Si les couples de femmes lesbiennes qui souhaitent avoir un enfant recourent principalement à l’insémination maison ou à la clinique de fertilité, les hommes gais qui veulent agrandir leur famille se tournent surtout vers l’adoption. Depuis 2003, environ un tiers des enfants adoptés via les services d’adoption du CIUSSS Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal ont fait le bonheur de pères gais. Un véritable «Gayby Boom»! Comment se vit la paternité dans une famille composée de deux papas? Si les pères homosexuels partagent plutôt équitablement les tâches domestiques et de soins aux enfants, le parfait équilibre n’est pas tout à fait légion.
Dans le cadre de sa thèse de doctorat en psychologie, Éric Feugé s’intéresse à deux volets : le degré d’engagement des pères gais adoptifs et l’adaptation socioaffective de leurs enfants. Une première au Québec ! Au total, 92 pères et leurs 46 enfants âgés de 1 à 9 ans participent à l’étude, qui consiste à remplir une série de cinq questionnaires. L’objectif du premier volet de la recherche ? Mesurer l’influence de divers facteurs (ex. : revenu, scolarité, rôles de genre) sur le niveau d’engagement parental.
Papa « principal », papa « secondaire »
Préparer les repas, donner le bain, faire les devoirs : chez les couples d’hommes, un des pères en fait-il plus que l’autre ? Même si les tâches parentales sont séparées de façon relativement égalitaire, la majorité des couples (72 %) admettent qu’un des conjoints s’implique davantage que l’autre. Il y aurait donc un « donneur de soins principal » et un « donneur de soins secondaire », ce dernier étant souvent celui qui a le revenu le plus élevé.
Les pères interagissent différemment avec leur enfant que les mères : mythe ou réalité ? D’après les résultats de cette étude, ils interagissent surtout avec leur enfant par le biais de jeux physiques (ex. : sports, cachette, etc.). Sont-ils des pères « traditionnels » pour autant ? Pas exactement ! Ils s’éloignent du rôle de père stéréotypé puisqu’ils apportent un grand soutien émotionnel à leurs enfants (ex.: le consoler, le rassurer, l’écouter, etc.) et sont moins stricts sur le plan de la discipline.
À revenus plus élevés, implication diminuée ?
Comme pour les couples hétérosexuels, le conjoint ayant le plus de revenus s’implique un peu moins dans la sphère familiale. Ces résultats font écho à ceux d’autres études ayant démontré que le parent qui a le salaire le plus bas assume une plus grande part de ce travail invisible, tant dans les familles hétéroparentales qu’homoparentales.
Qu’en est-il du conjoint qui consacre davantage d’heures au travail rémunéré ? Même s’il est plus souvent hors de la maison, il n’en est pourtant pas moins engagé ! En fait, les pères très impliqués dans leur travail ont tendance à opter pour des activités stimulantes et ludiques lorsqu’ils interagissent avec leurs enfants, une manière pour eux de les encourager à développer leur ouverture sur le monde.
Une question de sensibilité ?
Le chercheur mesure aussi les rôles de genre des pères gais adoptifs, c’est-à-dire le degré auquel un individu endosse des comportements « traditionnellement » féminins ou masculins. Par exemple, on perçoit habituellement les mères comme étant plus tendres, compréhensives et chaleureuses, alors que les pères seraient plutôt compétitifs, meneurs et analytiques.
« Bien sûr, il s’agit de stéréotypes sexuels, de construits culturels arbitraires, mais nous trouvions intéressant d’analyser comment le parent se considère en termes de personnalité et de voir si cela a un impact sur son degré d’engagement auprès de son enfant. »
– Éric Feugé, auteur de l’étude et diplômé du doctorat en psychologie
Fait étonnant : les pères gais adoptifs ne se conforment pas aux critères typiques de la masculinité. En fait, la majorité endosse des rôles dits « féminins » (34 %) ou « androgynes » (29 %), c’est-à-dire à la fois masculins et féminins. Ceux-ci s’impliquent davantage auprès de leur enfant que les pères plus « masculins » (15 %). Les rôles sont aussi plus interchangeables au sein des couples d’hommes gais, et donc plus équitables.
Une nuance s’impose : les rôles de genre peuvent être plus ou moins prononcés selon le contexte. Par exemple, puisque la majorité des pères interrogés ont de jeunes enfants, il se peut qu’ils adoptent davantage de caractéristiques traditionnellement considérées « féminines » (ex. : tendresse, douceur).
Vivre ouvertement son homosexualité pour faire tomber les préjugés
Cette étude exploratoire est la première à se pencher sur le niveau d’engagement des pères gais adoptifs. Particulièrement investis auprès de leurs enfants, ils brisent ainsi les clichés du père autoritaire et pourvoyeur, et se divisent plutôt équitablement les tâches parentales. Le deuxième volet de cette étude, qui porte sur l’adaptation psychosociale des enfants, démontre que ceux-ci ne présentent pas plus de problèmes de comportement que les enfants adoptés par des couples hétérosexuels.
Dans les dernières années, le nombre de recherches sur les familles homoparentales a grimpé en flèche. Les chercheurs témoignent d’un intérêt grandissant pour les pères gais, qui ont longtemps été laissés pour compte comparativement aux mères lesbiennes. Ils sont pourtant en mesure d’offrir un environnement sain et stimulant à leurs enfants. Et les enfants dans tout ça ? Ceux dont les pères vivent ouvertement leur orientation sexuelle semblent moins affectés par les préjugés liés à l’homosexualité. D’où l’importance d’exposer les enfants à plusieurs modèles familiaux dès leur plus jeune âge et de sensibiliser les diverses instances (ex. : écoles, garderies, etc.) à la réalité des familles homoparentales.