L’immigration et le vieillissement de la population sont deux phénomènes richement documentés. Toutefois, peu de recherches ont traité des enjeux concernant la mort et le deuil dans les populations immigrantes, qui constituent pourtant près d’un cinquième (19 %) de la population canadienne[1]. Comment les immigrants installés au Québec et qui ont vécu la perte d’un proche vivent-ils le processus de deuil? Quel soutien leur apporte leur réseau social? Le deuil à distance est-il vécu différemment de celui d’un proche vivant dans le même pays?
Dans le but de mieux connaître le processus de deuil des migrants, des chercheures de l’UQÀM ont effectué une recension des écrits publiés tant au niveau local qu’international, et ont analysé les résultats de trois recherches qualitatives portant sur l’expérience de deuil d’immigrants récemment installés au Québec. Au moment de publier leur article, les auteures effectuaient une recherche-action sur le sujet, cette fois-ci en ciblant la région de Montréal.
Migrer, c’est mourir un peu…
L’immigration est synonyme de gains, comme une meilleure qualité de vie et un avenir prometteur, mais elle est aussi porteuse de plusieurs pertes (matérielles, relationnelles, etc.). Quitter la famille peut être un événement douloureux, que certains associent au deuil.
« Quand j’ai immigré, ça a été une perte pour ma famille. Je me rappelle le jour où ils m’ont accompagnée à l’aéroport, ça a été vraiment un deuil. C’est tout le monde qui pleurait! »
– Nedjma, originaire du Maroc.
La mémoire des objets
Le concept de mémoire familiale peut être utilisé pour mieux comprendre comment l’expérience du deuil. Cette mémoire constitue « l’ensemble des représentations et des relations familiales, tant présentes que passées, qui influent sur l’expérience de vie ». Toutefois, en contexte migratoire, la mémoire familiale peut devenir un devoir de mémoire, puisque des efforts accrus doivent être faits pour la conserver.
Des objets symboliques ayant appartenu au défunt peuvent raviver les souvenirs familiaux. Toutefois, pour les migrants, il peut être plus difficile d’avoir accès à ces objets. L’exemple de Latifah, originaire du Maroc, est évocateur. Cette dernière a toujours été très proche de son père. Peu de temps avant de mourir, ce dernier s’est mis à porter un chapeau traditionnel, le Tagiha. Lors de son voyage au Maroc, Latifah a récupéré le chapeau et, depuis, le garde sur elle en tout temps.
« Alors ça, c’est Tagiha, c’est un objet très, très important pour moi que je porte dans mon sac à main. Chaque fois que je change de sac à main, c’est la première chose que je mets dans mon sac. »
– Latifah, originaire du Maroc.
La famille : présente malgré la distance
Malgré l’éloignement géographique, les participants entretiennent des relations significatives avec leur famille et leurs proches. Ces liens se resserrent lorsque surviennent des moments dramatiques. Ces réseaux transnationaux sont une source de soutien et d’aide réciproque, tout particulièrement en ce qui a trait à la santé et au bien-être.
Dans le cas d’une diaspora, c’est-à-dire lorsque la famille est dispersée dans plusieurs pays, il est fréquent que la parenté se déplace pour offrir son aide. Héla, d’origine tunisienne, habite au Québec. Sa nièce habite aux États-Unis avec ses parents, et le reste de la famille habite toujours en Tunisie. Un jour, sa nièce est tombée gravement malade. Plusieurs membres de la famille, dont Héla, se sont alors rendus aux États-Unis pour offrir du répit aux parents. De plus, la communauté d’accueil a fait une collecte de fond pour payer les soins de santé de l’enfant.
La communauté d’accueil : une deuxième famille
La communauté locale est aussi une grande source de soutien, si bien que certains migrants considèrent leurs amis au pays d’accueil comme une deuxième famille. C’est le cas de Carmen, originaire du Mexique, qui est arrivée seule au Québec. Comme elle est de nature sociable, Carmen s’est rapidement construit un réseau d’amitié très dense. Lorsque son père est décédé, ses amis ont été omniprésents : plusieurs venaient la visiter à son appartement et sa boîte vocale a été inondée de messages.
« Ici, comme je suis seule, sans famille, ce sont mes amis qui prennent toute la place. »
– Carmen, 35 ans, originaire du Mexique.
Les auteures rapportent que « ces doubles réseaux [d’accueil et transnational] ne mettent pas les migrants en conflit d’allégeance, ils agissent plutôt de façon simultanée et complémentaire, apportant un soutien inestimable. »
Des rituels funéraires variés
Dans le cas où un proche décède au pays d’accueil, le deuil peut être compliqué par les difficultés, voir l’impossibilité de pratiquer certains rituels funéraires. Par exemple, l’utilisation obligatoire du cercueil peut s’avérer problématique pour certains musulmans, puisque leurs rites funéraires recommandent d’envelopper le corps dans un linceul avant de l’enterrer. De telles situations peuvent causer tout un choc culturel et affecter le bon déroulement du deuil.
Et en cas d’isolement?
En contexte de deuil, les proches du pays d’origine comme du pays d’accueil apportent un soutien inestimable au migrant. On peut se demander, toutefois, comment un migrant isolé vit le décès d’un proche. Puisque l’immigration est « familiale, permanente et amenée à vieillir et à mourir en terre d’accueil », les services sociaux et de la santé seront certainement de plus en plus sollicités pour intervenir dans le processus de deuil des migrants, et gagneraient à mieux connaître leurs besoins.
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[1] CIC (Citoyenneté et Immigration Canada). 2012. Canada Faits et chiffres. Aperçu de l’immigration : résidents permanents et temporaires, 2012, Ottawa, Gouvernement du Canada.