Amoureux depuis longtemps, Émilie et Julien considèrent que leur couple est assez solide pour leur permettre de passer à la prochaine étape : fonder une famille. Or, après une grossesse sans accrocs, l’arrivée de bébé Léo provoque une tension entre les partenaires. Au gré des biberons et des nuits de sommeil écourtées, l’harmonie qui régnait jadis au sein du ménage cède tranquillement sa place à plusieurs petits désaccords dont l’accumulation risque de chambouler la dynamique familiale.
Loin d’être isolée, la situation que vivent Émilie et Julien démontre à quel point le passage du rôle de conjoint·e·s à celui de parents est émotionnellement chargé et peut être complexe à naviguer pour le couple. Bien qu’elle représente une période déterminante pour la pérennité de la relation amoureuse et le développement de l’enfant, la transition parentale est peu explorée dans le cadre des thérapies conjugales. Afin d’outiller les thérapeutes qui croisent la route de nouveaux parents, Mathilde Baumann et ses collègues de l’Université du Québec à Montréal s’intéressent aux méthodes d’évaluation et d’intervention actuellement proposées. En faisant la lumière sur les besoins relationnels et émotionnels des nouveaux parents, l’équipe de recherche élabore un protocole d’intervention qui correspond davantage à la réalité des couples qui consultent pour des difficultés liées à leur transition parentale.
Du duo amoureux au trio familial : les défis cachés de la parentalité
La transition parentale, ce moment charnière marqué par la venue d’un premier enfant, se caractérise par bien plus qu’une simple addition à la famille. Il s’agit d’une métamorphose qui s’opère tout au long de la grossesse puis de la première année de vie du bambin. Dans cette phase où tout est nouveau, le constant besoin d’ajustement entraîne une réorganisation des rôles et des responsabilités de chacun·e. Les partenaires doivent notamment concilier leurs identités de conjoint·e·s et de parents. Plus facile à dire qu’à faire! En fait, la transition vers la parentalité donne une nouvelle dimension à la dynamique du couple. Celui-ci n’est plus seulement caractérisé par la relation amoureuse, mais également par une alliance parentale, soit la capacité des partenaires à coopérer pour le bien-être de l’enfant.
Cette alliance parentale, parallèlement à la relation entre les deux membres du couple, forme le socle sur lequel se bâtit la nouvelle structure familiale. Mais qu’en est-il lorsque les parents peinent à gérer ces deux aspects de manière équilibrée? Ce socle peut se fissurer. Le résultat? Des tensions croissantes, une érosion de l’intimité ou encore une communication inefficace. Si ces difficultés s’accumulent sans être résolues, elles peuvent créer un climat familial tendu qui, en plus de semer la zizanie dans le couple et d’affecter la qualité de ses pratiques parentales, peut mettre à mal le développement émotionnel et psychologique de l’enfant.
Comment cerner les besoins des parents débutants
Pour s’attaquer à la détresse que vivent certains couples en transition parentale, rien de vaut une psychothérapie. Et le plus tôt sera le mieux, soulignent les auteur·e·s. Or, à l’heure actuelle, les thérapeutes qui évaluent les parents et interviennent auprès de ceux-ci n’ont pas de protocoles spécifiques sur lesquels se fier.
Pour combler le manque de lignes directrices, l’équipe de recherche propose un programme qui met l’accent sur la complexité qui sous-tend le fait de devenir parent. Ce protocole cible aussi les facteurs susceptibles d’orienter la trajectoire des couples qui consultent. En fait, comme l’indique la recherche, l’adaptation à la parentalité dépend en partie d’une interaction complexe entre des facteurs d’ordre individuel, contextuel et relationnel. Des croyances personnelles sur la parentalité à la satisfaction sexuelle du couple en passant par les caractéristiques socio-économiques du foyer, établir un portrait global de la réalité des nouveaux parents avant d’entreprendre une thérapie est primordial.
Le processus d’évaluation développé par l’équipe de recherche invite également les spécialistes à faire usage de questionnaires permettant de mesurer des conceptions psychologiques de manière objective chez chacun·e des partenaires. En complément des autres méthodes utilisées, ce type d’outil peut aider à jauger les facteurs qui détériorent ou améliorent le rapport qu’a le couple avec sa transition parentale.
