Être parent comporte déjà son lot de défis. Imaginez maintenant être parent sans avoir de place à appeler un « chez-soi ». C’est la dure réalité des mères en situation d’itinérance. Si celles-ci souhaitent pouvoir offrir un environnement de vie stable, sécuritaire et stimulant à leur(s) enfant(s), leur réalité et toutes les difficultés qui y sont liées peuvent les en empêcher. Les nombreux stress vécus à la fois avant et pendant la période d’itinérance peuvent également impacter leurs pratiques parentales, et influencer leur bien-être et celui de leur(s) enfant(s). Marqués par des conditions de vie difficiles, les parcours de ces mères présentent des points communs, tout en étant uniques et diversifiés. Comment conjuguent-elles les réalités de l’itinérance et de la parentalité?
Une équipe de recherche du Centre de recherche universitaire sur les jeunes et la famille du CIUSSS de la Capitale-Nationale, de l’Université Laval et de l’Université du Québec à Montréal s’intéresse à la parentalité des mères en situation d’itinérance. Pour mieux comprendre leurs parcours, elle réalise une synthèse des connaissances disponibles, notamment en contexte québécois. Leurs constats? Violences avant et pendant la situation d’itinérance, discriminations, pauvreté, inadéquation entre les services d’aide; les défis sont nombreux.
Un chemin sinueux vers l’itinérance
Les parcours de vie des mères en situation d’itinérance sont influencés par différents facteurs qui peuvent émerger dès l’enfance, à l’âge adulte avant la période d’itinérance ou durant celle-ci. Historique de placement, exposition à des pratiques parentales défaillantes ou négligentes, violences multiples, instabilité, conflits; les difficultés peuvent débuter très tôt, dès l’enfance.
Quant à leur trajectoire de vie adulte, elle est sujette à être marquée par des enjeux de santé physique chroniques, de santé mentale, de consommation, de violence (familiale, relationnelle ou de rue) ainsi que par un réseau social fragilisé. Ces problématiques peuvent avoir contribué à précipiter ces femmes vers une situation de grande précarité, ou se développer une fois l’itinérance installée en raison des conditions de vie difficiles.
Ces mères sont également nombreuses à être sans emploi et à avoir un faible niveau de scolarité. Elles se retrouvent alors dans un cercle vicieux où la situation d’itinérance et leurs conditions de vie adverses limitent grandement leur accès à un logement et à un travail. Ainsi, l’aspiration à améliorer leur qualité de vie est complexe à réaliser. Finalement, le stress engendré par ces nombreux facteurs de vulnérabilité peut à son tour entraîner des conséquences sur leurs pratiques parentales (négligence, hostilité, désengagement) et sur leur disponibilité émotionnelle envers leur(s) enfant(s).
Les institutions à la rescousse… ou pas?
Violence conjugale, physique, psychologique, sexuelle, financière… À cette longue liste de vulnérabilités présentes dans leur trajectoire de vie s’ajoutent les violences structurelles. En effet, les mères en situation d’itinérance rencontrent plusieurs difficultés dans leurs parcours avec le personnel médical, psychosocial, scolaire et policier ainsi qu’avec les employé·e·s des services de la protection de la jeunesse et des organismes communautaires. Les propriétaires de logement, les employeurs et les employeuses contribuent également à les discriminer.
Vers qui se tournent-elles pour tenter d’améliorer leur situation? Ces mères ont la possibilité d’aller chercher de l’aide auprès des services d’hébergement. Mais puisque ce type de ressource est souvent temporaire, leurs besoins ne peuvent être comblés que partiellement et sur une courte durée. Amenées à devoir changer de ressource fréquemment, leur attention peut alors être dirigée – à répétition – vers la recherche d’un nouveau toit. Elles peuvent ainsi être moins disponibles pour leur(s) enfant(s).
Une fois la ressource d’hébergement confirmée, comment les enfants sont-ils intégrés? Peu adaptée à leurs besoins développementaux, la prise en charge de la situation d’itinérance se fait souvent au détriment de ces derniers et de la situation de parentalité. Par exemple, on n’y retrouve pas d’espaces physiques sécuritaires destinés aux enfants pour jouer, explorer l’environnement et faire des activités éducatives, ou de temps dans l’horaire dédié à la relation parent-enfant. Les mères fréquentant ce type de ressource d’aide rapportent également un décalage entre les règles qu’elles établissent envers leurs enfants et celles en vigueur au sein de la ressource d’hébergement. Comme celles-ci sont tenues de respecter les règles en place, il peut y avoir une diminution de leur sentiment d’efficacité, de compétences et de contrôle, ainsi qu’une perte de pouvoir de leur rôle parental.
