Ambitions de carrière, projets personnels, responsabilités familiales… Les jeunes parents d’aujourd’hui doivent jongler avec de nombreux projets, pas toujours compatibles. Cette « course à la performance » nécessite souvent de réévaluer leurs objectifs professionnels et personnels. Il est vrai que les hommes contribuent plus qu’auparavant aux soins des enfants, d’après une récente littérature scientifique. Pourtant, les jeunes mamans restent majoritairement chargées des travaux domestiques et des responsabilités familiales. Ce sont elles, finalement, qui font le plus de compromis pour faciliter leur présence auprès des enfants[1].
De quelles façons ces jeunes femmes s’engagent-elles dans leur double carrière de maman-travailleuse?
Dans le cadre du projet de recherche « Vies de familles rimouskoises », les auteurs ont rencontré 39 femmes ayant au moins un enfant en bas âge. La plupart travaillent, quelques-unes sont en congé de parentalité ou ont quitté leur emploi pour s’occuper de leurs enfants. Ces entretiens ont permis de dégager « trois parcours différents d’engagement dans la maternité » : les mères « traditionnelles » (20), « contemporaines » (9) et « alternatives » (10).
Mère avant tout
Les « traditionnelles » représentent une vision plutôt classique de la vie de famille, où la femme tient une place centrale. Leur épanouissement passe avant tout par leur rôle de mère. Fonder une famille est donc vécu comme une priorité.
« C’était comme un but dans ma vie. Je me disais vraiment que ma vie n’allait pas être réussie si je n’avais pas d’enfant. » – Travailleuse autonome, 1 enfant.
L’une des conditions de leur « idéal familial » est une présence importante auprès des enfants.
« Un papa présent, mais qui apporte du pain sur la table. Peut-être le père qui travaille pour nourrir sa famille pis la maman à la maison pour élever ses enfants. […] Puis, dans la limite du possible, avant deux ans, je n’enverrais pas mes enfants à la garderie. » – Mère à la maison, 4 enfants.
Les « traditionnelles » valorisent beaucoup les compromis professionnels et personnels, pour le bien-être de leurs enfants. La majorité occupe un emploi, mais selon des conditions plus souples que leur conjoint.
« [J]’avais appliqué en médecine, puis j’avais été acceptée, puis finalement, j’ai décidé de ne pas aller en médecine […]. J’avais envie d’avoir mon petit travail huit à quatre pour pouvoir m’occuper de ma famille puis avoir une qualité de vie […]. » – Physiothérapeute, 1 enfant.
Certaines témoignent de leur déception face à ce partage inégalitaire des rôles familiaux.
«[J]’ai réalisé que, dans notre société, on avait l’impression que les [hommes] en faisaient beaucoup plus que ce qui était la réalité […] avant d’avoir des enfants, on pense qu’il y a beaucoup de partage des tâches, puis que c’est la réalité dans très peu de familles… [J’ai diminué] mes attentes. » – Éducatrice à l’enfance, 3 enfants.
Ce profil représente la moitié des personnes interrogées. D’après les auteurs, le mode de recrutement (dans des parcs, centres de la petite enfance…) a pu influencer la composition de l’effectif. La majorité des femmes « traditionnelles » sont plus facilement disponibles et disposées à parler de leur vie familiale. Pourtant, d’après les études récentes et les constats des chercheurs, le profil le plus courant dans nos sociétés est plutôt celui des « contemporaines ».
Carrière et culpabilité
À l’inverse des « traditionnelles », les « contemporaines » ont plutôt tendance à donner la priorité à leur vie professionnelle. Leur carrière est au centre de leur épanouissement personnel.
« [Q]uand je suis avec eux-autres, je suis disponible, dans le sens que j’ai eu du temps pour moi. Je suis épanouie dans mon travail. Donc, quand je suis avec eux-autres, j’ai le goût d’être avec eux-autres. » – Enseignante au collégial, 3 enfants.
La plupart des « contemporaines » ont fait des études universitaires et occupent des emplois exigeants : médecin, vétérinaire, professeures d’université… Certaines pensaient même leur carrière incompatible avec un rôle de mère.
« Avant ça, je ne me voyais pas mère, pas du tout. […] On s’est rencontrés, j’étais jeune et il m’a dit qu’il voulait 4 enfants. […] La réponse que je lui ai donnée, c’est : tu te trouveras une autre lapine ! » – Médecin, 4 enfants.