Cette approche d’évaluation multidimensionnelle permet aux thérapeutes de saisir pleinement les défis propres à chaque couple et donc, les objectifs à poursuivre dans le cadre de l’intervention. Prenons l’exemple de Charlotte et Valérie, qui rencontrent des difficultés dans la gestion des tâches ménagères et de la garde de leur enfant. Les résultats du programme d’évaluation peuvent conduire les thérapeutes à travailler sur la communication et la saine négociation entre elles.
Finalement, l’étape de l’évaluation sert à déterrer de potentielles contre-indications à la psychothérapie chez le couple, comme la présence de violence conjugale, d’idées suicidaires ou d’infidélité.
Intervenir efficacement auprès des couples parentaux en difficulté
Une fois l’évaluation complétée et les potentielles contre-indications écartées, l’accent est mis sur trois cibles d’intervention principales : l’éducation psychologique, l’amélioration de la communication, la maîtrise des pensées et des émotions ainsi que le renforcement de l’intimité et de la satisfaction sexuelle.
L’éducation psychologique sert d’une part à ramener les parents sur Terre en validant les expériences qu’ils vivent tout en normalisant leurs défis. Elle permet aussi de clarifier les attentes de chacun·e quant à la distribution des tâches et de la charge mentale liée aux soins du bébé. S’en suivent des exercices ou mises en situation invitant chaque partenaire à développer sa capacité à soutenir l’autre tout en étant capable de reconnaître le soutien qui lui est offert.
Véritable pierre angulaire de l’intervention auprès des nouveaux parents qui consultent, la mise en place d’une communication efficace donne le ton aux étapes suivantes du processus thérapeutique. En effet, avant d’aborder des problèmes plus complexes comme les difficultés sexuelles, les partenaires doivent d’abord apprendre à dialoguer de manière constructive. C’est par exemple le cas pour Mehdi et Sarah, qui peinent à retrouver le même niveau d’intimité qu’avant la naissance de leur fille. Ici, puisqu’il peut parfois être gênant d’aborder des sujets semblables, il est préférable que l’intervenant·e travaille d’abord à rendre la communication fluide entre les coparents avant qu’ils se lancent.
L’étape suivante, qui concerne la gestion des émotions et des processus mentaux, vise à aider les partenaires à comprendre et tempérer leurs propres réactions émotionnelles. Elle ouvre aussi la porte à des remises en question, particulièrement celles qui concernent les croyances ou les attentes irréalistes. Cette phase d’intervention est essentielle pour empêcher que les sentiments négatifs entraînent des conflits inutiles qui viennent affecter davantage la dynamique du couple.
Enfin, une fois ces bases solidifiées, l’intervention peut s’étendre aux aspects qui touchent l’intimité et la satisfaction sexuelle. Ce travail implique souvent de redécouvrir la connexion physique et émotionnelle tout en la transposant dans le contexte de la nouvelle dynamique parentale. L’objectif est d’aider les couples comme Mehdi et Sarah à naviguer ces changements et à retrouver une relation intime satisfaisante.
Ces cibles d’intervention, qui visent à solutionner des problèmes apparaissant au cours de la transition parentale, font partie d’un protocole d’intervention plus large ancré dans l’approche cognitivo-comportementale. Cette méthode se focalise sur l’identification et la correction des pensées et comportements problématiques tout en encourageant l’adoption de stratégies d’adaptation saines au sein du duo parental.
Demander de l’aide plus tôt que tard
Pour les nouveaux parents dont la trajectoire de couple déraille, une intervention psychothérapeutique précoce peut les aider à rebondir avant qu’il ne soit trop tard. À cette fin, le protocole développé par l’équipe de recherche permet d’aborder de front les défis émotionnels, relationnels et relatifs à la communication souvent exacerbée par la transition à la parentalité. Ce travail novateur offre de nouvelles lignes directrices aux thérapeutes qui souhaitent offrir des interventions plus adaptées et efficaces aux duos parentaux qui les sollicitent.