Public ou privé? Régulier ou enrichi? École du quartier ou école éloignée? Choisir l’école à laquelle son enfant entamera le secondaire peut être un véritable casse-tête. Les options sont parfois si nombreuses! Mais est-ce vraiment une réalité pour tous les parents? Pour ceux dont les jeunes ont des besoins particuliers, la question est encore plus complexe! Trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H), difficultés de langage à l’écrit, trouble d’opposition, syndrome de Gilles de la Tourette, et autres conditions; les jeunes vivant avec ces particularités sont souvent restreint·e·s dans leurs possibilités lorsque vient le temps de choisir leur école secondaire. En plus des différents défis personnels et académiques vécus par leur enfant, les expériences personnelles des parents, leurs opinions et leurs préférences peuvent aussi s’ajouter comme pièce au casse-tête.
À partir d’un projet de recherche de grande envergure portant sur les étapes et les critères impliqués dans le choix d’une école secondaire, Justine Castonguay-Payant, doctorante en éducation à l’Université de Montréal, se penche sur la sélection de l’école secondaire d’élèves à besoins particuliers (BP), d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA). Pour ce faire, la jeune chercheuse étudie les résultats de 15 entrevues de mères demeurant dans la grande région de Montréal, et rencontrées avant la transition de l’école primaire à l’école secondaire. L’influence de circonstances familiales, personnelles, sociales, scolaires, institutionnelles et résidentielles dans la vie des parents est aussi étudiée. L’analyse de l’ensemble de ces données, comparé à celles présentés dans la recherche d’origine (recueillies auprès de parents d’élèves sans besoins particuliers, handicaps ou difficultés d’adaptation ou d’apprentissage) est sans équivoque : si le choix d’une école secondaire est effectivement un casse-tête pour la majorité des parents, certaines situations comptent plus de morceaux que d’autres!
Public, privé, marché : une représentation de la société?
Historiquement, si Montréal est la ville aux 100 clochers, sa grande région est celle aux 100 écoles secondaires! Toutes proposent différents programmes et services pour répondre aux attentes des élèves et de leurs parents. Mais c’est aussi cette grande diversité de l’offre qui crée le « marché scolaire ». Bien qu’il soit profitable pour certain·e·s, ce marché peut aussi perpétuer des inégalités sociales en différenciant l’offre de services accessible aux jeunes, notamment pour celles et ceux ayant des besoins particuliers.
En effet, les longs processus de sélection ainsi que les coûts élevés de certaines écoles, ne correspondent pas toujours aux réalités de ces jeunes qui ne suivent pas le cheminent scolaire régulier. Ce sont donc avec des contraintes de temps et d’argent que démarrent la sélection effectuée par la grande majorité de parents d’élèves à besoins particuliers rencontrés. Un exemple? Les écoles privées – financièrement plus exigeantes – disparaissent rapidement de leur liste. Face à ce choix – ou plutôt, à ce manque de choix – certains parents éprouvent une déception scolaire et sociale face à la trajectoire qu’aura la possibilité de suivre leur enfant.
Réussir, synonyme de s’épanouir?
« Je veux que tu deviennes médecin ou encore, avocat! ». C’est inévitable, plusieurs parents ont des attentes plus ou moins réalistes quant à l’avenir de leur enfant, et ce, dès l’adolescence! Les parents d’enfants sans besoins particuliers ont espèrent souvent voir leur jeune aller à l’école longtemps. Cependant, lorsque les parents réalisent les difficultés de leurs enfants ayant des BP, ils planifient de manière plus modeste le parcours scolaire de ceux-ci, en diminuant leurs attentes. Bien souvent, la notion de « réussite » est alors définie par l’atteinte de la note de passage ou encore proportionnelle à l’effort fourni.
« C’est sûr que j’attendrai jamais d’elle des 90-95, mais elle est capable de passer, là, tu sais. »
Julie, mère d’une fille avec statut EHDAA
En plus de baisser leurs attentes, les parents de ces jeunes mettent fréquemment dans leurs critères la recherche d’un·e « bon·ne enseignant·e » qui tiendra leur enfant loin de l’échec scolaire. En plus de la réussite académique, le lien affectif créé par cette personne avec le ou la jeune est un aspect important dans le choix de l’école. Cette quête d’un·e bon·ne enseignant·e, c’est aussi la quête de « bonnes conditions d’apprentissage » qui permettront de vivre un passage au secondaire en douceur.
