Les gens des régions se plaignent parfois que leur réalité est mal connue et peu prise en compte par les citoyens des grandes villes du Québec. En matière d’immigration, force est de leur donner raison : la majorité des recherches sont en effet effectuées dans la métropole montréalaise. Pourtant, de plus en plus de familles immigrantes s’installent hors de Montréal, dans des villes régionales où la réalité diffère grandement de celle de la métropole. De même, très peu de recherches se sont intéressées spécifiquement au rôle de l’école auprès des jeunes immigrants et de leurs familles dans un contexte régional.
Dans cette revue de littérature, les chercheuses revisitent les études scientifiques ayant porté sur les relations entre famille et écoles au Québec entre 1993 et 2011. Au total, 78 recherches ont été analysées. De ce lot, 38 abordent spécifiquement le cas des familles immigrantes. Neuf travaux ont porté sur la ville de Sherbrooke.
L’analyse des chercheuses démontre que les études généralisent leurs constats à l’ensemble de la province, sans tenir compte des spécificités de chaque région (histoire et taux d’immigration, caractéristiques de la population immigrante, etc.). L’influence du contexte local sur les relations des familles immigrantes avec l’école de leur enfant est donc peu mise en évidence.
Les chercheuses dégagent six constats:
L’école de la vie québécoise
C’est à l’école que les jeunes immigrants rencontrent d’autres jeunes, toutes origines confondues, ce qui facilite leur intégration à la société québécoise. L’école et l’enseignant assurent donc un rôle de médiateur entre les différentes cultures. Grâce à eux, les élèves issus de familles immigrantes peuvent, d’une part, confirmer les connaissances déjà acquises sur la société québécoise et, d’autre part, acquérir de nouvelles références culturelles et sociales.
Selon les études, les enseignants perçoivent les parents immigrants comme étant moins outillés pour aider leur enfant dans leur cheminement scolaire, à cause de leur méconnaissance de la langue française ou du système scolaire québécois. Ainsi, l’institution scolaire assume souvent une double responsabilité, celle d’initier à la fois les jeunes élèves et leurs parents à la société québécoise. Ce constat souligne l’importance de la qualité de la relation entre les établissements scolaires et les parents immigrants.
L’enseignant comme pilier
L’enseignant fait plus qu’enseigner. Il fournit accueil et soutien aux jeunes immigrants et, par contrecoup, à leur famille. Face aux difficultés, l’enseignant peut épauler le jeune et devenir une figure significative, un « tuteur de résilience » .
Succès à l’école, succès familial
L’école est très valorisée par les parents immigrants. Ils espèrent que l’éducation permettra à leurs enfants d’accéder à des emplois prestigieux et d’atteindre un statut social enviable. La réussite scolaire de l’enfant est donc très investie par les parents; de cette réussite dépend celle du projet migratoire de la famille. Ce ne sont pas de petites attentes!
Pour réussir : la famille et le réseau
Le lien avec la famille, de même qu’avec les amis restés au pays ou vivant ailleurs, s’avère très important pour le développement identitaire des jeunes, ce qui apporte un impact positif sur la persévérance scolaire. Plusieurs études relèvent que l’engagement des familles est un facteur de motivation important pour le jeune afin de traverser les difficultés rencontrées à l’école et dans la vie en général.
Des difficultés de communication
Les études décrivent la qualité des relations entre les institutions scolaires et les familles immigrantes. Elles relèvent beaucoup de cas où il y a des tensions importantes. L’écart entre les attentes de l’établissement scolaire et celles de la famille, les difficultés de communication ainsi que le manque d’échange entre le personnel scolaire et les parents expliqueraient ces tensions.
Le manque d’exposition à la diversité
La réalité peut parfois être plus difficile pour les jeunes immigrants établis en région, selon certaines études. Par exemple, quelques études effectuées à Sherbrooke décrivent un clivage important entre les jeunes nés au Québec et les jeunes issus de l’immigration. Les jeunes natifs rejettent les jeunes immigrants en utilisant un discours exclusif marquant une frontière claire entre « eux autres » (les immigrants) et « nous autres » (les Québécois natifs).
D’autre part, les jeunes immigrants seraient eux-mêmes peu habitués à la diversité; l’homogénéité culturelle et linguistique est très présente dans les classes d’accueil sherbrookoises. Cette homogénéité est liée à certaines vagues d’immigration, i.e. l’arrivée massive de réfugiés provenant d’une même région du globe. Par exemple, la ville a accueilli de nombreuses familles afghanes en 2000, puis bhoutanaises en 2008.
Ce manque d’exposition à la diversité, tant chez les natifs que chez les immigrants, peut aussi engendrer une réticence des familles face aux échanges interculturels.
Et les futures recherches?
À la lumière de ces constats, les chercheuses estiment que les futures recherches sur ce sujet devraient prendre en compte les contextes spécifiques, régionaux et municipaux, afin de mieux cerner les réalités des communautés immigrantes locales. D’autres pistes de recherche pourraient aussi être explorées : par exemple, la satisfaction des attentes des parents immigrants face à l’école ; l’influence de la famille et des amis sur les choix scolaires des enfants; l’impact du manque d’exposition à la diversité chez les jeunes sur les relations entre les familles et les institutions scolaires, etc. Les villes de région sont aujourd’hui un terrain fertile pour explorer toutes ces questions.