Jonathan, un homme trans, a amorcé sa transition il y a trois ans. Un soulagement immense pour lui, qui a souffert toute sa vie d’avoir été assigné femme à la naissance. Au départ, il craignait de se faire rejeter par son fils au moment de lui annoncer la nouvelle, mais ce dernier s’est adapté assez rapidement.
Certains parents vivent la transition aux côtés de leurs enfants, alors que d’autres traversent ce changement avant de fonder une famille. En quoi leur cheminement diffère-t-il ? Comment la parentalité influence-t-elle leur parcours trans, et vice-versa ? Si tous les parents trans vivent des défis semblables, le moment de la transition affecte inévitablement ce parcours.
C’est ce que rapportent Marie-Pier Petit et Danielle Julien, chercheures en psychologie, et Line Chamberland, chercheure en sexologie à l’UQAM. Pour en arriver à cette conclusion, elles font passer deux entrevues à 24 parents trans : la première porte spécifiquement sur leur parcours trans (ex. : identité de genre, coming out, etc.) et la seconde, sur le couple et la parentalité (ex. : désir d’enfant, rôles parentaux, etc.). Dix-sept participants ont eu un enfant avant d’amorcer leur transition (prétransition), alors que les sept autres sont devenus parents après leur transition (posttransition).
Grossesse et accouchement : une expérience à géométrie variable
Porter un enfant et donner la vie, une expérience magique ? Pas toujours, surtout pour les hommes trans qui ont vécu la grossesse et l’accouchement avant leur transition. Ceux qui ne se questionnaient pas sur leur identité de genre à l’époque ont vécu l’expérience de manière relativement positive. En revanche, ceux qui ressentaient de l’inconfort par rapport à leur genre ont vécu difficilement la grossesse et les changements corporels qui l’accompagnent.
“J’aimais encore moins mon corps. […] J’attendais avec impatience la fin de la grossesse et que tout soit remis en place.” (Traduction libre)
– Nathan, homme trans.
Choisir des rôles « traditionnels » pour chasser la détresse
Treize ans. C’est le temps vécu en moyenne par les parents prétransition auprès de leur famille avant d’amorcer leur transition. La plupart d’entre eux ont fait des choix de vie « traditionnels » (ex. : se marier et avoir des enfants) dans l’espoir de réduire leur détresse associée au genre. Si, dans certains cas, une nouvelle relation amoureuse ou l’arrivée d’un bébé atténue ce mal-être, ce n’est que temporaire : lorsque des conflits surviennent au sein du couple ou que les responsabilités parentales diminuent, il revient au galop.
Par ailleurs, la majorité des parents « prétransition » ont d’abord essayé de se conformer aux rôles parentaux conventionnels. Une tentative sans succès pour plusieurs, qui ne se sont jamais réellement sentis comme une mère ou un père cisgenre.
“Je n’ai jamais ressenti d’instinct maternel. Avant [d’accepter mon identité trans], je me sentais mal de ne pas pouvoir offrir à mes enfants ce genre de surprotection. […] Je me sentais comme si je n’étais pas assez proche de mes enfants en tant que mère.” (Traduction libre)
– Jacob, homme trans.
Quand divulguer son statut trans à la famille ?
De nombreux parents repoussent le moment de divulguer leur statut trans aux membres de leur famille : ils craignent les réactions négatives de leur part. La souffrance ressentie en pousse cependant plusieurs à oser faire leur coming out à leurs proches.
“Durant une longue période, mon rôle parental a été une barrière à ma transition. […] C’était clair que si j’amorçais une transition, ça aurait un impact sur mes enfants et sur leur image d’un parent de sexe masculin. J’ai finalement décidé de le faire, car c’était un besoin impératif. […] Tu sais que tu feras souffrir les gens que tu aimes, mais il n’y a pas d’autre choix. C’était une question de survie.” (Traduction libre)
– Emily, femme trans.
