Devenir mère à l’adolescence : toute une épreuve ! Mais lorsque la violence du conjoint et père de l’enfant s’ajoute à l’équation, les mots viennent à manquer pour traduire cette situation plus que complexe. La violence dans les relations amoureuses n’a pas d’âge : au Québec, un jeune sur trois en a déjà été victime. Qu’en est-il des jeunes mères qui réussissent à surmonter ces difficultés ? Créer un lien avec l’enfant, mettre leurs limites dans leur relation de couple et adopter un mode de vie plus sain : voilà quelques-unes des stratégies qui leur permettent de voir la lumière au bout du tunnel.
Sylvie Lévesque et Claire Chamberland, respectivement professeure au Département de sexologie de l’UQAM et professeure à l’École de service social de l’Université de Montréal, cherchent à mieux comprendre le processus de résilience des jeunes mères aux prises avec la violence amoureuse. Pour ce faire, elles interrogent dix femmes ayant donné naissance à leur premier enfant entre 15 et 19 ans en contexte de violence conjugale. Les participantes, toutes majeures au moment de l’entrevue, portent un regard rétrospectif sur ce qui leur a permis de s’en sortir et de s’épanouir dans leur rôle de mère.
Maman avant tout
Vivre une grossesse à un jeune âge en contexte de violence amoureuse : une double source d’adversité ? Pas exactement. Sur ce point, les participantes sont unanimes : même si le père de l’enfant est souvent leur premier amoureux et qu’elles sont très investies dans la relation, le contrôle, les menaces, les absences répétées ou les abus physiques viennent à bout des sentiments du premier jour. En revanche, elles ne considèrent pas que leur grossesse précoce soit un obstacle : la maternité améliore leur vie et leur identité de mère a une grande importance pour elles.
L’enfant, au cœur du processus de résilience
La maternité transforme une vie : quel euphémisme ! Que ce soit à l’annonce de la grossesse ou à l’arrivée du bébé, les participantes prennent conscience de l’impact de leurs actions et décisions sur la vie de l’enfant. Créer un lien avec lui les motive à se responsabiliser et à lui offrir une vie de famille qu’elles jugent saine.
« Je veux que mes filles soient en paix, heureuses et épanouies. C’est la seule chose que je désire. Je veux leur montrer que je peux le faire par moi-même, être un modèle pour elles. » (Traduction libre)
— Shany, 32 ans, devenue mère à 18 ans.
À mesure que le temps passe, elles réalisent qu’elles sont aptes à subvenir à ses besoins et se sentent de plus en plus compétentes en tant que mères.
Thérapie de couple, ultimatum ou rupture : les jeunes mères s’imposent
Pour ces jeunes mères, mettre leurs limites auprès du père devient rapidement inévitable. Conscientes que leur relation amoureuse a des impacts négatifs sur leur vie et celle de leur bébé, les participantes adoptent des stratégies pour vivre dans un environnement plus sécuritaire. Si certaines tentent la thérapie de couple ou lancent un ultimatum au père dans l’espoir de le faire changer, la majorité choisit d’emblée de mettre fin à la relation.
« Ça a commencé comme ça : il m’insultait et me rabaissait. Encore une fois, j’ai figé et je suis restée à l’intérieur un autre mois complet sans sortir ni appeler personne… J’en avais parlé à mon intervenante et elle était au courant de la situation. Elle venait chez moi pour des visites, durant trois ou quatre mois. Et un jour, je me suis levée tôt le matin, j’ai mis toutes mes affaires dans un sac et je suis partie, du jour au lendemain. » (Traduction libre)
— Élizabeth, 20 ans, devenue mère à 16 ans.
Sortir d’une relation violente : plus facile à dire qu’à faire. C’est particulièrement vrai chez les jeunes mères, qui redoutent d’être à la fois jugées pour leur maternité précoce et leur monoparentalité. À cette peur s’ajoute l’idéal de la famille nucléaire : elles désirent garder leur famille unie pour le bien-être de l’enfant, mais se sentent coupables de le « priver » d’une figure paternelle.
« Parce que pour moi qui n’ai pas eu de père en grandissant, je voulais tellement que mes filles aient un père à leurs côtés. Je voulais vraiment qu’il joue son rôle, qu’il soit un père… Dans ma tête, j’ai toujours cru que mes deux filles auraient leur papa. […] J’ai essayé jusqu’à la fin. » (Traduction libre)
— Shany, 32 ans, devenue mère à 18 ans.
Avoir une vie plus saine, une étape à la fois
Manque d’argent, d’information sur la parentalité et de ressources matérielles : à l’annonce de la grossesse, les participantes ne se sentaient pas prêtes à accueillir un enfant. Dans ce contexte, les encouragements et le soutien de leur famille et de leurs proches constituent un filet de sécurité indispensable.
« Ma mère m’a aidée à partir. C’est elle qui a trouvé l’appartement. Si mon propriétaire ne m’avait pas aidée à trouver des meubles dans les deux premières semaines, et si je n’avais pas trouvé [un intervenant] au centre de santé qui se soit vraiment préoccupé de mon cas… Je ne suis pas certaine que j’aurais pu m’en sortir. » (Traduction libre)
— Marie-Sophie, 33 ans, devenue mère à 15 ans.
Conciliation famille-travail difficile, résilience en péril ?
Grâce à diverses stratégies, ces jeunes mères sont parvenues à s’échapper d’une relation amoureuse violente, pour leur bien-être et celui de leur enfant. L’étude comporte cependant certaines limites : puisque le sujet est précis et peu exploré, le nombre de participantes est assez restreint. Par ailleurs, il est possible que le temps écoulé entre la naissance et les entrevues teinte les propos des participantes.
Leur résilience peut aussi souffrir de certains facteurs, comme l’accès limité à des ressources financières et des difficultés de conciliation famille-travail. Par exemple, celles qui souhaitent retourner aux études ou travailler à temps partiel aimeraient avoir accès à un service de garde flexible qui concorde avec leurs horaires hors normes (ex. : soirs ou fins de semaine), ce que le réseau des services de garde québécois n’offre pas, selon elles. En 2019, le gouvernement du Québec a mis en place un projet pilote pour soutenir les parents ayant des horaires atypiques, mais les résultats se font toujours attendre.