Le travail est au cœur des différentes politiques familiales développées par le gouvernement du Québec au cours des vingt dernières années. Plusieurs mesures ont été mises en place afin, surtout, de favoriser l’égalité de l’accès au marché du travail par les femmes : le développement du réseau des centres de la petite enfance (CPE, 1997), l’adoption du programme de Soutien pour enfants (2005) – une aide financière versée à toutes les familles ayant un enfant de moins de 18 ans – et la création du Régime québécois d’assurance parentale (2006). La politique familiale québécoise a donc beaucoup évolué depuis deux décennies, mais ses fondements philosophiques n’ont jamais été questionnés.
C’est l’avis d’Annie Cloutier, doctorante en sociologie et auteure de Aimer, materner, jubiler. L’impensé féministe au Québec, qui reproche le manque de profondeur du débat entourant la question de la politique familiale québécoise.
« Notre réflexion collective au sujet du rôle que peut jouer l’État afin que les membres des familles (adultes et enfants) puissent mener une existence riche, sereine et sensée, la plus humaine possible, a depuis longtemps été jetée aux oubliettes. »
Selon l’auteure, il ne faut pas tenir pour acquis que les parents ont tous comme aspiration de se réaliser à travers le marché du travail, qu’ils ont tous les mêmes compétences et les mêmes besoins. La politique familiale ne doit pas être seulement perçue sous l’angle des coûts/bénéfices et de l’augmentation de la présence des femmes sur le marché du travail.
« [La philosophie derrière une politique familiale juste] ne repose pas sur des croyances erronées en la suprématie morale d’une vie vouée exclusivement au travail rémunéré et en une égalité des femmes et des hommes fondée principalement sur le fait d’occuper un emploi rémunéré. »
Pourtant, selon les discours de l’époque, la politique familiale québécoise devait être développée dans le but de favoriser le partage des tâches domestiques, d’encourager la natalité et de veiller au bien-être des enfants, des parents et des familles. Aujourd’hui, l’intégration des femmes au marché du travail est brandie comme un signe incontestable de la réussite de la politique familiale. Mais, selon l’auteure, la politique familiale est loin d’avoir atteint tous ses objectifs.
Des mesures inéquitables ?
Même avec la politique familiale, ce sont davantage les femmes qui prennent des congés parentaux pour s’occuper des enfants ou de l’entretien domestique. Le programme de Soutien aux enfants devait favoriser le libre choix des parents : travailler ou rester à la maison pour s’occuper de son enfant. Mais le montant versé étant trop peu élevé pour compenser le salaire d’un parent, les familles n’y voient pas un véritable choix… Quant au Régime québécois d’assurance parentale, il ne s’applique qu’aux nouveaux parents travailleurs. Comme le souligne l’auteure, les parents qui ont fait le choix de rester à la maison n’obtiennent pas de soutien financier supplémentaire lorsqu’ils mettent au monde un nouvel enfant.
« [L]a politique familiale québécoise fait du parent-travailleur sa figure centrale. Son objectif général est que le plus de parents possible travaillent contre rémunération et s’en remettent à des professionnelles qualifiées pour une large part des soins à leurs enfants. »
La politique familiale idéale
Quel genre de politique familiale pourrait véritablement prendre en compte le choix de travailler pour les deux conjoints ou d’avoir un parent à la maison pour s’occuper des enfants ? Selon Cloutier, la politique devrait avant tout être fondée sur des principes d’équité plutôt que d’égalité à l’américaine.
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Le soutien financier, au lieu d’être égal pour tous, devrait prendre en compte les besoins réels et différents des familles. Elle devrait soutenir tous les parents, pas seulement les parents-travailleurs.
Elle prioriserait non seulement les familles à faible revenu, mais également les familles de la classe moyenne, « déjà prises à la gorge ». Elle soutiendrait financièrement les personnes restant à la maison pour donner des soins aux enfants et compenserait les avantages sociaux manquants (assurances, REER, etc.). Les années passées à donner des soins aux enfants seraient aussi prises en compte dans le calcul des fonds de pension de vieillesse.
De même, la politique familiale devrait fournir de l’aide à la réinsertion sur le marché du travail (formation, mise à niveau, études), une fois terminée la période de soins à la maison. Elle protègerait juridiquement les parents ayant fait le choix de rester à la maison.
En fin de compte, la politique familiale idéale ne nierait pas le droit des parents à vouloir tous deux intégrer le marché du travail et à avoir recours aux services de professionnels pour la garde de leurs enfants. Tout comme elle soutiendrait les familles qui désirent prendre en charge leurs enfants d’âge préscolaire. Pour reprendre les mots utilisés par l’auteure, les politiques familiales doivent « être mises au service de la vie humaine dans ce qu’elle a de plus diversifiée ».