Avant de se coucher, William, 4 ans, regarde un livre avec sa mère. Pendant que son père prépare le souper, Billie, 5 ans, doit trouver la lettre « E » puis la lettre « A » parmi les aimants sur le réfrigérateur. Simone, 6 ans, et sa grande sœur du secondaire font un concours de rimes en « ou ». Youssef, 4 ans, trace les lettres de son prénom au bas de son dessin avec l’aide de son grand-père. Voilà des moments privilégiés passés avec une personne de la famille. Ces jeux qui favorisent l’éveil à la lecture et à l’écriture appartiennent à la catégorie des activités de littératie. Ces dernières peuvent-elles atténuer les effets néfastes du temps-écran sur le développement du langage? Il semblerait que oui!
Tania Tremblay, Andréanne Gagné et Nathalie Bigras, chercheuses à l’Université du Québec à Montréal, examinent, pour la première fois, la relation entre le temps-écran récréatif, les activités familiales de littératie et les habiletés de langage chez des enfants d’âge préscolaire et scolaire. L’équipe cherche à savoir si les effets du temps-écran sur les habiletés langagières peuvent être expliqués ou atténués par l’absence ou la présence d’activités de littératie dans l’environnement familial. Une étude réalisée auprès de 149 enfants, dont 47% de garçons et 53% de filles, permet aux chercheuses d’évaluer les effets de ces deux variables à court et à plus long terme. Les habiletés langagières sont évaluées à 4 ans puis à 7 ans à l’aide de tests. Puis, des entrevues sont réalisées avec les mères et un questionnaire leur est soumis pour évaluer le temps-écran et les activités familiales de littératie.
Activités de littéra-quoi?
« Littératie » : un terme plutôt complexe pour signifier « l’ensemble des connaissances en lecture et en écriture ». En contexte familial, il renvoie aux activités, aux habitudes, aux croyances et aux ressources présentes dans la famille qui encouragent le développement des habiletés de lecture et d’écriture. Ces activités peuvent viser l’apprentissage des lettres et des sons. Pointer à l’enfant un mot écrit avec deux « m » ou lui demander de trouver une lettre en particulier sur une affiche ou dans un livre de recettes en sont des exemples. Mais elles peuvent aussi se concentrer sur le sens, sans apprendre directement à l’enfant comment lire ou écrire. C’est le cas lorsqu’un parent apprend une comptine à son enfant ou lorsqu’on lui demande de raconter la suite d’une histoire à partir d’une image. Bien que la lecture partagée soit celle que l’on étudie le plus souvent, ces activités ne nécessitent pas obligatoirement l’utilisation d’un livre. Elles peuvent être réalisées à l’aide de jeux, d’images, d’aimants, d’une boîte de céréales, etc. Les possibilités sont nombreuses!
Plus d’écran, plus de difficulté à communiquer
Comment le temps-écran influence-t-il le développement langagier chez les enfants? Plutôt négativement si l’on se réfère au travail des chercheuses qui ont étudié deux composantes du langage : la compréhension verbale et les habiletés pragmatiques.
Les études disponibles évaluent principalement les impacts du temps-écran sur la capacité de l’enfant à comprendre les mots et les phrases, et à en produire. Pour cet aspect, l’équipe arrive au même constat que les études précédentes portant sur le temps-écran à la maison et le développement du langage; le temps-écran a des effets négatifs à court et à long terme sur les aptitudes langagières orales des enfants.
L’effet du temps-écran sur les habiletés pragmatiques, autrement dit les impacts du temps-écran sur la capacité de l’enfant à utiliser le langage pour socialiser avec les autres, ont de leur côté, très peu été étudiées. Les professionnel·le·s œuvrant auprès des enfants observent pourtant que ceux et celles qui y sont exposé·e·s de façon excessive ont tendance à éviter le contact visuel et démontrent peu d’intérêt à initier ou à maintenir la communication.
L’étude permet également de constater que les effets néfastes du temps-écran s’étendent jusque dans la sphère pragmatique du langage. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que de nombreuses heures passées devant un écran privent l’enfant de plusieurs interactions familiales, nécessaires à l’acquisition de certaines habiletés sociales de base. Ainsi, en plus de nuire au développement du langage oral, le temps-écran nuit à la socialisation.
Activités de littératie et temps-écran, qu’est-ce qui les relie?
Il existe bel et bien un lien entre le temps-écran, les activités de littératie et le langage.
Le mécanisme qui se cache derrière leur relation est le suivant :
Les activités de littératie à 4 ans expliquent les effets du temps-écran sur la compréhension verbale et les habiletés pragmatiques.
Livres et écran, filles et garçons y sont exposés différemment
De réelles différences s’observent entre les garçons et les filles lorsqu’il est question de temps-écran et d’activités de littératie. Mais de quelle nature sont-elles?
Le temps-écran, d’abord similaire pour les filles et les garçons à l’âge de 4 ans, augmente pour les deux sexes à l’âge de 7 ans. Cette augmentation est cependant plus marquée chez les garçons. Elle s’explique, en partie, par le fait qu’ils manifestent un plus grand intérêt pour les jeux vidéo à l’âge scolaire, qui deviennent rapidement une activité qu’ils pratiquent aussi avec leurs amis garçons.
On remarque également qu’à l’âge de 4 ans, les filles participent plus fréquemment à des activités de littératie que les garçons. La possibilité que les parents initient moins ce type d’activités avec les garçons parce que ceux-ci manifestent moins d’intérêt que les filles pour les activités reliées aux livres est soulevée par les autrices. Elles mentionnent également la possibilité que les parents engagent moins d’activités de littératie avec les garçons parce qu’ils ont une vision genrée de celles-ci, les associant davantage au genre féminin.
Activités de littératie, les héroïnes de cette histoire
L’équipe de recherche conclut que la présence d’activités de littératie dans l’environnement familial permet d’atténuer les effets négatifs du temps-écran sur le développement langagier des enfants. L’objectif de réduction du temps-écran peut être atteint en encourageant les enfants à participer à différentes activités favorisant le développement de la lecture et de l’écriture. Les autrices recommandent de limiter le temps-écran à 1h par jour pour les enfants d’âge préscolaire et à 2h par jour maximum, pour ceux et celles d’âge scolaire.
Ces résultats pointent la nécessité de faire des activités de littératie de façon régulière avec les enfants d’âge préscolaire. Implanter une routine de lecture partagée s’avère primordial pour exposer l’enfant à un langage plus riche et pour créer une dynamique conversationnelle avec des interactions, ce que l’enfant n’expérimente pas en regardant la télévision.
Des ressources sont disponibles pour les familles qui cherchent à intégrer ce type d’activités dans leur quotidien. Ainsi, le projet La CLEF propose aux parents d’enfants âgés de 5 à 8 ans, une foule d’idées d’activités à faire en famille afin de favoriser l’éveil et l’apprentissage de la numératie, de la lecture et de l’écriture.