Immigrer, c’est traverser un important processus d’adaptation et d’intégration à la société d’accueil. Séparé de ses amis et de sa famille, confronté à une culture qui diffère de celle de son pays d’origine, l’immigrant peut se sentir ébranlé jusque dans son identité. Ce phénomène peut se traduire par des modifications de ses relations familiales.
Les chercheures ont examiné les changements dans les relations entre frères et sœurs dans un contexte d’immigration. Elles ont voulu savoir comment ces changements se répercutaient sur la construction de leur identité.
Elles ont rencontré sept jeunes adultes de 18 à 30 ans qui ont immigré au Québec après l’âge de huit ans avec leurs frères et sœurs. Certains ont immigré seulement avec leurs frères et sœurs; d’autres, avec leurs parents également. L’écart d’âge entre les participants et leurs frères et sœurs est de quatre ans maximum. Elles ont mené trois entrevues avec chaque participant, l’invitant à discuter de son expérience migratoire et de ses relations familiales.
Identité : toi, mon frère; toi, ma sœur
Des études indiquent que l’identité d’un individu se construit, entre autres, à partir de ses liens avec ses frères et sœurs. Frères et sœurs sont normalement issus de la même génération et ont les mêmes parents : ils partagent donc des référents culturels et vivent des expériences similaires. Ils peuvent alternativement représenter, les uns pour les autres, ce qui est familier et ce qui est étranger, et forger leur identité dans un jeu constant d’identifications et de différenciations.
Les relations entre frères et sœurs peuvent subir des changements importants dans un contexte d’immigration, en raison du déracinement et du choc culturel qui l’accompagnent. Les figures parentales peuvent être fragilisées, ce qui peut conférer aux frères et sœurs des rôles particuliers dans la famille.
Fragmentation des relations
Les chercheures constatent que les liens entre frères et sœurs peuvent se fragmenter au cours de l’expérience migratoire. Dembélé, Malien de 25 ans, raconte qu’il s’est graduellement détourné de son grand frère, qui lui servait de modèle, pour s’ouvrir aux modèles de sa société d’accueil. La société québécoise présente des valeurs qui peuvent être considérées comme plus individualistes que celles de la société malienne. Les relations entre les membres de la famille y sont aussi moins hiérarchisées. Ces éléments ont pu provoquer ce comportement chez lui. Dembélé rapporte en outre que ses frères et sœurs se sont approprié les valeurs québécoises de manière différente, ce qui a créé des conflits. Par exemple, leurs idées diffèrent sur la consommation d’alcool et de tabac.
Joackim, Chilien de 24 ans, se désole du fait que ses frères et sœurs mènent leur vie chacun de leur côté, en contradiction avec certaines valeurs de leur pays d’origine.
Resserrement des relations
Certains récits témoignent, au contraire, d’un resserrement des relations entre frères et sœurs.
Irina, Ukrainienne de 21 ans, explique que sa sœur et elle ne sont pas particulièrement proches au quotidien, mais qu’elles partagent une grande complicité lorsqu’elles voyagent dans leur pays d’origine, à cause de leur héritage culturel commun.
Adel, Syrien de 27 ans, a trouvé en son frère jumeau un confident qui l’a aidé à traverser l’instabilité provoquée par l’immigration. Leur relation a également facilité le processus d’adaptation et d’intégration à la société québécoise : ils se sont encouragés à créer de nouveaux liens et se sont entraidés dans leurs nombreux apprentissages.
Il en est de même pour Joackim et sa sœur, qui ont appris le français ensemble. Dembélé, qui est arrivé au Québec avant son petit frère, a contribué à l’intégrer en le présentant à des individus qu’il connaissait.
Enfin, Rafael, Brésilien de 28 ans, a fait des activités culturelles avec sa sœur, ce qui les a rapprochés.
Faire le pont entre des cultures différentes
Frères et sœurs peuvent faire le pont, en quelque sorte, entre la famille et la société. À la fois représentants du familier et de l’étranger, inscrits dans des dynamiques d’identification et de différenciation, ils peuvent établir, dans un contexte d’immigration, des liens de continuité entre des cultures différentes.
Dans une recherche ultérieure, les chercheures aimeraient étudier plus précisément l’expérience des individus qui immigrent seulement avec leurs frères et sœurs, par comparaison avec ceux qui immigrent avec leurs parents. Un tel objet de recherche fait naître une question intéressante : lorsqu’il n’y a aucune structure parentale, comment les rôles et les relations se répartissent-ils entre frères et sœurs?