À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marie-Ève Clément, Annie Bérubé, Mélissa Goulet et Sonia Hélie, « Family Profiles in Child Neglect Cases Substantiated by Child Protection Services », publié en 2020 dans Child Indicators Research, vol. 13, p. 433-454.

  • Faits saillants

  • La négligence parentale peut se décliner en cinq profils familiaux : enfants difficiles, parents fragilisés, familles isolées, familles en détresse et enfants à besoins particuliers.
  • Parmi les profils de négligence parentale, la majorité des familles (64 %) font partie du sous-groupe « parents fragilisés », qui comprend souvent des parents plus permissifs et ayant des problèmes de consommation.
  • Dans un contexte de négligence parentale, près d’une famille sur cinq (18 %) s’inscrit dans le profil « familles en détresse », où s’entremêlent les problèmes de santé mentale des parents, les problèmes neurodéveloppementaux des enfants et la précarité financière.
  • Comme il existe plusieurs profils de négligence parentale, il importe d’adapter les mécanismes de prévention aux besoins spécifiques des familles qui font l’objet d’un signalement à la DPJ.

Par manque de ressources ou en raison de difficultés personnelles, certains parents ne parviennent pas à répondre adéquatement aux besoins de leur enfant. Cette absence de gestes garants de son bien-être a un nom : la négligence parentale. S’il s’agit de la forme de maltraitance la plus souvent signalée aux services de protection de la jeunesse, c’est aussi l’une des plus néfastes pour le développement des enfants. Insidieuse et souvent très subtile, la négligence est loin d’être homogène et prend de multiples visages. 

C’est la conclusion d’une étude de Marie-Ève Clément, Annie Bérubé et Mélissa Goulet du département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais, et de Sonia Hélie de l’Institut universitaire Jeunes en difficulté. Après avoir analysé les dossiers de 1 123 enfants québécois âgés de 0 à 17 ans signalés à la DPJ pour négligence parentale, elles identifient cinq profils familiaux : parents fragilisés, familles en détresse, familles isolées, enfants à besoins élevés et enfants difficiles[1].

Parents fragilisés : mieux vaut prévenir que guérir

Abus de substances et attitudes parentales permissives : voilà ce qui caractérise le quotidien de la majorité des familles signalées (64 % des cas). Malgré tout, les enfants de ce profil se portent relativement bien : ils présentent rarement des problèmes cognitifs, scolaires, de santé ou d’attachement. 

Si les parents n’ont pas vraiment de difficultés financières ou de santé, le tiers souffre de problèmes de consommation et sont généralement plus laxistes (ex. : ne donnent pas de limites ou de règles claires à l’enfant). C’est là où le bât blesse : comme le soulignent les chercheuses, les enfants qui manquent d’encadrement sont plus à risque de devenir autonomes trop rapidement et donc de développer divers problèmes en grandissant (ex. : difficultés scolaires, abus de substances, comportements sexuels à risque, etc.). Une attention toute spéciale devrait donc être portée au niveau de la prévention afin d’éviter que ces enfants ne développent des difficultés dans le futur, notamment en les référant à des services sociaux et de santé avant même l’apparition de problèmes. 

Familles en détresse : assez, c’est assez !

Un mélange explosif de difficultés personnelles bouleverse l’exercice de la parentalité pour pratiquement une famille sur cinq (18 %). Près du tiers des parents qui correspondent à ce profil souffrent de problèmes de consommation, la moitié de problèmes de santé mentale, et pour plusieurs d’entre eux, les fins de mois difficiles ne leur permettent pas toujours de subvenir aux besoins de base de leur progéniture. 

Finalement, la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien ébréché : la grande majorité des enfants de ce groupe (85 %) présentent des problèmes neurodéveloppementaux (ex. : autisme, déficience intellectuelle, trouble déficitaire de l’attention, etc.). Les enfants grandissant dans ces familles sont souvent très jeunes au moment du signalement et sont donc particulièrement vulnérables à la négligence parentale. Ils sont d’ailleurs plus à risque d’être délaissés sur le plan physique (ex. : alimentation ou vêtements inappropriés, conditions de vie insalubres). D’après les auteures, il importe d’offrir une aide supplémentaire (ex. : services sociaux) aux familles moins bien nanties, puisque le soutien de leur communauté fait souvent défaut. 

