« Raconte-moi mon histoire! » Nombreux sont les dilemmes des parents adoptifs lorsqu’ils abordent le récit de vie de leur enfant adopté. Ce dernier a de multiples questionnements vis-à-vis de sa famille d’origine et des raisons de son adoption. Des points d’interrogation qui font balancer le cœur des familles adoptives entre transparence et désir de protection. On sait que la manière dont le récit est raconté et son contexte peuvent avoir des impacts sur l’estime de soi et le bien-être de l’enfant. Mais qu’en est-il des impacts sur sa compréhension de la famille et de son histoire d’adoption? Que peuvent nous dire les enfants adoptés à ce sujet?
Dans le cadre d’une étude exploratoire, Geneviève Pagé et ses collègues de l’Université du Québec en Outaouais, de l’Université de Montréal et de l’Université Laval s’intéressent aux représentations de la famille et de l’histoire d’adoption des enfants d’âge scolaire adoptés dans le contexte du programme Banque mixte. L’équipe cherche à comparer leur discours avec la manière et le contexte dont le récit d’adoption leur a été partagé par les parents adoptifs. C’est par l’usage d’une carte circulaire, lors d’entretiens auprès de sept enfants adoptés et de sept parents adoptifs, qu’elle se penche sur le sujet. Son constat? Sans aucun doute, les représentations de l’adoption de l’enfant adopté se construisent grâce au récit de ses parents d’accueil.
Être adopté·e, ça veut dire quoi?
L’adoption : tout un sujet pour les parents adoptifs… et pour les enfants! Et d’ailleurs, qu’en comprennent réellement ces derniers? La plupart n’ont pas une définition claire de ce que veut dire l’adoption. Plus surprenant encore, l’un des enfants interrogés disait ne jamais avoir entendu ce mot. Pas étonnant, puisque sa mère adoptive confiait éviter ce terme afin que l’enfant ne se sente pas différent de sa sœur, qui est un enfant biologique. Cependant, sans employer le mot « adoption », l’enfant était en mesure d’expliquer qu’il était dans le ventre d’une personne qui n’était pas en mesure de s’occuper de lui et qu’elle l’a alors « donné ». Il semble en effet que les enfants associent l’adoption au fait de changer de maison ou de famille, et qu’ils ont une représentation imagée des raisons et des circonstances ayant mené à leur adoption. Les enfants rencontrés font d’ailleurs écho aux mêmes images décrites par leurs parents adoptifs sur les circonstances de leur arrivée dans la famille.
« Ma mère était malade ou je ne sais pas. Mon père m’a dit que, quand les mamans sont malades, les enfants doivent aller en quelque part d’autre [sic] [ailleurs] pour ne pas que les enfants attrapent la maladie de leur maman. »
Mathilde, 10 ans
De plus, si certains enfants parlent de leurs parents biologiques en les identifiant comme « maman » et « papa », la plupart emploient des termes tels que « madame » et « personne » démontrant ainsi une distance ou une absence de lien entre l’enfant et son parent biologique.
Une famille comme les autres
Les enfants adoptés voient-ils leur famille bien différente des autres? Eh bien non! Des éléments de la composition familiale comme le fait d’avoir des parents séparés ou encore, le nombre de frères et sœurs sont des éléments que les enfants identifient comme différenciant leur famille de celle des autres. Les règles établies à la maison sont également un point de comparaison pour eux. Mais lors des entretiens, aucun enfant n’a abordé le fait d’être adopté comme une caractéristique particulière de leur famille. Étonnant? Pas tellement, puisque lorsque l’équipe de recherche a rencontré les parents cinq ans plus tôt, ceux-ci accordaient une grande importance au fait que leurs enfants adoptifs soient considérés comme leur enfant à part entière, afin qu’ils ne se sentent ni différents, ni inférieurs par rapport à leurs enfants biologiques.
Quant à la fratrie non-adoptée, celle-ci est en mesure de nommer des éléments les distinguant de leur fratrie adoptée sur les plans physiques, culturels et liés à leur trajectoire de vie. Pourtant, à aucun moment elle n’insinue que le lien qui les unit serait moins fort pour autant. La fratrie non-adoptée se dit d’ailleurs blessée lorsque ses ami·e·s font des commentaires au sujet de leurs sœurs et frères adoptifs.
« L’autre fois, mon amie elle m’a dit [que mon frère] avait été dans un orphelinat, mais c[e n]’est même pas vrai. [Question : Et toi, qu’est-ce que tu lui as répondu?] Que ce n’était même pas vrai et j’ai commencé à pleurer. »
Julie, 5 ans
Mes parents, ce sont ceux qui prennent soin de moi
Parent d’origine, parent adoptif? Dans la tête des enfants adoptés, la distinction semble assez claire. Lorsqu’il est question des différences entre les parents d’origine et les parents adoptifs, la notion de « prendre soin » est au cœur de leurs réponses. Ils distinguent leur mère d’origine de leur mère adoptive du fait que cette dernière s’occupe principalement d’eux au quotidien, en préparant, par exemple, leur repas pour l’école. Cette manière de concevoir les rôles des parents concorde avec celui des parents adoptifs qui, dans leur discours auprès des enfants, mettent également l’accent sur le « prendre soin », puisque cela leur permet de légitimer leur sentiment d’être le parent de l’enfant lorsque celui-ci n’est pas encore légalement adopté. Il est toutefois important pour les parents adoptifs de raconter aux enfants que les donneurs de soins les ayant précédés ont bien pris soin d’eux. Cela se reflète d’ailleurs dans les propos des enfants qui décrivent avoir reçu des soins bienveillants avant d’être accueillis dans leur famille adoptive. Un discours positif qui met en lumière les soins aimants qu’a reçu l’enfant adopté de la part de ses anciens donneurs de soins permet également d’atténuer les impacts liés aux expériences difficiles qui ont mené à son adoption.
« Le fait de souligner les difficultés des mères d’origine, en tant qu’incapacités chroniques, permet aux parents de transmettre un narratif cohérent pour expliquer qu’il était dans le meilleur intérêt de l’enfant de « changer » de famille. »
L’équipe de recherche
Le récit d’adoption, bien plus qu’une simple histoire!
Réunir le discours des enfants adoptés, de leurs parents d’accueil et celui de leur fratrie adoptive permet une compréhension renouvelée de l’adoption. Et donner la parole aux enfants en ce qui a trait à leur parcours d’adoption et à leur conception de la famille est hautement significatif. Cela démontre que la manière et le contexte dont le récit de vie leur est partagé par les parents adoptifs influence leur perception et leur compréhension de leur propre histoire et des liens familiaux. En ce sens, le concept d’adoption, la composition familiale et les rôles parentaux sont tous des éléments qui sont fortement teintés par le discours des parents adoptifs.
Afin de poursuivre l’enrichissement des connaissances sur les représentations des enfants adoptés, l’équipe de recherche propose d’explorer les effets du récit d’adoption raconté par les parents adoptifs sur l’identité de l’enfant, son bien-être ainsi que sur le fonctionnement de la famille. Une autre avenue suggérée est de comparer le récit des parents adoptifs à celui des parents d’origine ainsi que celui compris par l’enfant. Enfin, elle suggère également d’évaluer le type d’attachement de l’enfant en fonction du récit de vie que les parents adoptifs, ce qui permettrait de porter un regard nouveau sur le sujet.