Depuis 2002 au Québec, les couples de même sexe peuvent se marier et être reconnus comme parents. Par exemple, deux femmes en couple ayant recours à la procréation médicalement assistée peuvent être reconnues comme mères dès la naissance de l’enfant. Mais si les mères lesbiennes québécoises n’ont plus à se battre pour la reconnaissance légale de leur statut, c’est une histoire bien différente qui se déroule de l’autre côté de l’Atlantique.
Marianne Chbat et Isabel Côté, du Département de travail social à l’Université du Québec en Outaouais, s’intéressent à l’expérience des mères en couple de même sexe n’ayant pas porté leur enfant. Plus précisément, elles cherchent à comprendre la manière dont le climat social et légal influence la possibilité de fonder une famille et la manière dont ces femmes développent leur identité maternelle. Pour ce faire, les chercheuses s’entretiennent auprès de 30 mères lesbiennes n’ayant pas porté leur enfant (10 Québécoises, 10 Françaises et 10 Suisses) et dont les enfants ont aujourd’hui entre 6 mois et 26 ans. Parmi elles, seulement la moitié sont légalement reconnues comme mères.
Fonder une famille : avantage Québec !
Prêtes à fonder une famille ? Selon votre lieu de résidence, vous devrez vous armer de patience ! Pour les Québécoises en couple de même sexe, plusieurs options existent : insémination « maison » ou en clinique de fertilité, donneur connu ou inconnu, adoption, etc. Parmi celles interrogées, neuf ont opté pour l’insémination, dont sept en clinique de fertilité. Si elles sont généralement satisfaites des services reçus, celles qui habitent en région plus éloignée déplorent le manque de services disponibles.
« C’était long et compliqué, et la clinique était loin de chez moi. En plus, ils ont fait des grosses erreurs. Ils ont jeté le sperme que nous avions choisi, et nous avons dû tout recommencer […]. Ça a pris trois ans. C’était long et décourageant. […] Les règles éthiques de la clinique ne nous convenaient pas, mais on n’avait pas d’autre choix que de les suivre parce que nos options étaient limitées dans notre région. » (Traduction libre des propos de Sophie, Québec, 41 ans)
La réalité est plus compliquée pour les Françaises et les Suisses. Comme les traitements de fertilité sont interdits aux couples de même sexe dans leurs pays respectifs au moment de la rédaction de l’article, elles ont dû se tourner vers l’adoption ou voyager pour accéder aux services. Le hic ? L’adoption étant également proscrite aux couples de même sexe dans la plupart des pays, elles doivent adopter en tant que parent solo. De retour au pays, l’autre mère pourra adopter l’enfant, à condition que le couple soit marié dans le cas de la France, ou qu’il habite ensemble depuis au moins trois ans et que la mère non biologique prenne soin de l’enfant depuis au moins un an dans le cas de la Suisse. Parmi les femmes interrogées, trois ont opté pour l’adoption, alors que les autres ont voyagé pour obtenir des traitements de fertilité. En plus d’être un processus complexe et coûteux, cette expédition les contraint à divulguer leur orientation sexuelle à leur entreprise pour pouvoir prendre congé, ce qui les expose à un risque de discrimination.
« On a sauté dans le premier avion pour aller à la clinique. C’était stressant. Je devais le dire à mon employeur, mais je ne savais pas comment il allait réagir. J’avais peur qu’il me mette dehors. Mais je devais y aller ; je voulais devenir mère, et c’était ma seule chance. » (Traduction libre des propos de Gabrielle, Suisse, 34 ans)
Une minorité a plutôt choisi de se tourner vers un donneur connu pour permettre à son enfant de le connaître ou pour qu’il bénéficie d’une présence masculine. Les mères non biologiques ont accepté cette manière de fonder une famille, tout en sachant qu’elles ne seraient jamais reconnues légalement. Parmi les quatre mères non biologiques qui ont fondé leur famille de cette manière, trois sont aujourd’hui séparées et ne peuvent plus voir leur enfant.
« Selon la loi, les parents biologiques ont tous les droits (…) Après la séparation, ils se sont retournés contre moi. J’ai été exclue. Maintenant, je vois ma fille une demi-journée par mois [pleurs]. » (Traduction libre des propos de Héloïse, Suisse, 53 ans)
Mère biologique et non biologique : pareil, pas pareil
Les mères non biologiques, mères à part entière ? Dans leur cœur, aucun doute : les femmes interrogées accordent une grande importance à leur identité maternelle, qu’elles aient porté l’enfant ou non.
« Avant sa naissance, je me suis demandé si j’allais me sentir automatiquement attachée à lui. […] Mais une fois qu’il est né, j’ai tout de suite ressenti quelque chose […]. Donc, non, il n’y a pas de différence entre moi et la mère biologique. […] Mon attachement, mon amour est aussi fort que celui de l’autre mère ; ça n’a rien à voir avec la biologie. » (Traduction libre des propos d’Annick, Québec, 29 ans)
Au Québec, la majorité des participantes ont l’impression que le rôle de mère est partagé équitablement entre les deux parents et se sentent soutenues par leur partenaire et les lois en place. De l’autre côté de l’océan, les mères non biologiques ressentent parfois une pression à légitimer leur rôle dans un contexte qui ne les reconnaît pas légalement comme mères, et ressentent parfois un manque d’appui de la part de leur propre conjointe.
« Je ne pouvais pas prendre de congé parental et elle est restée à la maison avec notre fils. […] Parfois, je me disais : « Tu ne peux pas comprendre ce que je ressens ». […] Je m’entends encore lui répéter ça, parce que je dois me battre tout le temps pour être reconnue comme mère. […] Des fois, c’était difficile parce que j’avais l’impression que la société ne me donnait pas les conditions pour être considérée comme une « vraie » mère. […] » (Traduction libre des propos de Catherine, Suisse, 55 ans)
La reconnaissance des mères non biologiques, ça presse !
Comme le soulignent les chercheuses, la reconnaissance légale des parents de même sexe et l’accès aux traitements de fertilité sont essentiels pour que les mères non biologiques se sentent incluses. Alors que les mères québécoises évoluent dans un contexte où la loi va dans leur sens, les mères européennes qui n’ont pas porté l’enfant doivent faire leurs preuves et se battre pour que leur statut parental soit reconnu, tant sur le plan légal que social. En cas de séparation, ces dernières peuvent se retrouver sans aucun recours et perdre la garde de leur enfant.
Afin de mettre en lumière les réalités des familles LGBTQ+, la sociologue française Gabrielle Richard a publié le livre Faire famille autrement. En illustrant ces réalités à travers le témoignage de parents queers situés des deux côtés de l’Atlantique, l’autrice ouvre la discussion sur différentes manières de fonder une famille, loin des normes de genre et des inégalités qu’elles suscitent.