Familles isolées : quand on n’a pas de réseau… 

Lorsqu’un parent est seul à coordonner la vie familiale, tout est plus complexe ! Un peu plus d’une famille sur dix (12 %) fait partie du profil « familles isolées », et peut donc rarement compter sur le soutien des proches ou de la communauté. En première ligne ? Souvent des familles monoparentales ou des couples dont la relation bat de l’aile.  

Comme s’il n’était pas déjà assez difficile d’être à la tête d’une famille monoparentale, les parents de ce profil doivent très souvent composer avec les difficultés cognitives, les problèmes de santé mentale (ex. : anxiété, dépression) et d’attachement de leurs enfants. Résultat : épuisés et isolés, ils deviennent très permissifs. La conséquence ? Ils peuvent aller jusqu’à se désengager de leurs responsabilités parentales, par exemple en offrant peu d’attention ou d’affection à leur enfant. Comme le soulignent les chercheuses, les parents ne devraient pas être laissés à eux-mêmes pour répondre aux besoins de leurs enfants. Il importe donc de faire le lien entre ces familles et les services tant formels (ex. : travailleur social, psychologue) qu’informels (ex. : voisinage). 

Enfants à besoins élevés : des services… à condition d’en avoir les moyens

Avoir un enfant aux prises avec un handicap peut être extrêmement accaparant. Dans cette étude, une minorité de familles (4 %) s’inscrit dans la catégorie « enfants à besoins élevés », autrement dit qui souffrent de graves problèmes physiques ou neurodéveloppementaux nécessitant une attention médicale de tous les instants. Ces enfants sont généralement plus jeunes (6 ans en moyenne) et grandissent avec leurs deux parents. 

À leur besoin criant de services spécialisés s’ajoute la précarité financière des parents, ce qui pourrait expliquer pourquoi ils sont plus souvent victimes de négligence médicale ou physique. Pas étonnant, alors, que ces familles soient les plus référées aux services sociaux et de santé à la suite du signalement. 

Enfants difficiles : entre problèmes de comportement et difficultés scolaires

Avoir un enfant qui s’oppose aux consignes en classe, qui est irrespectueux envers son enseignante et qui n’écoute rien à la maison : c’est le lot d’une minorité de familles qui font l’objet d’un signalement à la DPJ (2 %). Il s’agit surtout de familles monoparentales dans lesquelles grandissent des enfants plus âgés, généralement des garçons, ayant de graves troubles de comportement et des difficultés sur le plan scolaire.  

Ici, la négligence se situe sur le plan éducatif (ex. : manque d’encadrement ou de surveillance). Selon les chercheuses, la monoparentalité et le manque de soutien peuvent faire en sorte que les parents peinent à encadrer suffisamment leurs enfants. Ce contexte délicat devient alors un terreau fertile pour le développement de problèmes de comportement. Pourtant, en dépit de ces difficultés, ces familles sont rarement orientées vers des services après le signalement à la DPJ. Pourquoi ? Parmi toutes les explications possibles, celle selon laquelle les services seraient inadéquats pourrait être une première piste, expliquent les chercheuses.

Ça prend tout un village… 

Mieux comprendre les multiples visages de la négligence parentale, c’est aussi une manière d’adapter les interventions aux besoins spécifiques des familles qui font l’objet d’un signalement à la DPJ. Le soutien du voisinage, un précieux facteur de protection, est souvent moindre pour les familles à faibles revenus. Comme le démontrent d’autres études[2], l’entraide dans les quartiers où les familles sont moins nanties ne semble pas suffisante pour offrir aux enfants un environnement protecteur. Pour pallier cette difficulté, les chercheuses soulignent l’importance d’offrir une aide particulière aux familles ayant des conditions de vie plus précaires, puisqu’elles ne peuvent pas toujours compter sur le soutien de leur communauté.


[1] Dans l’article, rédigé en anglais, les auteures utilisent respectivement les termes difficult children, fragilized parents, isolated families, distressed families et high-need children

[2] Maguire-Jack et Font (2017). « Community and Individual Risk Factors for Physical Child Abuse and Child Neglect: Variations by Poverty Status », Child Maltreatment, vol. 22, nº 3.