Passer de sa famille d’origine, à une famille d’accueil, puis à une autre, pour finalement intégrer un centre jeunesse… Tout un parcours! Dans une société où avoir plus de deux parents est illégal, les liens familiaux sont complexes pour les jeunes Québécois placés en famille d’accueil. Quelles relations entretiennent-ils avec leurs parents d’origine? Quels liens développent-ils avec leurs parents d’accueil? Les parents d’origine demeurent les « vrais parents », même si ce sont les parents d’accueil qui font partie du réseau familial des jeunes.
Dans leur étude, les chercheuses tentent de saisir la place qu’occupent la famille d’origine et la famille d’accueil dans le réseau familial de jeunes Québécois placés sous la supervision de la protection de la jeunesse. Elles veulent comprendre qui est dans leur réseau familial et quelle est l’importance des liens tissés une fois adulte. Pour ce faire, les auteures s’entretiennent avec 12 jeunes adultes (neuf femmes et trois hommes) de 18 ans et plus qui ont connu au moins une famille d’accueil.
À la lumière de leurs rencontres, les auteures constatent que les représentations qu’ont les jeunes de leur réseau familial actuel sont loin d’être homogènes, mais qu’il existe certains points communs.
L’importance de la « vraie » famille
Même lorsque les parents d’origine sont absents de leur vie actuelle, la plupart des jeunes considèrent que ce sont eux, leurs « vrais parents » ou leur « vraie famille ». Si certains excluent leurs parents d’origine de leur réseau familial actuel, d’autres choisissent de maintenir des contacts avec eux, ce qui témoigne de l’importance accordée aux liens biologiques, selon les chercheuses.
« Maman, c’est maman, on en a une maman. On n’en a pas 10 des mamans, on en a une. Une vraie. »(Élizabeth, 23 ans ; placée à 6 ans, elle a vécu environ 10 placements différents, dont un en centre de réadaptation.)
De plus, beaucoup de jeunes incluent au moins un des membres de leur fratrie dans leur réseau familial, même s’ils n’ont pas eu de contact durant le placement en famille d’accueil. Frères ou sœurs font donc partie intégrante de leur famille. Or, la qualité des contacts varie d’un jeune à l’autre : certains intègrent leur fratrie à leur quotidien alors que, pour d’autres, la communication se limite aux réseaux sociaux. Quant aux enfants uniques, ils intègrent à leur réseau des membres de leur famille d’origine, autres que leurs parents (cousines, oncles, etc.).
Néanmoins, même si la majorité des participants insiste sur l’importance des liens biologiques, d’autres considèrent leur famille d’accueil comme leur seule famille.
Famille d’accueil et famille d’origine ne font pas la paire
Les jeunes n’incluent pas leur famille d’origine et leur famille d’accueil dans leur réseau familial : ils en choisissent une. Lors du placement, la famille d’accueil remplace, aux yeux de la majorité des jeunes, la famille d’origine. Pourquoi ne considèrent-ils pas les deux comme formant leur famille ? D’une part, ils sont au cœur d’une rivalité familiale opposant leurs parents d’origine et d’accueil, ce qui limite le développement d’une complémentarité entre les deux familles. D’autre part, la loi ne reconnait pas plus de deux parents pour un enfant.
À ce sujet, les services de la protection de la jeunesse considèrent le partage de la responsabilité et de l’éducation de l’enfant entre plusieurs personnes – la pluriparentalité – comme un idéal. À leurs yeux, la famille d’accueil devrait s’additionner à la famille d’origine, ce qui permettrait aux jeunes de tisser plus facilement des liens avec leurs parents d’accueil. Les propos des participants montrent, toutefois, que l’idée d’avoir plus de deux parents ne se transpose pas facilement dans leur quotidien.
Le passage à la vie adulte, moment charnière
Certes, la force du lien créé avec la famille d’accueil influence la décision des jeunes de l’inclure ou de l’exclure de leur réseau familial. Mais l’entrée dans l’âge adulte, et donc la sortie des services de la protection de la jeunesse, fragilise souvent leurs relations.
Malgré le soutien matériel et émotionnel des parents d’accueil lors de cette transition, les jeunes ne garderont pas forcément contact avec eux. Pourquoi? Le désir de connaître sa famille d’origine peut se faire au détriment de la relation avec la famille d’accueil. De plus, beaucoup expriment avoir eu de la difficulté à demander de l’aide à leur parents d’accueil, ainsi qu’à leur entourage, lorsqu’ils sont devenus adultes. À leur avis, ce serait leur famille d’origine qui devrait les soutenir.
« Tu leur demandes des choses que c’est pas le genre de choses que tu devrais leur demander. Ça te met mal à l’aise, comme avec mon dernier chum, avec qui je ne suis plus, mais qui m’a déménagée à maintes et maintes reprises. Ça me met mal de lui demander parce que je sais que ça serait supposé être mes parents qui s’occupent de ça. » (Ariane, 23 ans ; placée à l’âge de 10 ans, elle a vécu dans six familles d’accueil différentes.)
Ainsi, à leur majorité, plusieurs jeunes réintègrent leur famille d’origine dans leur réseau familial.
Vers une reconnaissance légale de la pluriparentalité?
Les liens entre les jeunes, leur famille d’origine et leur famille d’accueil sont complexes : leur famille d’accueil remplace leur famille d’origine au moment du placement, mais leurs parents d’origine demeurent tout de même – au moins symboliquement – leurs « vrais parents ».
Les jeunes semblent donc difficilement imaginer qu’ils puissent avoir plus de deux parents. Est-ce qu’une reconnaissance légale de la pluriparentalité améliorerait la qualité des liens entre les jeunes placés en famille d’accueil, et leurs parents d’origine et d’accueil? D’autres recherches sur l’effet d’un changement législatif sur la conception qu’ont ces jeunes de la parentalité restent à faire.