Quand vient le temps de choisir le nom de famille d’un enfant à naître, le patronyme a la cote chez les couples hétérosexuels. Chez les couples de même sexe, cette décision est plus complexe : transmettre le nom de famille de la mère qui ne porte pas l’enfant, de celle qui vit la grossesse ou une combinaison des deux ? Donner le nom de famille d’un seul père ou un nom composé ? Un choix mûrement réfléchi influencé par plusieurs facteurs, comme le statut parental (biologique, social, adoptif), la culture et les aspects légaux.
Deux professeures du centre Urbanisation, Culture, Société de l’INRS, Laurence Charton et Denise Lemieux, interrogent 18 parents de 15 couples de même sexe pour comprendre ce qui influence le choix du nom de famille de leurs enfants. Les parents participants, qui habitent Montréal et Québec, ont au moins un enfant âgé de moins de cinq ans. Le bilan de leur choix : sept couples transmettent le nom d’un seul parent et les huit autres optent pour un nom composé.
Pour compenser le non biologique ? Le nom de famille !
Comment souligner l’implication de la mère qui n’a pas porté l’enfant ? En transmettant son nom de famille ! Trois couples lesbiens ont choisi cette option pour légitimer le lien qui unit la mère non biologique à l’enfant.
« Quand nous avons dû nous demander lequel des deux noms de famille nous donnerions, nous avons convenu que puisqu’Anne-Marie transmettrait ses gènes, nous transmettrions ma culture et mon nom de famille. » (Traduction libre)
— Nathalie, mère non biologique, 43 ans.
À défaut de transmettre leur lignée génétique, les mères qui n’ont pas enfanté transmettent leur héritage familial.
« Je pense que mes parents ont vraiment apprécié ce geste, puisqu’ils ne sont pas les grands-parents biologiques. C’était une manière de reconnaître que nous avions vraiment un projet parental commun. » (Traduction libre)
— Nathalie, mère non biologique, 43 ans.
Ces motivations sont similaires à celles de certains couples hétérosexuels qui optent pour le patronyme par souci d’égalité et pour renforcer l’identité du parent qui n’a pas vécu la grossesse.
Un seul nom pour s’intégrer plus facilement
Simplicité, originalité, facilité de prononciation : voilà les critères qui motivent le choix du nom de famille chez quatre couples de même sexe ayant transmis un seul nom à l’enfant. Ils choisissent aussi celui qui s’harmonise le mieux à leur culture et à leur histoire. Le nom de famille composé, selon eux, pourrait complexifier l’intégration sociale de leur enfant. Par exemple, deux pères expliquent qu’ils ont opté pour le nom de famille le plus « québécois » pour éviter que leur fils adopté ne subisse de la discrimination.
« Luis est noir, c’est déjà un handicap dans une société qui n’est pas toujours [ouverte à la différence], donc je me suis dit que ça allait lui donner un petit coup de pouce, au moins il ne sera pas discriminé à cause de son nom de famille […]. » (Traduction libre)
— Loïc, père adoptif, 39 ans.
Pour renforcer le lien fraternel entre les enfants qui n’ont pas de liens biologiques, les couples de femmes interrogés ayant alterné les grossesses transmettent le même nom à chacun de leurs enfants. D’ailleurs, qu’ils optent pour un nom de famille simple ou composé, tous les parents tiennent à ce que leurs enfants portent le même nom pour consolider leurs liens fraternels.
« Comme ils n’ont aucun lien biologique, je voulais m’assurer qu’ils soient vraiment frère et sœur, qu’il n’y ait aucun doute. […] Je voulais absolument […] qu’ils aient ce lien, au moins dans leur nom de famille. » (Traduction libre)
— Héloïse, mère biologique (1er enfant) et non biologique (2e enfant), 41 ans.
Un nom composé pour créer une famille
Qu’en est-il des parents qui choisissent le double nom de famille ? Pour un couple gai et deux couples lesbiens, c’est une façon d’unir les membres de leur nouvelle unité familiale et de créer une connexion entre eux et leur enfant, malgré l’absence de lien génétique.
« Nous devons créer des liens qui ne sont pas évidents au départ, parce que nous ne ressemblons pas à nos enfants. Nous ne partageons pas de lien génétique ; nous devons trouver d’autres points communs, et le nom de famille en fait partie. C’est très, très important. [Pour les parents adoptifs], c’est le seul élément très visible que l’on voit immédiatement. » (Traduction libre)
— Ralph, père adoptif, 45 ans.
Un nom composé pour faire reconnaître les deux parents
Contrairement aux couples hétérosexuels, les parents de même sexe prennent aussi en considération un critère bien particulier : les aspects légaux. Trois couples de femmes et deux couples d’hommes ont légué leurs deux noms de famille pour justifier le lien de filiation avec leur enfant. C’est particulièrement vrai pour les couples internationaux venus s’installer au Québec pour fonder une famille, puisque leur pays d’origine ne concède que l’existence du parent biologique lorsque le couple n’est pas marié.
« En France, un seul parent aurait été reconnu, et ça aurait été moi dans notre cas, puisque je suis celle qui a donné naissance. C’était important pour nous que son premier nom de famille ne soit pas le mien, mais celui de Valérie pour que son passeport, ses papiers d’identité et tous ses documents aient une légitimité administrative. » (Traduction libre)
— Annie, mère biologique, 36 ans.
Transmettre les deux noms de famille, c’est donc aussi une façon d’être reconnus en tant que parents lorsqu’ils voyageront dans leur pays d’origine.
Une décision loin d’être prise à la légère
Contrairement aux couples hétérosexuels qui optent souvent, par tradition, pour le nom du père, le choix d’un nom de famille est longuement réfléchi chez les couples de même sexe. Compenser l’absence de lien génétique avec le parent non biologique et créer un lien formel entre eux et leur enfant sont des considérations qui vont au-delà de la simple procédure administrative. À cela s’ajoutent des préoccupations légales dans le cas des couples migrants.
Si les noms de famille composés perdent du terrain au Québec, ils demeurent populaires auprès des couples de même sexe. Les parents qui choisissent un seul nom de famille, quant à eux, ajoutent souvent l’autre nom à la liste des prénoms de l’enfant (middle name), une pratique qui ne s’observe pas chez les couples hétérosexuels. Ce « second prénom », seulement visible sur le certificat de naissance, est une manière toute particulière de légitimer le lien qui les unit à l’enfant et de lui transmettre l’héritage des deux parents.