Travail, école des enfants, garderie des tout-petits, courses, rendez-vous, loisirs… Les familles doivent conjuguer plusieurs responsabilités. Au quotidien, les déplacements des familles sont donc fréquents et dispersés, mais se concentrent le plus souvent sur le territoire de leur lieu de résidence. En ce sens, la mobilité devient un enjeu de qualité de vie à l’échelle locale.
Les municipalités ont leur rôle à jouer et peuvent mettre en place des actions pour faciliter les déplacements des familles, notamment dans le cadre de leur politique familiale (PFM). D’après l’auteure de ce mémoire de maîtrise, l’enjeu de la mobilité des familles serait pourtant peu pris en compte dans ces politiques. Comment expliquer ce phénomène? Quelles sont les obstacles à la conception et à la mise en place de projets visant à faciliter les déplacements des familles? Dans cette recherche, on s’intéresse, plus précisément, à la collaboration entre les « acteurs du social » (service des loisirs) et du « spatial » (service de l’urbanisme) au sein de projets municipaux.
L’auteure a sélectionné quatre villes présentant des profils variés et ayant récemment mis à jour leur politique familiale[1]. Elle a mené deux ou trois entretiens auprès d’un responsable de la PMF rattaché au service des loisirs dans chacune de ces municipalités et, selon le cas, d’un ou deux urbanistes, afin de comprendre le rôle de ces services dans l’élaboration des projets.
Cette étude a été menée en collaboration avec le Carrefour Action Municipale et Famille (CAMF), un organisme créé en 1989 afin de promouvoir l’intervention municipale envers les familles. L’organisme joue un rôle d’accompagnateur auprès des municipalités; il les soutient dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi d’une PMF. Au Québec, plus de 700 municipalités et MRC ont mis sur pied leur propre politique familiale municipale.
La politique familiale municipale : au cœur du bien-être des familles
Le CAMF encourage l’action publique par projet, c’est-à-dire « un large processus de consultation et de partenariat qui se traduit par un plan d’action contenant des mesures concrètes ». Pour ce faire, les municipalités doivent créer un « comité famille », auquel sont invités des employés de divers secteurs (ex : milieu scolaire, loisirs, urbanisme, citoyen, etc.). Ce comité assume le leadership et la coordination des projets qui toucheront les familles de leur territoire.
Quelques projets ont été mis en place au sein des municipalités étudiées. Dans l’une d’entre elles, le comité famille a participé à l’élaboration du projet « Dans ma rue, on joue! », qui encourage les familles à jouer librement dans les rues résidentielles en toute sécurité. Une autre ville a implanté les « Trottibus », des autobus pédestres qui permettent aux élèves du primaire de se rendre à l’école à pied de manière sécuritaire, accompagnés de parents ou de bénévoles. Un autre exemple : la création d’un itinéraire reliant tous les parcs sur le territoire d’une municipalité. Cet itinéraire a été intégré aux plans de déplacements actifs de la ville afin de rendre les parcs plus accessibles aux cyclistes et aux piétons.
Un manque de communication
Chez les municipalités étudiées, l’auteure remarque que le service des loisirs est le principal responsable de la politique familiale alors que le service de l’urbanisme est peu présent et peu consulté. De plus, certains urbanistes relèvent une fermeture d’esprit, dans leur milieu, face à l’intégration d’actions plus sociales dans leur travail.
« L’accessibilité universelle, si on n’avait pas poussé, elle ne se trouverait même pas dans le schéma… ça a dû être poussé, car on disait que quelqu’un s’en occupe aux loisirs. […] C’est sûr que l’urbanisme social n’est pas encore ancré. »
– Un urbaniste.
Pourtant, selon plusieurs participants, la collaboration entre les services des loisirs et de l’urbanisme est essentielle et souhaitée. Puisque les deux services ont des champs de compétences complémentaires, combiner les forces de chacun permettrait d’atteindre plus facilement les objectifs fixés par la politique familiale.
« L’urbaniste doit être sensibilisé aux problématiques observées par les loisirs, car les décisions qu’il prend ont un impact direct sur l’espace de vie. En retour, le service des loisirs jouit d’une connaissance du milieu et une sensibilité face à l’usager que l’urbaniste n’a pas forcément encore intégrée. »
– Un urbaniste.
Le leadership : vecteur de changement
En faisant preuve de leadership, les élus peuvent amener un vent de changement dans la culture municipale. Dans une des municipalités étudiées, par exemple, la direction des loisirs a créé la « division politique et développement » afin de créer des liens entre les services, une initiative qui a porté fruit.
« On a appris à se connaître. Et maintenant on travaille de façon transversale. Et quand ils ont besoin de faire quelque chose pour les familles, ils nous appellent et nous demandent notre avis. Là on a été invités à discuter de besoins des familles dans les politiques d’habitation et de logement social. »
– Une responsable PFM.
Au sein d’une municipalité, le service des loisirs a développé la zone citoyenne, un comité de réflexion regroupant les responsables de différentes politiques, dont la politique familiale (loisirs) et la politique d’accessibilité universelle (urbanisme). Cette initiative lie le service des loisirs et de l’urbanisme et leur permet de développer une organisation stratégique commune.
Vers un mode plus transversal?
Dans les municipalités étudiées, il existe une frontière entre le service des loisirs et celui de l’urbanisme. Les administrations municipales reposent généralement sur la segmentation des champs de compétences, ce qui ne favorise pas la création de liens entre les secteurs. Des enjeux tels que la mobilité des familles tombent alors dans une zone grise, et sont donc peu pris en compte.
Cela amène une remise en question du fonctionnement des municipalités. Est-il obsolète? Est-il réaliste d’envisager un mode d’organisation plus transversal? Chose certaine, avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information, les citoyens s’attendent à être davantage consultés dans la prise de décisions importantes de leur municipalité. Reste à voir comment ces changements se reflèteront sur la prise en compte des enjeux familiaux.
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[1] Pour davantage d’informations sur les villes sélectionnées, consultez la page 40 du mémoire de Valérie Andreetta, « Le projet : créateur de liens? Analyse du lien entre les acteurs du social et du spatial dans quatre projets de politique familiale municipale au Québec » (2018).