Les conjoints des « contemporaines » sont généralement plus engagés dans la vie familiale que ceux des « traditionnelles ».
« Je lui ai comme laissé de la place, donc c’est un père impliqué. […] J’ai beaucoup d’amies qui m’envient, d’ailleurs. Parce que c’est un père très impliqué qui accepte de passer en deuxième. » – Enseignante au collégial, 3 enfants.
Cependant, certaines disent avoir revu leurs attentes à la baisse.
« [Avant d’avoir un enfant], on était plus comme égal à égal puis là, maintenant, c’est plus moi qui s’occupe de la maison puis [de notre enfant…] c’est quelque chose que je ne savais pas de lui. » – Vétérinaire, 1 enfant.
Même si elles prennent le soin d’aménager des moments de qualité avec leurs enfants, ces femmes qui renversent le rôle classique de mère au foyer ressentent parfois une certaine culpabilité.
« Pas sûre que je serais aussi heureuse que ça de dire que je travaille trois jours au lieu de cinq. Pas sûre que je pourrais. […] Sauf que, quand même, j’ai tout le temps […] ce petit sentiment de culpabilité : « Tabarouette, elle passe plus de temps [à la garderie] qu’avec nous autres dans une journée ! » » – Nutritionniste, 1 enfant et enceinte.
Équipe et équilibre
Les « alternatives » expriment, selon les auteurs, une vision de la vie marginale, par rapport aux autres groupes. Ces femmes se disent « conscientes de leurs limites à jouer tous leurs rôles à la perfection et à atteindre un équilibre ». Elles ont plutôt tendance à adapter leur rythme de vie en cours de route. Leur épanouissement personnel est une priorité.
« […] Je me voyais avoir ma trâlée d’enfants puis continuer de bouger puis de voyager, puis de faire ce que j’avais à faire, là. » – Étudiante au doctorat, 2 enfants.
Les « alternatives » se retrouvent souvent au sein de ménages ayant un revenu annuel moins élevé que dans les deux premiers groupes. Ces femmes ont un parcours moins planifié, avec moins de stabilité d’emploi, qui évolue selon les contraintes et besoins du moment, et ceux de leur entourage.
« [J]e travaillais entre mon baccalauréat puis [la naissance de] ma fille. […] Quand mon congé de maternité a terminé, j’ai voulu rester avec ma fille un peu plus longtemps, alors j’ai décidé : advienne que pourra, je vais me trouver autre chose. » – Étudiante à la maîtrise, 2 enfants.
Contrairement aux autres, les « alternatives » ne mentionnent ni déception ni résignation face à la répartition des rôles avec leur conjoint. Elles disent faire partie d’une « équipe ».
« C’est un bel équilibre entre le service de garde, le temps qu’on passe ensemble […]. C’est important pour nous d’avoir un travail, d’avoir des enfants, d’avoir des loisirs et une vie de couple. » – Entrepreneure, 3 enfants.
Trois profils, un enjeu
Qu’elles soient « traditionnelles », « contemporaines » ou « alternatives », les femmes témoignent toutes de certaines tensions ou de compromis. Elles portent le poids des idéaux de la « mère parfaite » et de la « super femme » de carrière émancipée. Plus souvent que leurs conjoints, elles révisent leurs objectifs de carrière, ou leurs projets personnels.
Les auteurs notent que certains environnements professionnels facilitent et même encouragent l’équilibre entre la vie professionnelle et familiale. Pour certaines mères moins chanceuses, la conciliation travail-famille est, au mieux, un défi à relever ou, au pire, l’occasion de faire des concessions. Dans ce dernier cas, un engagement fort dans la maternité les conduisent à réviser leurs objectifs de carrière, alors qu’un engagement dans la vie professionnelle mène à un réaménagement des autres sphères de leurs vies. Cela dit, ces contraintes viennent finalement des choix qu’elles ont faits et qu’elles assument.
Cela dit, les femmes rencontrées dans le cadre de cette étude profitent d’une situation socioéconomique relativement stable et avantageuse. Malgré les contraintes, elles bénéficient d’une marge de manœuvre beaucoup plus grande que d’autres, comme les mères monoparentales ou à faible revenu.
—————————————————
[1] Temblay, 2001, Fusilier et Tremblay, 2013, Kempeneers et Saint-Pierre, 1992