« [A]vec son TDAH, c’était important pour moi d’avoir une école… où je savais qu’il allait être bien encadré. »
Yasmine, mère d’un garçon TDAH
Il va sans dire : la motivation est un enjeu important durant la scolarité des jeunes au secondaire. Les parents d’enfants à besoins particuliers en sont conscients. Chaque jour, ils mesurent l’impact de ces difficultés dans la scolarisation de leurs jeunes, et ne perdent pas de vue qu’une baisse de motivation scolaire peut être une conséquence possible de ces difficultés. L’espoir envers la trajectoire de vie souhaitée pour leurs jeunes peut laisser place à l’inquiétude si les conditions de fonctionnement de l’école secondaire ne sont pas adaptées à leur réussite.
Cela dit, bien que la réussite scolaire soit un aspect important dans le choix de l’école, les parents de jeunes avec ou sans BP mettent en priorité le bonheur et l’épanouissement que l’école pourra procurer à leur enfant.
Orienter l’amitié : l’influence méconnue des parents
L’environnement de l’école est aussi une case à cocher sur la liste des parents de jeunes à BP lors de la sélection. Certains nomment l’importance d’une ressemblance entre les valeurs et les modes de vie inculqués au sein de la famille, et ceux des élèves fréquentant la même école. L’objectif? Offrir des relations amicales épanouissantes à leurs jeunes et éviter les fréquentations qui pourraient nuire à la réussite scolaire. En choisissant certaines écoles par le prisme des élèves qui la fréquentent, les parents s’assurent d’avoir un « droit de regard » sur les autres jeunes qui gravitent autour de leurs enfants. Par le fait même, ils influencent également la vie sociale et scolaire de leur progéniture.
S’éloigner pour mieux… s’éduquer?
Déménager : c’est la stratégie qui est le plus souvent utilisée par les parents d’enfants à besoins particuliers pour élargir l’éventail de choix d’école. Parfois, celle-ci est motivée par le désir d’éviter l’école publique du quartier ou encore d’obtenir des services (comme des programmes adaptés, une grande disponibilité des intervenant·e·s, etc.) qu’exigent les besoins particuliers des jeunes. Dans certains cas, ce sont des aspects scolaires, professionnels et personnels de la vie des parents qui guident le choix d’école secondaire.
« L’école de quartier publique c’est Saint-Luc. Mon frère est allé à Saint-Luc, il s’est fait tabasser, il a lâché l’école, il a dû reprendre son secondaire à l’école d’adultes le soir, il se faisait taper dessus […] je ne peux juste pas [inscrire mon enfant dans cette école]. Je ne peux pas, voilà! »
Chantal, mère d’une fille avec statut EHDAA
Que ce soit dans le but de répondre aux besoins particuliers de leurs jeunes ou pour éviter une reproduction de l’histoire familiale, l’emplacement de l’école est un autre critère considéré par les parents.
La pièce manquante au casse-tête, c’est la fierté!
Pour tous les parents rencontrés, le choix du milieu scolaire s’articule autour de considérations académiques, sociales et personnelles. À leurs aspirations pour leur enfant et leurs opinions personnelles s’ajoutent les contraintes du marché scolaire, menant à un choix drastiquement réduit d’écoles. Néanmoins, de ce nombre restreint peut parfois émerger l’école secondaire parfaite! S’il n’est pas possible pour tous les parents d’avoir les mêmes attentes face à la scolarité de leurs enfants, cette étude permet de démontrer que les parents d’enfants à BP en sont conscients et choisissent l’école qui a le plus de chances de les mener à la réussite scolaire, de diminuer les risques d’échec et de favoriser leur bien-être! Avec un pas de recul, il est important de se rappeler qu’en adaptant nos attentes, peu importe le nombre de pièces, la fierté d’accomplir un casse-tête est la même!