À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Femke Scheffers, Eveline van Vugt, Nadine Lanctôt et Annie Lemieux, « Experiences of (young) women after out of home placement: An examination of personality disorder symptoms through the lens of child maltreatment », publié en 2019 dans Child Abuse & Neglect, vol. 92.

  • Faits saillants

  • Les centres jeunesse accueillent de nombreuses jeunes femmes victimes de négligence ou d’abus émotionnels.
  • Abus et négligence émotionnels à l’enfance sont les causes de nombreux troubles de la personnalité une fois adulte.
  • La détresse psychologique vécue à l’adolescence agit comme un catalyseur des troubles de la personnalité à l’âge adulte.

Marie a vécu une enfance difficile au sein de sa famille, une période marquée par les insultes et le sentiment de rejet. À l’âge adulte, ses expériences passées se traduisent en raisonnements et comportements qui défient la logique des personnes qui l’entourent. Méfiance exacerbée, hypersensibilité aux critiques, isolement : se pourrait-il que Marie vive avec un trouble de la personnalité, conséquence peu connue et pourtant très possible d’abus et de négligence à l’enfance?

Une équipe de chercheuses de l’Université d’Amsterdam et de l’Université de Sherbrooke étudient le lien entre la maltraitance à l’enfance et la présence de troubles de personnalité à l’âge adulte. Elles se basent sur des réponses recueillies dans le cadre d’une étude menée sur 182 jeunes filles résidant en Centre jeunesse à Montréal du milieu de l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte. Leur objectif? Comprendre comment la maltraitance vécue durant leur enfance influence l’apparition de symptômes de troubles de la personnalité et de détresse psychologique. Constat : les blessures émotionnelles ne sont que la pointe de l’iceberg de traumatismes complexes, mais leurs conséquences sont réelles et peuvent être à l’origine de troubles de la personnalité.

Cicatrices invisibles, séquelles visibles!

Une épidémie frappe les adolescentes en Centre jeunesse dès l’enfance à coup de mots blessants, d’absences répétées et de rires cruels. Ces actes sournois, mais bien présents ont un nom : abus et négligence émotionnels. Manque d’amour, d’encouragements, sentiment de ne pas exister aux yeux de leurs parents : cette négligence, le quart d’entre elles l’ont vécue. Un autre tiers rapporte de l’abus, se traduisant par des cris, un traitement de silence, des insultes, des comparaisons blessantes ou un dénigrement injustifié. Autant d’attaques invisibles qui sont ancrées dans la tête et le cœur des jeunes filles.

Véritable fléau, ces manquements et leurs conséquences sont pourtant peu étudiés chez les spécialistes. Pourquoi? Moins spectaculaires et visibles que les abus sexuels ou physiques, ou que la négligence physique, ils sont souvent oubliés, remarquent les autrices. La recherche récente montre pourtant qu’ils sont la porte d’entrée de plusieurs troubles de la personnalité. 

Tableau 1. Description des différents troubles de la personnalité

Des troubles nourris par des blessures d’enfance

Toutes les cicatrices de ces mauvais traitements ne s’envolent pas en fumée une fois franchi l’âge adulte. Leurs empreintes enveniment l’esprit et, chez certaines jeunes femmes, cela peut mener à l’apparition de troubles de la personnalité.

Ces troubles sont variés, mais plusieurs ont en commun de s’alimenter de mauvais traitements émotionnels vécus à l’enfance. Les symptômes de neuf troubles différents sont apparus chez les jeunes femmes qui ont vécu de l’abus émotionnel sévère à l’enfance. Quant à la négligence émotionnelle, elle semble seulement associée à l’apparition de symptômes du trouble de la personnalité limite. 

Comment expliquer ces liens entre maltraitance émotionnelle et trouble de la personnalité? Selon les chercheuses, ce pourrait être une question de schémas cognitifs, des croyances et des connaissances que tous développent tout au cours de notre vie, plus particulièrement à l’enfance. La maltraitance émotionnelle entraine des schémas de pensée négatifs, qui, à force de se répéter, s’enracinent dans la personnalité de celui ou celle qui les développe, et nuisent à son bon fonctionnement psychologique.

Que se passe-t-il ensuite? Les schémas cognitifs s’activent à l’occasion : la peur du ridicule avant une présentation, la méfiance en visitant un endroit inconnu, la honte lorsqu’on nous met une erreur sous le nez. En revanche, chez les personnes vivant avec un trouble de la personnalité, les autrices expliquent que ces schémas s’activent même lorsque ce n’est pas nécessaire. Un exemple? Une personne peut se sentir rejetée ou être sur ses gardes, même lorsqu’elle est entourée d’un groupe qui l’aime et la supporte[1].

Détresse psychologique, catalyseur des troubles de la personnalité?

Le dénominateur commun des troubles de la personnalité à l’âge adulte? La détresse psychologique subie dans la jeunesse, qui amplifie les symptômes. On mesure cette détresse par la présence de symptômes dépressifs ou anxieux, comme la solitude, le désespoir ou encore le fait de vouloir pleurer fréquemment. 

Pour les chercheuses, c’est d’abord un signe que plusieurs symptômes entre la détresse psychologique et les troubles de la personnalité se chevauchent. Mais ces symptômes à l’adolescence peuvent aussi être vus comme des signes précurseurs que quelque chose cloche et qu’il faut intervenir.

Lorsqu’elle se concentre sur les types de maltraitance – physique, sexuelle ou émotionnelle – l’équipe de recherche observe surtout de la détresse psychologique chez les victimes d’abus sexuel.

Du soutien pour toute situation

Les jeunes filles rencontrées vivent avec des traumatismes complexes qui affectent leur santé mentale. Pour les autrices, peu importe le diagnostic reçu – trauma, trouble de la personnalité ou épisode dépressif – les épisodes de maltraitance passés doivent être pris en compte, surtout la négligence et l’abus émotionnels, souvent oubliés lors des diagnostics. Mais en attendant, des premiers questionnements aux épisodes de crise, des ressources existent comme des lignes d’écoute en prévention du suicide, des organismes communautaires pour s’outiller et s’informer, de même que des regroupements pour les proches qui veulent accompagner un être cher en détresse.


[1] En complément avec cet article : http://www.psychomedia.qc.ca/trouble-de-la-personnalite/schemas-precoces-inadaptes-modele-cognitif