À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Kévin Lavoie et Isabel Côté, «Tisser une trame relationnelle autour de l’enfant : les affiliations familiales en contexte de gestation pour autrui et de don d’ovules», publié en 2023 dans la revue Dialogue, vol. 239, no 1, p. 67-83.

  • Faits saillants

  • De plus en plus courantes au Québec, les ententes de procréation assistée telles que la grossesse pour autrui (GPA) et le don d’ovules bousculent les codes de l’affiliation familiale.
  • Même en l’absence de liens génétiques entre la femme porteuse ou donneuse et les parents d'intention de l’enfant à naître, une forte connexion émotionnelle, voire des liens familiaux symboliques, tendent à se développer au fil du processus.
  • Les rapports des femmes porteuses ou donneuses avec les enfants qu’elles ont aidés à concevoir varient grandement : certaines restent en périphérie tandis que d’autres adoptent volontiers le rôle de marraine ou de « matante avec un petit plus ».
  • Pour les femmes porteuses ou donneuses ayant déjà des enfants, déterminer quels liens devraient exister entre ces derniers et ceux issus de l’entente reproductive est parfois complexe.

Lorsque Mariana a proposé à Ingrid et François de porter leur deuxième enfant, ils étaient loin d’imaginer que cela redéfinirait les limites de leur cellule familiale. Or, même en l’absence de liens de parenté, le processus de procréation assistée les a tellement rapproché·e·s que leur amie Mariana est désormais considérée comme la « tantine » de leur petit William.

Grâce aux mesures innovantes prises par le Québec en matière de procréation médicalement assistée, la table est mise pour que d’autres histoires semblables fleurissent. Pourtant, bien que cette politique inédite élargisse les contours institutionnels de la famille contemporaine québécoise, les liens émotionnels et sociaux qui se nouent lors d’un processus de grossesse pour autrui (GPA) ou de don d’ovules restent peu documentés.

Afin de déterminer quels types d’affiliations familiales se développent autour des enfants nés d’un don d’ovules ou d’une gestation pour autrui et surtout, comment elles s’implantent, Kévin Lavoie et Isabel Côté, respectivement chercheur à l’Université Laval et chercheuse à l’Université du Québec en Outaouais, donnent la parole à celles qui sont au cœur de ces ententes altruistes. Pour ce faire, les auteur·e·s questionnent 38 femmes canadiennes dont 13 mères infertiles ou infécondes, 15 ayant porté des enfants pour autrui et 10 ayant donné des ovules de façon dirigée. En plus de révéler une grande variété d’expériences, leurs observations montrent que la nature des connexions qui se forment entre les adultes impliqués dans le processus est fortement tributaire de la complicité qui prend forme (ou non) au fil de la grossesse.

Faire famille au-delà des liens biologiques

Grossesse pour autrui ou don d’ovules, une chose est sûre : le recours à la procréation assistée bouscule les repères traditionnels! Sans oublier qu’il invite à repenser le vocabulaire utilisé pour décrire les figures parentales telles qu’on les connait. Dans cette situation, la mère, le père ou les parents d’intention – c’est-à-dire ceux et celles qui souhaitent agrandir ou fonder une famille – élaborent le projet et s’engagent à accueillir l’enfant à naître. Quant à la donneuse d’ovules, elle accepte de transmettre ses cellules reproductrices aux parents d’intention. La femme porteuse, elle, vit la grossesse puis l’accouchement, facilitant ainsi la réalisation du projet familial des futurs parents.

