« Traverser la terre. » C’est ainsi qu’un immigrant vietnamien installé au Québec décrit l’ampleur du processus d’émigration. Après l’arrivée en terre d’accueil, une seconde étape s’amorce : l’intégration des valeurs locales, qui s’accompagne aussi de la volonté de transmettre l’héritage culturel d’origine aux enfants et petits-enfants. L’identité doit perdurer à travers les générations.
Comment ces immigrants conjuguent-ils culture d’origine et culture de la société d’accueil ? Quelles valeurs et quels rites veulent-ils transmettre ? Que choisissent-ils de dire – ou de ne pas dire – de leur parcours d’immigrant ? Les souvenirs sont-ils tous bons à raconter?
Pour répondre à ces questions, Michèle Vatz Laaroussi, professeure titulaire à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, se base sur plusieurs recherches qu’elle a menées dans les dernières années. Puisque bon nombre de ses études portent sur le processus migratoire, l’auteure utilise de nombreux témoignages d’immigrants venus des quatre coins du monde.
Les « bonnes » valeurs
Les immigrants priorisent la transmission de valeurs avant celle des rites et des pratiques.
Quel que soit le pays d’origine, les immigrants souhaitent transmettre à leurs enfants et petits-enfants des valeurs « constructives » telles que l’importance de la famille, de la solidarité, de l’entraide, de la persévérance, du travail et de l’éducation. La transmission de la langue d’origine et de la religion s’inscrit également comme un enjeu important pour les immigrants. La langue est au cœur du sentiment d’appartenance à la diaspora, mais elle est aussi et surtout le meilleur moyen de garder contact avec la famille restée au pays. Quant au réseau religieux, il « permet à la fois de préserver les origines et de s’insérer dans la nouvelle société ». Il accompagne les nouveaux arrivants à chacun des étapes de leur intégration.
Transformer les rites et les souvenirs
Les pratiques culturelles évoluent et se modifient dans la société d’accueil, mais leurs sens et valeur symbolique demeurent. Un exemple : le Quinceañera, le quinzième anniversaire d’une jeune fille latino-américaine, revêt des formes différentes lorsque célébré au Québec, mais conserve son sens principal, celui d’un rite de passage du statut de jeune fille à celui de femme.
La transmission des souvenirs est également soumise à une « transformation » ; seuls les beaux souvenirs, les moments de nostalgie, et ce qui est susceptible d’être compris et entendu, sont racontés aux jeunes générations. Les moments troubles, souvent associés à la guerre et aux atrocités qu’elle entraine, sont tabous ou gardés sous le sceau du secret pour une période plus ou moins longue.
Les chemins de la transmission
La transmission emprunte différents chemins, parfois traditionnels, parfois innovants. Les réseaux de communication virtuelle et les nouvelles technologies – Skype, webcam, Facebook, etc. – facilitent les échanges, mais ne remplace pas les modes de transmission plus traditionnels comme les récits familiaux, les comptines, les chansons et la poésie.
Le processus d’immigration bouleverse les rôles traditionnels des membres de la famille dans la transmission culturelle. Dans certaines communautés, i. e. les communautés d’origine africaine, c’est le père de famille qui, normalement, assume le rôle de la transmission. Mais comme l’insertion socioprofessionnelle dans la société d’accueil prend beaucoup de place, ce rôle est souvent transféré aux épouses. Si cette dernière est aussi occupée par le travail, la doyenne reprend le flambeau de la transmission. La place qu’occupe la grand-mère est donc elle aussi bouleversée. La grand-mère échange avec les petits-enfants, leur apprend la langue d’origine et les initie aux pratiques quotidiennes de leur pays d’appartenance. Les enfants et petits-enfants transmettent à leur tour ce qu’ils connaissent de la société d’accueil, surtout la langue locale, favorisant ainsi une circulation de la connaissance au sein des générations d’une même famille.
« Tisser des racines »
La transmission de l’héritage culturel aux jeunes générations prend une signification particulière dans le contexte de l’immigration. Elle permet aux immigrants de « tisser des racines », dixit l’auteure, afin d’éviter que la mémoire de la culture d’origine sombre dans l’oubli. Comme le mentionne l’auteure, cette transmission n’est pas toujours traditionnelle et elle est elle-même influencée par la culture d’accueil : « elle est aussi bricolage, coconstruction, créations et innovations ».