À la liste des institutions présentes dans leur parcours d’itinérance s’ajoutent, pour une grande proportion d’entre elles, les services de la protection de la jeunesse. Malgré qu’elles ne soient pas toutes sous la surveillance de cette institution, elles vivent dans la crainte constante que leur(s) enfant(s) y soient référé(s). L’instabilité résidentielle est en effet un motif important de placement, et ces mères sont plus souvent la cible d’un signalement. Lorsque cela est le cas, vu leur situation de grande précarité, les attentes des services de protection de la jeunesse peuvent être difficiles à satisfaire, ce qui complique la reprise de la garde de leur(s) enfant(s). Le tribunal peut alors être impliqué dans leur trajectoire de vie déjà complexe.
Au stress causé par le recours à ces différentes institutions qui sont peu adaptées à la parentalité en situation d’itinérance, s’ajoute le fait que leurs demandes respectives entrent souvent en contradiction. Les mères se retrouvent à devoir jongler entre les attentes divergentes des services d’hébergement, de la protection de la jeunesse et, pour certaines, du tribunal. Par exemple, une mère pourrait être tenue de répondre aux exigences du tribunal qui impose une visite supervisée entre une mère et son enfant placé, au moment même où est prévue une séance de thérapie au sein du service d’hébergement.
Enfants résilients, mais aussi vulnérables
Quelle est la réalité d’un enfant vivant l’itinérance? Ce contexte de vie particulier comporte des risques pour son développement et sa sécurité. Malnutrition, problèmes de santé mentale et physique, difficultés à l’école et sur le plan social, troubles de sommeil et de comportement : les enjeux peuvent être nombreux. Ces enfants peuvent également être exposés à des évènements ou situations de vie particulièrement ardus : violence conjugale, expulsion d’un logement, etc. De plus, ils peuvent subir de la maltraitance ou être confrontés aux problèmes de santé mentale, physique ou de dépendance d’un parent. Et les difficultés peuvent persister au-delà de l’itinérance. Malgré ces enjeux particulièrement préoccupants, ces enfants ne reçoivent souvent pas l’aide et le soutien dont ils auraient besoin. L’accès à des services à leur attention est restreint en raison de la situation d’isolement et d’instabilité résidentielle de leur famille, et parce que la plupart des ressources destinées aux personnes en situation d’itinérance qui accueillent les enfants ne fournissent pas de services adaptés.
Des services qui ne courent pas les rues
Comment faire pour soutenir ces mères qui vivent difficulté après difficulté? Absence de soutien social ou de modèles parentaux positifs, stress causé par les situations d’adversité présentes et passées, sentiment d’incapacité ou d’inaptitude; les solutions doivent être pensées sur plusieurs fronts.
D’abord, la sensibilisation du personnel des différentes institutions gravitant autour des mères en situation d’itinérance est primordiale. En effet, une incompréhension subsiste concernant le fait que les dimensions menant à la situation d’itinérance, et à son maintien, sont multiples et complexes. Si les mères sont fortement incitées à aller chercher de l’aide pour améliorer leur situation, les personnes qui interviennent auprès d’elles ne prennent pas toujours en compte qu’en divulguant leurs difficultés, les mères courent le risque de se faire enlever la garde de leur(s) enfant(s). Également, les services de soutien vers lesquels elles sont orientées peuvent, en réalité, être difficilement accessibles. À cela s’ajoute la méfiance des mères, qui se sentent jugées tout au long du processus de soutien. Ainsi, une meilleure compréhension du fait que leur motivation peut être freinée par des attitudes et des services inadéquats s’avère pertinente.
Ensuite, certains risques de la situation d’itinérance sur les enfants peuvent être atténués, en instaurant entre autres un environnement propice au développement de pratiques parentales positives dans les services d’hébergement. Aussi, fournir un accompagnement aux mères dans le but qu’elles développent de meilleures habiletés de résolution de problème, une discipline moins coercitive, ainsi qu’un meilleur sentiment d’efficacité influence positivement l’adaptation des enfants. Finalement, prendre en charge seulement les parents n’est pas suffisant. Ces jeunes victimes collatérales doivent également recevoir des services qui répondent à leurs besoins.
Malgré l’existence de certaines ressources, comme le service à la famille de l’organisme Dans la rue, l’aide spécifiquement dédiée aux mères en situation d’itinérance, et plus globalement aux parents aux prises avec cette réalité, est largement insuffisante.