Parmi les participantes à l’étude, le constat est clair : les arrangements de procréation assistée pour autrui élargissent souvent le spectre des affiliations familiales. Bien sûr, quand la personne qui a aidé les parents d’intention à concevoir est déjà dans le cercle familial du couple, un lien de parenté est présent par défaut. Toutefois, même en l’absence d’un tel lien, la plupart des femmes interrogées mentionnent la formation de liens familiaux symboliques basés sur l’amitié, voire une forte connexion émotionnelle. D’autres encore, attribuent la consolidation de leur relation à l’adversité rencontrée au fil des expériences vécues en compagnie des futurs parents. C’est ce qu’a ressenti Marilyne, qui, alors qu’elle portait l’enfant d’un couple d’amis, s’est tenue à leurs côtés dans un moment de deuil :

« […] Moi, je me serais assise dans le fond de l’église, mais là j’étais taguée famille. On dirait que ça mettait un baume sur le cœur de tout le monde, le fait qu’il y avait un petit bébé qui s’en venait pour eux. On a passé une semaine là-bas. Ça nous a rapprochés beaucoup. Ça a changé un peu la mentalité de “Je suis juste une amie qui leur fait un enfant.” C’est devenu plus près encore, comme si ça nous avait soudés. »

Marilyne, femme porteuse

Trouver sa place quand les liens de parenté sont malléables

Le faire famille via la gestation pour autrui ou le don d’ovules diversifie grandement le nombre de configurations familiales possibles, bousculant au passage les modèles classiques de parenté.

À vrai dire, la plupart du temps, le cadre familial apparaît comme une entité adaptative, capable d’accueillir, mais aussi d’englober celles qui donnent la vie en cadeau. Mille et une nuances caractérisent les rapports qui se tissent entre la femme porteuse ou la donneuse, l’enfant qu’elle a aidé à concevoir, les autres adultes impliqués, ainsi que les fratries existantes ou en devenir (les enfants issus de la même porteuse ou donneuse, élevés dans différentes familles d’intention). Fluides et complexes, ces liens qui se transforment avec le temps sont tout sauf noirs ou blancs : ils existent sur un continuum. À une extrémité, la personne concernée préfère rester à l’écart après la naissance; à l’autre, elle adopte volontiers le titre de « matante spéciale » ou le rôle de marraine.

Cette variabilité dans l’organisation des relations soulève des questions importantes sur l’attachement et l’identité dans les familles formées en contexte de grossesse pour autrui et de don d’ovules. Les résultats de la recherche démontrent que la proximité émotionnelle est susceptible de se développer indépendamment de la présence de liens génétiques. Par exemple, les cas où les femmes porteuses continuent de jouer un rôle actif dans la vie de l’enfant et de sa famille. Il n’est pas rare que cette implication se mue en une relation sororale avec la mère d’intention et une relation complice avec les grands-parents du poupon.

« Pour le grand-papa [du bébé qu’elle a porté], je suis comme sa bru. Pour lui, on est tellement proches et soudés [les pères et elle] que ce n’est plus une question de mère porteuse. Il m’appelle toutes les semaines. C’est comme si j’avais un papa tout d’un coup qui s’inquiète pour moi. »

Marilyne, femme porteuse

Parmi les liens décrits dans l’étude, ceux qui concernent les propres enfants des participantes ou encore les membres actuels de la fratrie qui s’élargira sous peu sont susceptibles d’induire une certaine ambiguïté.

« Je ne parle pas vraiment d’elle comme de ma fille. C’est la fille de mes amis. Mais je parle d’elle comme de la sœur de [prénom de sa fille]. C’est comme un autre type de relations familiales que nous sommes en train de créer et c’est ce que je pensais que ça allait être depuis le début. Je ne pensais pas que cela correspondrait à un modèle reconnaissable. Je voulais faire quelque chose de nouveau » (traduction libre).

Kate, femme porteuse

Pour Marilyne, déjà maman avant de porter l’enfant, l’absence de formules de vocabulaire adaptées à sa réalité complique la définition des liens qu’elle bâtit. Il en va de même pour sa fille, qui peine à se situer par rapport à l’enfant que sa mère a mis au monde.

