La recherche scientifique bénéficie d’une légitimité sociale très importante. En sciences sociales, la parole des experts est parfois plus écoutée que celle des personnes qui sont au centre de ces expériences de vie. Dans cette étude, les chercheurs s’intéressent à la problématique de la négligence parentale et ont voulu savoir comment la recherche sur ce sujet participe à l’exclusion du point de vue des parents, tant dans la recherche elle-même que dans l’intervention.
Les auteurs ont analysé neuf articles scientifiques publiés dans une revue internationale de référence dans le domaine de la négligence envers l’enfant.
La faute des parents?
D’après de nombreux auteurs, les données issues de la recherche conditionnent la manière dont les intervenants définissent et comprennent la négligence parentale. Actuellement, le modèle dominant fait porter la responsabilité de l’échec parental aux parents eux-mêmes. Or, ils ne sont pas l’unique cause du problème! Les écoles, les garderies, les services sociaux et les organismes communautaires ont le devoir de soutenir les parents afin que tous les enfants puissent s’épanouir.
Des stats et des experts
Tous les articles analysés utilisaient des données administratives ou issues de questionnaires standardisés. Or, dans un questionnaire, les parents peuvent difficilement exprimer la complexité de leur situation.
Selon les auteurs, cette approche a un impact majeur sur l’intervention sociale. L’information recueillie met surtout en valeur la perspective des « experts ». Or, l’absence de dialogue avec les parents « limite la compréhension de la problématique » et « [diminue] l’autonomie des personnes qui sont l’objet de la recherche ». Une approche qui, selon les auteurs, renforce les inégalités de pouvoir entre les scientifiques, les intervenants et les parents. Scientifiques et intervenants sont donc perçus comme les « experts » alors que les parents se retrouvent dans une position de « bénéficiaires passifs » de la recherche et de l’intervention.
Prendre en compte le contexte
Selon les chercheurs, la négligence parentale est surtout étudiée sous l’angle de l’analyse des caractéristiques individuelles des parents.
L’accent est mis, par exemple, sur l’âge, l’ethnie, la consommation d’alcool et de drogues, un historique d’abus ou de négligence ou encore la participation du parent à un programme d’intervention. La problématique de la négligence parentale est alors réduite à des normes comportementales auxquelles correspondent ou non les parents.
L’intervention est ainsi « centrée sur la modification des comportements parentaux », ce qui sur-responsabilise et culpabilise les parents. Les auteurs ont relevé que les mères sont particulièrement responsabilisées dans les situations de négligence envers l’enfant.
Les auteurs estiment que le dialogue avec les parents permettrait de mieux prendre en compte l’influence de l’environnement sur la négligence parentale. La criminalité dans le quartier, la qualité du logement, le manque de travail, l’exclusion sociale, l’absence de structures de soutien aux parents (ex. garderies) peuvent aussi être au cœur du problème. Cette étude met en valeur l’idée que chacun doit assumer ses responsabilités en matière de négligence parentale.
Or, la littérature scientifique sur le sujet induit une attitude culpabilisante envers les parents. Le stéréotype du parent-coupable ne reflète pourtant pas la réalité. En effet, les conditions de vie, la disponibilité de ressources qui répondent aux besoins des parents jouent un rôle important auprès de ces familles. L’approche privilégiée par les recherches actuelles occulte un échec social bien réel, celui du manque de soutien aux familles vulnérables. Les recherches centrées sur le vécu parental demeurent marginales. Développer davantage d’études de ce type permettrait d’améliorer les interventions et la qualité de vie de ces familles.