Les pères agriculteurs font face à plusieurs défis, la conciliation famille-travail, notamment. En effet, leurs responsabilités professionnelles peuvent entrer en conflit avec leurs responsabilités parentales. Si l’engagement paternel se définit comme « la participation et la préoccupation continues du père […] à l’égard du développement et du bien-être physique et psychologique de son enfant1», il peut s’exprimer de façons bien différentes! Qu’est-ce que l’engagement paternel pour les pères agriculteurs? De quelle façon expriment-ils leur engagement auprès de leur(s) enfant(s)? Lorsqu’on leur demande de partager leur expérience, ces papas identifient certains éléments déterminants. Leur implication dans les différentes tâches ménagères et dans les soins aux enfants semble dépendre à la fois de leurs caractéristiques personnelles, mais aussi de celles de leur famille et de leur environnement.
Gabriel Gingras-Lacroix et Oscar Labra de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue s’intéressent à la nature de l’engagement paternel des pères agriculteurs abitibiens. Quatorze agriculteurs habitants sur ce territoire et qui occupent un rôle paternel auprès d’au moins un enfant âgé entre 0 et 5 ans sont interrogés. Les éléments suivants sont identifiés comme étant déterminants de leur engagement paternel : le sentiment de compétence parental, le statut d’emploi de leur conjointe, la coparentalité, le partage du pouvoir au sein du couple, le temps de travail et l’aménagement de ce dernier. Les pères sont d’avis que leur présence auprès des enfants occupe une place centrale dans leur engagement.
Se sentir compétent, c’est important!
Premier facteur influençant l’engagement paternel des agriculteurs? Leur sentiment de compétence parental. Lorsqu’ils sont sondés au sujet de leur vécu en lien avec leur engagement auprès de leur(s) enfant(s), les pères nomment les responsabilités qui leur reviennent. L’ensemble s’entend sur le fait qu’être présent activement est une responsabilité importante. Pour la moitié des participants, cela veut dire être en interaction directe avec le ou les enfants; être simplement présent dans le même espace ne suffit pas.
« Si tu es toujours sur ton cellulaire ou la télévision et que tu n’interagis pas avec tes enfants, ce n’est pas correct. » – Participant 2
Mais les grandes responsabilités qu’ils doivent assumer en lien avec l’entreprise agricole ne leur permettent pas toujours d’être aussi présents qu’ils le voudraient. Pour remédier à cette situation, certains invitent les enfants à venir travailler avec eux. Cela peut toutefois demander des ajustements. L’un d’eux a d’ailleurs adapté son tracteur afin d’y installer un siège pour enfant! Onze pères sont d’avis que la participation au travail agricole permet aux enfants de développer autonomie, entraide et débrouillardise. La présence des enfants vient cependant avec certains dangers qui s’accompagnent de responsabilités supplémentaires pour les pères, comme la sensibilisation aux dangers possibles et la prévention face aux potentiels accidents.
Répondre aux besoins de base (les loger, les nourrir, les vêtir) est une seconde responsabilité importante nommée par les pères. Ces derniers parlent aussi de la nécessité de répondre à leurs besoins socioémotionnels.
« Il faut être en mesure de le dire verbalement qu’on s’aime. Un câlin, un bec sur le front. Moi je trouve que ces gestes-là c’est important. » – Participant 3
Être à l’écoute de ses enfants, de leurs émotions, de leurs idées et de leurs perceptions des choses, fait aussi partie de leur engagement, tout comme de s’assurer de leur bien-être physiologique et psychologique.
« Le côté psychologique aussi, c’est les voir heureux. […] Qu’ils puissent s’épanouir à leur façon. » – Participant 13
L’éducation des enfants s’ajoute finalement à la liste. Pour plusieurs pères, cela veut dire « leur montrer des choses ». Certains veulent les instruire à propos de la nature et de l’agriculture. D’autres ont à cœur de les aider à développer des habiletés sportives et d’autres encore considèrent qu’il est important de les accompagner afin qu’ils développent de la débrouillardise. Quelques-uns sont d’avis que l’éducation implique aussi d’offrir un encadrement, d’assurer la discipline et d’être intégré à la prise de décisions lorsqu’elles concernent la gestion des comportements.
Les pères interrogés s’entendent tous sur l’importance d’être un mentor pour leur(s) enfant(s), c’est-à-dire de leur transmettre des valeurs. Pour deux pères, il ne s’agit pas seulement de leur inculquer ces valeurs, mais aussi de les incarner, c’est-à-dire de leur enseigner « par l’exemple ».

