« Quand tu es en Banque mixte, ton projet c’est d’adopter un enfant, ce n’est pas de lui donner un milieu de transition », raconte Lisanne, qui accueille un enfant de quatre ans dans le but avoué de l’adopter. Le processus Banque mixte : voilà un cheminement qui ne finit pas forcément en conte de fées pour les parents d’accueil ! Entre l’absence de certitude de pouvoir adopter l’enfant qu’ils prennent sous leurs ailes et les visites régulières avec la famille biologique, tout leur rappelle durement que rien ne garantit qu’il soit un jour le leur. Comment s’investissent-ils émotionnellement auprès de l’enfant, alors que l’issue de la garde leur échappe ? La crainte de le voir retourner dans sa famille d’origine pousse certains parents d’accueil Banque mixte à garder une distance vis-à-vis de l’enfant.
C’est le constat de Geneviève Pagé (professeure à l’Université du Québec en Outaouais), Marie-Andrée Poirier (professeure à l’Université de Montréal) et Doris Châteauneuf (chercheure d’établissement au CIUSSS de la Capitale-Nationale et membre du Partenariat de recherche Familles en mouvance). Les chercheures donnent la parole à 25 parents accueillant un enfant âgé de 4 mois à 11 ans dans le programme Banque mixte. Leur objectif : comprendre comment l’éventualité de le voir retourner dans sa famille d’origine affecte leur attachement. Trois profils caractérisent ainsi les parents interrogés : certitude, incertitude passagère et incertitude chronique.
« C’est mon enfant » : l’expérience de la certitude
Être parent d’accueil Banque mixte: une expérience parsemée d’embûches ? Pas toujours ! La moitié des familles interrogées ont la certitude, dès le début du placement, que l’enfant ne retournera pas dans sa famille d’origine. Plusieurs raisons justifient leur raisonnement : soit la DPJ leur a donné le feu vert pour qu’ils s’investissent sans retenue auprès de ce dernier, soit les parents d’origine sont absents, ou encore aucun membre de la famille élargie ne s’est manifesté pour en prendre soin. Si la fratrie est déjà adoptée, les parents d’accueil sont d’autant plus rassurés.
« [L’intervenant de l’adoption] nous expliquait que la mère était bipolaire et qu’elle avait déjà eu deux enfants avant. Et elle avait perdu la garde de ses deux enfants. Ç’a pu contribuer, nous autres, à nous rassurer. De dire je pense que ça va dans la bonne direction par rapport à une adoption, parce que Magaly ne devrait pas retourner là parce qu’il y a des précédents. »
– Jean-Philippe, parent d’accueil
Convaincus que l’enfant sera éventuellement éligible à l’adoption ou qu’il sera placé jusqu’à sa majorité, ils ont l’impression d’être parents dès les premiers instants.
« [Les intervenants] nous ont dit : il vous appelle papa, il vous appelle maman. Il ne reviendra jamais dans sa famille. […] tu sais, souvent les travailleurs sociaux, ils font attention. Là, c’était comme : oubliez ça. [La mère d’origine] ne le veut pas. Ça fait depuis le jour 1 qu’elle ne le veut pas. Pis il y a déjà un petit frère en quelque part qui est en voie d’adoption. »
– Fabienne, parent d’accueil
Malgré la certitude que l’enfant sera le leur, les parents ne sont pas à l’abri des défis, surtout quand l’enfant est plus vieux. Par exemple, il peut être difficile de s’attacher à lui s’il présente des problèmes de comportement.
« Les journées étaient dures. Pis il n’y avait pas d’attachement. […] On avait plus l’impression d’être un service de garde. Pis un service de garde où il y a un enfant qui vient d’arriver et que je le trouve crissement difficile […]. Mais il n’y a pas de parents qui viennent le chercher le soir, c’est moi qui le garde. Je me sentais un peu de même. Mais bon, le temps passe. »
– Natacha, parent d’accueil
Incertitude : un peu, beaucoup, énormément
Tous les parents d’accueil Banque mixte ne vivent pas le placement avec autant d’assurance. Certains expérimentent plutôt les dures réalités de l’incertitude. Dans quelques cas, ce sentiment est passager : souvent présent au début du placement, il laisse rapidement la place à un climat de confiance. Une diminution de la fréquence des visites avec la famille d’origine, par exemple, entraîne un apaisement.
Pour d’autres, cette incertitude est chronique. Leur pire crainte ? Que rien n’indique que l’adoption pourra se concrétiser. Dans leur cas, le placement est en vigueur pour une courte durée (ex. : six mois ou un an) et les parents biologiques sont présents à toutes les visites. Les parents d’accueil concernés ont l’impression de n’avoir aucun contrôle sur leur projet parental, qui repose définitivement entre les mains des intervenants.
« Le juge a décidé qu’à l’âge de deux ans, nous devrions préparer l’enfant à réintégrer sa famille biologique. Parce que les parents s’étaient supposément repris en main. […] Pendant presque un an, on a vécu avec une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. »
– Lisa, parent d’accueil
Se détacher pour se protéger
L’inquiétude, l’angoisse et le sentiment d’impuissance peuvent empêcher les parents d’accueil Banque mixte de s’attacher à l’enfant, surtout au début du placement. La retenue est alors de mise pour ces parents, qui évitent un investissement émotionnel trop important au cas où il leur serait retiré. Par exemple, certains font le choix délibéré de limiter les marques d’affection ou d’attendre avant de décorer la chambre de l’enfant.
« Ce qui était vraiment étrange, c’est être si attaché à Cédric et en même temps être dans l’impossibilité de pouvoir se projeter dans le futur en tant que petite famille – Hugo, lui et moi. […] Ça me faisait terriblement de peine de penser qu’il ne serait plus avec nous. C’était un rôle de mère au jour le jour, je suppose comme une mère qui a appris que son enfant va mourir dans six mois. »
– Marie-Soleil, parent d’accueil
Certains parents d’accueil font aussi preuve de détachement pour ne pas donner à l’enfant un sentiment de permanence alors qu’ils n’ont pas la certitude de pouvoir lui offrir une stabilité.
« On voulait garder cette distance-là. Mais c’est extrêmement difficile quand l’enfant t’appelle maman/papa, toi, de ne pas lui répondre. En tout cas, moi […]. De garder cette distance-là. Pis on voulait la garder parce qu’on le sentait que c’était hautement à risque. Donc, il y avait une forme d’ambivalence terrible. »
– Alice, mère d’accueil
Malgré tout, ceux qui courent le risque de s’investir auprès de l’enfant sont plus nombreux que ceux qui font preuve de cette difficile retenue.
Une promesse de stabilité ?
Si l’objectif de la Banque mixte est de favoriser un retour de l’enfant dans sa famille biologique, c’est aussi et surtout éviter la multiplication des placements temporaires, d’offrir plus de stabilité aux enfants et, par le fait même, de garantir leur bien-être. Si ce programme offre effectivement une certaine stabilité à l’enfant, il n’empêche pas les familles de vivre de l’incertitude, car rien ne leur garantit que l’enfant agrandisse leur famille pour de bon.
Afin de poser un regard nouveau sur cette recherche de stabilité, Doris Châteauneuf et Marie-Andrée Poirier, autrices de l’étude, mènent présentement un projet de recherche pour comprendre les enjeux entourant l‘application des durées maximales de placement en protection de la jeunesse au Québec. Leur objectif ? Mieux comprendre leur contexte d’application, cerner les défis qui accompagnent cette mesure et favoriser son utilisation optimale, afin d’éviter aux enfants de vivre perpétuellement entre deux valises.