« Les mots me manquent […] On disait au début que ça allait être cousin-cousine, mais ça ne marchait pas pour ma fille. Elle en a, des cousins et des cousines… et ce n’est pas la même chose. Elle comparait les liens dans la famille et ça ne sonnait pas bien dans sa tête. Au début, j’ai proposé “frérot”, mais les gars [parents d’intention] n’aimaient pas ça. Je leur ai dit qu’il fallait trouver un autre terme, ma fille a besoin de trouver quelque chose de plus près [de sa réalité]. »

Marilyne, femme porteuse

Comment recevoir quand on a donné?

Des liens forts, marqués par le respect et la reconnaissance, unissent souvent celle qui permet la vie et les parents d’intention. Mais qu’en est-il des relations qui se manifestent entre ces dernières et les enfants issus de l’entente de reproduction assistée? Si l’on en croit les témoignages récoltés, la recette unique n’existe pas!

Par exemple, Geneviève, affectueusement surnommée « tatie » par les enfants qu’elle a portés, utilise Skype pour maintenir un contact régulier avec elles et eux et leurs parents.

« […] Je parle avec la petite sur Skype toutes les semaines, bien qu’elle soit encore jeune – elle a juste 8 mois, mais elle sait très bien qui je suis. Quand on allume Skype et que je lui lance : “Hi baby !”, elle part folle; les bras, les jambes, let’s go! Les gros sourires, elle me jase. C’est notre routine depuis qu’elle est venue au monde. »

Geneviève, femme porteuse

Vanessa, qui a porté l’enfant de son cousin, se perçoit quant à elle comme une « matante spéciale » tandis qu’Anaïs, qui a fait don de ses ovules pour la conception des enfants de son frère, porte le surnom affectueux de « matante poule ».

Malgré la relative légèreté entourant leurs récits, les donneuses et les femmes porteuses ressentent parfois une certaine ambivalence à l’égard du rôle qu’elles souhaitent occuper. Les accords initiaux peuvent évoluer, tout comme les attentes et la qualité des relations entre les parties impliquées. Pour celle qui veut garder une saine distance entre sa vie et celle de la famille qu’elle a aidée, un enjeu relationnel peut se présenter en raison du sentiment de dette que les parents d’intention entretiennent à son égard.

Si les nouveaux parents témoignent parfois de leur reconnaissance en désignant la porteuse ou la donneuse comme marraine, ce cas de figure est loin de s’appliquer systématiquement. Pour Patricia, qui se satisfait de l’amitié développée avec les parents d’intention, accepter une telle proposition est impensable. Et heureusement! Car le couple vit mal l’idée d’offrir ce titre par simple obligation et, incidemment, de l’imposer à sa destinataire.

« Je me suis toujours dit que je refuserais ce mandat-là. Elle [la mère d’intention] a dit : “C’est drôle que tu me dises ça, parce que quand tu étais enceinte on a failli te demander si tu voulais être la marraine, mais on te l’aurait demandé parce que… on se sentait un peu obligés.” »

Patricia, femme porteuse

Repenser la parenté et l’accompagnement des familles

Comme le révèlent les résultats de la recherche, les relations formées entre les parents d’intention et les femmes qui les aident à fonder leur famille sont profondément influencées par les interactions émotionnelles et les défis partagés tout au long de la grossesse. Les liens inédits qui se créent autour de l’enfant transcendent la définition classique de la parenté, même si cet effet est parfois moindre lorsque les adultes impliqués en décident ainsi.

Malgré tout, plusieurs zones d’ombre persistent quant à notre compréhension des dynamiques qui les régissent. D’une part, reconnaître la variété des expériences vécues par toutes les personnes impliquées dans l’entente, et créer des récits de don et de conception pour en faciliter la compréhension, est essentiel. D’autre part, la perspective des enfants nés d’ententes de procréation assistée avec autrui reste sous-documentée.

Finalement, l’étude indique que les intervenant·e·s soutenant ces familles doivent être préparé·e·s à fournir un accompagnement sur mesure, adapté aux expériences uniques de chaque partie. Pour soutenir leur démarche, la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux propose diverses ressources spécialisées.