Se considèrent-ils en mesure de prendre en charge toutes ces responsabilités? Qu’est-ce qui affecte le sentiment d’être un père compétent ou non? D’abord, le temps passé avec la famille. La moitié des pères se disent insatisfaits du temps qu’ils passent avec les enfants versus le temps qu’ils consacrent à l’entreprise. Le fait de détenir peu de connaissances sur le développement de l’enfant et de devoir apprendre à être père par l’expérience se présente comme un autre élément pouvant affecter leur sentiment de compétence. Trois pères sont d’avis qu’on devient un meilleur parent avec le temps et, donc, que cette compétence peut s’améliorer. Certains se basent sur les efforts qu’ils fournissent ainsi que les retombées de leur implication chez leur(s) enfant(s) pour évaluer leurs compétences paternelles.

Ménage et soins aux enfants, qui fait quoi?
Le statut d’emploi et les contraintes de travail de la mère semblent avoir un impact important sur l’engagement paternel. Lorsque leur conjointe est mère à la maison ou en congé (maternité, parental ou maladie), les pères en profitent pour s’impliquer davantage dans l’entreprise. Les conjointes sont alors plus présentes auprès des enfants. Trois mères sont impliquées dans l’entreprise et travaillent avec leur conjoint. Pour ces familles, le partage des responsabilités (familiales et professionnelles) se fait de façon plus égalitaire.
L’aménagement du temps de travail des agriculteurs agit également sur leur engagement auprès des enfants et peut complexifier la conciliation famille-travail. Puisqu’il s’agit d’un travail saisonnier, leur niveau de présence et de disponibilité peut varier en fonction des saisons et des périodes de l’année. Le temps passé au travail peut aussi dépendre des animaux avec lesquels certains pères travaillent et qui peuvent avoir des besoins à combler à des moments bien spécifiques, les vaches qu’il faut nourrir et traire, par exemple.
La relation coparentale a, elle aussi, une incidence. Plusieurs pères parlent d’entraide et de travail d’équipe lorsqu’ils sont questionnés sur le partage des responsabilités familiales, comme les tâches ménagères et les soins aux enfants. Certains affirment toutefois que leur conjointe en fait plus. Pour une première moitié des participants, les tâches ne sont pas attitrées à l’un ou l’autre, mais sont réparties en fonction des disponibilités. Pour l’autre moitié, les tâches sont plutôt distribuées entre les partenaires en fonction des forces de chacun·e.
Et les soins aux enfants? La plupart des pères affirment que le partage de ces responsabilités se fait en fonction de l’horaire et des contraintes liées au travail de l’un·e ou de l’autre.
« Si la petite est malade, on va regarder moi et ma conjointe qui est disponible pour s’en occuper. » – Participant 4
Pour 7 pères, ces décisions sont prises en fonction des contraintes associées au travail agricole.
« Quand je suis dans les vêlages, c’est certain que je ne peux pas me libérer parce que les vaches n’attendront pas après moi. » – Participant 2
Pour 2 autres, les responsabilités sont divisées selon les jours de la semaine. Une journée c’est l’un·e des membres du couple qui assure les responsabilités de l’entreprise et l’autre, celles relatives aux enfants et vice-versa.
Une majorité de pères affirment que la prise de décisions relatives aux enfants est un « travail d’équipe ». Les parents discutent pour arriver à un consensus. Pour 8 pères, cette collaboration est facilitée par le partage d’une vision commune avec leurs conjointes. Seulement 2 participants affirment que les décisions concernant les enfants appartiennent davantage à leur conjointe. Certains reconnaissent d’ailleurs que celle-ci est plus engagée dans les questions relatives à la santé des enfants.
Pour une plus grande implication des papas
Comment faciliter l’engagement des pères agriculteurs? Puisque ces derniers semblent moins engagés dans les soins de santé de leur(s) enfant(s), les différents professionnel·le·s pourraient travailler à impliquer davantage les pères dans les rendez-vous de suivi, en sollicitant leur présence et en étant plus flexibles dans l’offre de rendez-vous, par exemple. Des activités de sensibilisation menées par des organisations œuvrant auprès des familles pourraient également leur être proposées. Cela permettrait à ces papas d’augmenter leurs connaissances en lien avec le développement et les besoins de leur(s) enfant(s) et d’améliorer leur sentiment de compétence parentale. Il appert, finalement, que la réalité des travailleurs agricoles s’arrime mal aux programmes de congé de paternité et parental. Pour leur donner la possibilité de passer plus de temps en famille et de se libérer plus facilement, mettre en place des ressources et des programmes plus adaptés à leur contexte d’emploi semble être une piste de solution pour une implication plus soutenue auprès des enfants.
- Dubeau et al., 2009, p. 75 dans Gingras-Lacroix et Labra, 2024. ↩︎
Pour consulter nos textes et infographies sur des sujets connexes :
- Portrait de famille. Parents agriculteurs, comment parviennent-ils à concilier famille et travail? (infographie, format PDF)
- Les rôles des pères, au-delà des clichés! (texte illustré, format web)