conjoints mariés, mais pas les conjoints de fait. Au Québec, où ce type d’union jouit d’une grande popularité, les choses s’avèrent souvent très compliquées pour les conjointes de fait victimes de violence qui souhaitent refaire leur vie.
C’est le constat auquel arrive Johanne Elizabeth O’Hanlon, avocate montréalaise spécialisée en droit de la famille, après avoir étudié les différences entre couples mariés et couples en union de fait en cas de séparation, à la suite de la célèbre affaire Éric v. Lola entendue par la Cour Suprême en 2012-2013. En union de fait, aucune disposition, ou presque, ne protège les époux. O’Hanlon en conclut qu’au Québec, plusieurs femmes en union de fait doivent faire le choix entre sécurité et pauvreté.
Au nom de la liberté individuelle
Pourquoi les conjoints en union de fait n’ont-ils pas les mêmes droits et obligations l’un envers l’autre que les couples mariés? L’auteure explique que le jugement de la cause Éric v. Lola s’appuie sur la liberté de choix des individus. En choisissant de ne pas se marier, les conjoints feraient le choix éclairé de renoncer à ces droits et obligations. Une interprétation absurde, selon O’Hanlon. En optant volontairement pour une union de fait, les conjoints renoncent, du même coup, à la pension alimentaire pour époux ainsi qu’à la division équitable de la résidence familiale et des biens acquis durant l’union. L’auteure est plutôt d’avis que les conjoints en union de fait ne sont pas au fait des risques associés à leur statut. Dans un contexte de violence conjugale, cette absence de protection complique encore plus la situation pour la victime, qui risque carrément de tout perdre.
Quitter un enfer pour un autre?
La littérature scientifique a clairement démontré que les femmes, même mariées, sont souvent en position d’infériorité économique par rapport à leur conjoint. Les droits et obligations matrimoniaux prescrits par le Code civil du Québec tentent de contrebalancer ces inégalités, mais ces dispositions, telles qu’expliquées précédemment, ne s‘appliquent pas aux conjoints de fait. Au nom de la liberté de choix, ce sont donc 1,2 millions de femmes qui risquent de se retrouver dans une situation précaire si elles décident de quitter le foyer. La pauvreté guette plusieurs d’entre elles. Doivent-elles quitter un enfer pour un autre?
Une analyse de cas qui parle d’elle-même
Pour démontrer l’injustice et l’absurdité de la situation, l’auteure analyse un cas-type. Le couple est uni depuis 15 ans, avec deux enfants. La femme a sacrifié sa carrière pour prendre soin des enfants et s’occuper des tâches domestiques. Au moment du divorce, l’homme gagne 50 000 $ par année alors que la femme est sans salaire depuis longtemps. À la suite du divorce, la femme assure la garde des deux enfants. L’auteure explique comment la Cour traiterait cette affaire, selon la différence de statut.
Tableau 1. Étude de cas des différences entre couples mariés et en union libre
Pour mieux protéger les femmes violentées
Les conjoints vivant en union de fait n’ont pas les mêmes droits et obligations que les couples mariés. Dans l’arrêt Éric v. Lola de 2012, la Cour suprême a statué que les époux en union de fait renoncent « volontairement » à leurs droits et obligations. Ils choisiraient donc de ne pas être protégés par la loi. Le Québec est la seule province canadienne n’offrant aucune protection minimale aux conjoints de fait, bien que ce soit ici que ce type d’union de fait est le plus répandu : 34,6 % contre 13,4 %, en moyenne, dans le reste du Canada. Toute personne devrait pouvoir se séparer de son conjoint violent sans avoir à craindre les répercussions économiques de cette décision. Pour soutenir ces femmes, selon l’auteure, Québec devrait étendre l’application des droits et obligations matrimoniaux aux couples en union de fait.