La scène est aussi révélatrice qu’elle est commune. Sabrina et sa copine Marie ont leur première dispute. Rapidement, Sabrina quitte la pièce. Elle est déjà dans sa tête, prête à tout quitter et à faire ses valises. Qu’est-ce qui fait en sorte que Sabrina s’est fermée comme une huître ? Se pourrait-il que la clé se trouve dans l’enfance, plus précisément dans ses expériences traumatisantes ? Lorsque l’on sait que la plupart des adultes ont connu au moins un type de trauma dans leur enfance, allant de l’intimidation à la mort d’un être cher en passant par la violence, c’est une explication qui se vaut. Alors, comment ces expériences peuvent-elles influencer les relations amoureuses ?
Natacha Godbout, chercheuse au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal, et son équipe se penchent sur le lien entre le trauma cumulatif en enfance, la satisfaction du couple et l’influence de la présence attentive, soit notre capacité à prêter attention au moment présent de manière délibérée et sans jugement. Pour ce faire, son équipe fait appel à 330 personnes en couple ayant répondu à un questionnaire, dont 288 ont subi au moins une forme de trauma interpersonnel en enfance. Parmi les premières constatations de l’étude ? Les survivants et survivantes qui ont davantage de facilité à être dans le moment présent semblent vivre une relation de couple plus satisfaisante.
Enfance traumatisée ? Amour adulte perturbé
« Trauma cumulatif à l’enfance » : derrière ces termes troublants se cache une expérience tout aussi perturbante pour l’enfant. Alors que les traumas à l’enfance font référence à l’abus physique, psychologique ou sexuel d’un enfant, les traumas cumulatifs traduisent l’accumulation de ces traumas chez un seul enfant. Par exemple, une enfant peut avoir été victime de négligence physique et de violence psychologique de la part de ses parents. Un autre peut avoir été victime d’une agression sexuelle par un proche de la famille, puis d’intimidation à l’école. L’étude de Godbout et ses collègues rapportent que près de neuf participants sur dix affirment avoir vécu au moins une forme de trauma en enfance, avec une moyenne de trois traumas en enfance par participant. Ces résultats vont dans le même sens que les études précédentes portant sur la population générale.
La différence entre un trauma interpersonnel et les traumas cumulatifs en enfance :
Quels sont leurs effets une fois adulte ? Sans surprise, ils marquent durement les rapports sociaux, y compris en amour. L’équipe de recherche évoque d’autres études qui constatent que les survivants et survivantes peinent à bâtir leur confiance, indispensable à une histoire amoureuse saine, à tel point que leur taux de divorce est deux fois plus élevé. C’est bien simple : les répercussions semblent telles que certaines victimes préfèrent éviter de s’engager dans des relations amoureuses de peur d’être blessées ou de revivre leur traumatisme.
D’autres facteurs comme l’âge au moment de l’abus, le lien avec la personne qui commet l’abus ou leur position de vulnérabilité par rapport à cette personne (membre de la famille, proche de la famille, membre du corps professoral ou sportif) affectent également les capacités à entretenir des relations amoureuses.
La présence attentive pour contrer les effets des traumas ?
Éviter d’être vulnérable pour se protéger, c’est aussi risquer de ne jamais connaître de relations amoureuses épanouies. Et c’est précisément la dure réalité avec laquelle certaines personnes qui ont subi un trauma dans leur enfance sont amenées à composer. Godbout et ses collègues constatent que les victimes de traumas cumulatifs en enfance sont davantage dans le désengagement et dans l’évitement puisqu’elles ont généralement une moins grande capacité à être dans le moment présent, ainsi qu’à vivre leurs émotions et pensées sans les juger.
Comment s’en sortir ? La clé pourrait se trouver dans la présence attentive (aussi connue sous son appellation anglaise mindfulness), cette capacité d’une personne à prêter attention au moment présent de manière délibérée et sans jugement. Au lieu de fuir ses émotions comme la peste, elle permet de donner un sens aux souvenirs et de se réadapter sainement après les traumas. La bonne nouvelle ? La présence attentive, ça se travaille !
Selon l’équipe de recherche, être capable de décrire et d’accepter son expérience sans jugement pourrait avoir des effets bénéfiques sur les relations de couple. Par exemple, Sabrina pourrait décrire à sa partenaire Marie ce qui se passe dans sa tête lorsqu’elles ont un conflit, lui expliquer ses émotions et ses pensées intrusives. En étant en mesure de verbaliser son mal-être, elle pourrait être mieux comprise et soutenue par son amoureuse. Quant à sa relation de couple, elle n’en serait que meilleure !
La communication, c’est essentiel !
Communication égale meilleure relation ? Oui, et cela est d’autant plus vrai pour les victimes qui ont appris à refouler leurs pensées et leurs émotions. Grâce à la présence attentive, elles peuvent mettre des mots sur leurs ressentis et leurs sensations physiques, sans les teinter de jugement. Plus facile à dire qu’à faire ! Des outils existent pour apprendre à pratiquer la présence attentive. Parmi elles, la communication non violente qui permet de mieux recevoir les propos de notre partenaire, et de mieux communiquer nos besoins, ou encore la méditation d’autocompassion pour apprendre à mieux percevoir nos expériences internes, et mieux les exprimer à notre partenaire.