« La place d’une femme est à la maison, auprès des enfants. » Une vision qui choque de nos jours, mais qui était pourtant répandue il y a seulement quelques décennies. À cette époque, on s’attendait à ce qu’une femme mariée demeure au foyer et que son mari soit l’unique pourvoyeur de la famille. Les temps ont bien changé : les femmes ont quitté le foyer pour prendre d’assaut le marché du travail. Rapidement, le travail salarié est devenu un emblème d’émancipation féminine; le travail domestique, un obstacle à la libération des femmes.
Voilà le point de vue qu’adopte l’émission Femme d’aujourd’hui, diffusée sur les ondes de Radio-Canada entre 1965 et 1982. La série, qui compte plus de 3000 épisodes, offre des reportages, des tables rondes et des entrevues sur la « condition féminine ». Elle est reconnue pour avoir laissé une large place à la parole des femmes dites « ordinaires », plutôt qu’aux experts.
Les auteures de cette étude s’intéressent à la manière dont l’émission aborde le travail des femmes, à travers les reportages et les positions défendues par les animatrices et les participantes. Pour ce faire, elles retranscrivent et analysent 137 extraits portant sur le travail féminin (salarié et domestique), qu’elles classent par thématique (ex : discrimination, emploi, retour aux études, garderie, etc.).
Femmes au foyer : isolées et dépendantes?
Premier constat : Femme d’aujourd’hui adopte un parti pris pour le retour des mères en emploi et déprécie le statut des femmes au foyer. Les travailleuses salariées sont dépeintes sous un jour positif : elles sont autonomes, émancipées, etc. Tout le contraire de celles qui restent à la maison : isolées du monde extérieur et dépendantes de leur mari, tant financièrement que socialement.
Dans la majorité des cas, les femmes au foyer invitées à l’émission défendent leur choix en s’appuyant sur leur rôle de mère, plus valorisé par la société que les tâches domestiques.
« Confrontées à des discours qui occultent la valeur économique et sociale des tâches ménagères, ces femmes, loin d’admettre que leur choix de vie résulte de contraintes normatives, cherchent plutôt à le justifier en insistant sur ses dimensions les plus idéalisées. »
Parmi les extraits analysés, un seul traitait des tâches domestiques sous un angle positif, et les associait à un travail productif.
Injustice et discrimination
Bien que Femme d’aujourd’hui encourage le retour des femmes en emploi, elle n’idéalise pas non plus la situation des travailleuses. Les journalistes et les animatrices insistent, notamment, sur l’accès limité à certains postes « non traditionnels », ainsi que les écarts salariaux entre les femmes et les hommes.
« Faut-il rêver du jour où on ne s’étonnera plus de trouver une femme dans une situation à laquelle on n’est pas habitués? Pour l’instant, on souligne encore le fait qu’une femme puisse occuper un poste d’autorité. »
– Aline Desjardins, animatrice de l’émission, 1975.
L’émission dénonce également les injustices, la discrimination et le sexisme vécus par les travailleuses qui exercent des métiers typiquement féminins, comme serveuse, infirmière, ou secrétaire.
Qu’en est-il des femmes qui occupent des emplois traditionnellement masculins, comme ingénieure, ébéniste, conductrice d’autobus? D’après Femme d’aujourd’hui, elles peuvent avoir de la difficulté à se faire embaucher et doivent en plus surmonter d’autres obstacles, comme des réactions négatives de la part de leurs collègues ou de leur entourage.
Passé 40 ans…
Femme d’aujourd’hui traite régulièrement des difficultés d’intégration en emploi des mères. Les participantes interviewées dans le cadre de l’émission insistent sur leur désir de sortir de la sphère familiale pour se sentir autonomes et valorisées. Toutefois, comme le souligne une participante, plus les femmes demeurent longtemps au foyer, plus elles sont pénalisées sur le plan professionnel.
« C’est une femme, premier handicap. Deuxième handicap, c’est qu’elle a 40 ans. […] Elle a le handicap d’être mère de famille avec toutes les responsabilités. […] Elle a aussi le handicap de ne pas avoir d’expérience. »
– Suzanne, participante, 1981.
Selon plusieurs femmes interviewées, la quarantaine est perçue comme une sorte de « date butoir » au-delà de laquelle le retour sur le marché du travail se complexifie. Comme leurs enfants ont grandi, les mères plus âgées sont plus disponibles, mais elles se font reprocher leur manque d’expérience professionnelle. Sans compter que leur formation, si elles en ont reçu une, est devenue obsolète.
Plusieurs épisodes présentent des organismes qui viennent en aide aux mères de famille souhaitant réintégrer le marché du travail, afin de les aider à surmonter ces défis.
Et l’opinion des hommes dans tout ça?
L’émission s’est également intéressée au point de vue des hommes sur le travail salarié des femmes mariées. Dans un vox pop réalisé en 1970, les plus jeunes se disent relativement ouverts à l’idée. Certains hommes un peu plus âgés, par contre, sont contre l’idée que leur conjointe exerce un métier puisque, selon eux, une mère devrait être à la maison pour s’occuper de ses enfants. L’idée qu’un homme devrait « pouvoir faire vivre sa femme » était alors bien répandue.
« Un gars qui n’est pas capable de faire vivre une femme, y’é mieux d’pas en prendre. »
– Un homme interviewé pour l’émission Femme d’aujourd’hui, 1970.
Les garderies : un sujet controversé
L’accès à des services de garde abordables est, bien entendu, un facteur pouvant faciliter le retour des mères en emploi. Cet enjeu est souvent abordé dans l’émission, notamment sous l’angle du manque de services de garde, du coût prohibitif des services existants et de l’absence d’un financement approprié de la part de l’État.
« Le besoin est criant. Deux cent cinquante garderies seraient utiles et nécessaires en cette province. Pendant que les gouvernements réfléchissent, les parents souffrent d’un manque d’apport et de soutien du gouvernement provincial au sujet des garderies. »
– Aline Desjardins, animatrice, 1977.
Le thème est pourtant loin de faire l’unanimité chez les participantes interviewées : certaines d’entre elles, qui s’identifient fortement à leur rôle de mère, sont réticentes à l’idée que « d’autres puissent élever leurs enfants à leur place ».
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis, avec la mise en place du réseau de services de garde subventionné dans les années 1990.
Vers une reconnaissance du travail invisible?
Cette étude met en lumière tout ce qui a été accompli dans les dernières décennies, mais également les défis à venir pour améliorer les conditions des femmes. L’émission Femme d’aujourd’hui adhère aux idées féministes de son temps, qui considèrent l’accession au marché du travail comme une condition d’émancipation des femmes.
Contrairement aux autres émissions féminines de l’époque, la série évite d’aborder le sujet des tâches ménagères, voire le dévalorise, peut-être pour éviter de perpétrer une vision conservatrice du rôle des femmes. Pourtant, comme le soulignent les auteures, ce travail invisible constitue un obstacle à l’insertion des femmes en emploi.
De nos jours, on assiste à un retour du balancier : la reconnaissance du travail domestique est au cœur des luttes féministes contemporaines. Certaines féministes croient qu’il faudrait reconnaître la valeur sociale et économique de ce travail invisible, encore en majeure partie assumée par les femmes, par la mise en place, par exemple, d’une rémunération directe de l’État.