Bien entendu, le bien-être des enfants est au cœur des décisions des parents. Ils choisissent donc parfois d’attendre le moment idéal pour en parler (ex. : à la fin de l’année scolaire). Ils laissent aussi leurs enfants s’adapter à leur rythme, par exemple en modifiant leur apparence de manière progressive.
“Je ne veux pas être aussi masculin que possible, le plus vite possible, et que mes enfants aient l’impression que je leur enlève quelque chose. C’est une transition et un chemin à traverser. Ils doivent s’en sortir par eux-mêmes et passer par là. Je leur donnerai le temps nécessaire pour marcher. Et ils ne marchent pas vite [rires]. Nous arriverons quand nous arriverons.” (Traduction libre)
– Jacob, homme trans.
Le coming out : pour le meilleur… ou pour le pire
Aller de l’avant avec la transition et faire son coming out aux membres de la famille comporte plusieurs avantages pour les parents trans. Plus heureux, plus calmes et plus patients, ils sont dans un meilleur état d’esprit pour s’occuper de leurs enfants. Dans certains cas, la relation parent-enfant s’est même améliorée après la transition. Plusieurs ajoutent que ce processus leur a permis de se distancer des rôles parentaux traditionnels, ceux là-mêmes qui leur causaient de l’inconfort.
« Avant la transition, j’étais une pure comédienne. […] Maintenant, je me comporte de moins en moins comme le père stéréotypé. Je suis devenue un parent qui n’est ni masculin ni féminin, je suis simplement moi et la personne que je souhaite être. » (Traduction libre)
– Dominique, femme trans.
Si le coming out comporte des bénéfices, il peut aussi être synonyme de dommages importants, comme une rupture amoureuse ou la perte de la garde des enfants.
« D’un point de vue négatif, ça m’a coûté un mariage, la perte de contacts physiques avec mes quatre enfants, et le soutien de ma famille élargie. » (Traduction libre)
– Shannon, femme trans.
Les parents « posttransition » : le combat n’est pas terminé
Qu’en est-il des participants qui ont eu un enfant après la transition ? En moyenne, ils ont amorcé leur transition cinq ans en tant que personnes trans avant de fonder une famille. Pour certains, associer leur genre et leur future identité parentale (père, mère ou parent) avant d’entamer les démarches était primordial.
« S’il avait été impossible pour moi, non pas d’être un homme, mais d’être reconnu comme tel, je n’aurais pas eu d’enfants, non. Pour moi, c’était papa, ou pas d’enfants du tout. » (Traduction libre)
– Mark, homme trans.
Fonder une famille en tant que personne trans est un processus complexe, particulièrement lorsqu’une tierce partie est impliquée (ex. : clinique de fertilité, donneur de sperme). Certains parents ayant fait appel à une clinique de fertilité déplorent le manque d’information quant aux options offertes aux personnes trans, ou encore les questions intrusives qui leur sont posées.
« Vous devez faire vos preuves. C’était difficile. Par exemple, montrer que vous pouvez être de bons parents. […] Durant l’évaluation psychologique, le psychologue était bien trop obsédé par le fait que je suis trans. »
– Jeffrey, homme trans.
À ce jour, la loi ne permet toujours pas aux parents trans de modifier la « mention de filiation » à leur enfant sur le certificat de naissance. Par exemple, un homme trans peut être lié à son enfant par la mention de « mère », et vice-versa. Une rigueur administrative qui les empêche de vivre pleinement leur parentalité et leur transition[1].
Des modèles de courage et de détermination
Lutter pour faire reconnaître son identité de genre, faire son coming out à la famille, fonder une famille alors que les services institutionnels ne sont pas encore adaptés à la réalité des personnes trans : voilà des défis auxquels cette population fait face quotidiennement. Malgré tout, qu’ils soient devenus parents avant ou après la transition, les participants considèrent être un modèle positif pour leur famille. En allant de l’avant avec la transition et en combattant les préjugés à leur endroit, ils incarnent le courage, l’authenticité et la détermination pour leurs enfants.
Depuis décembre 2013, les personnes trans peuvent modifier la «mention de sexe» sur leurs papiers sans subir au préalable un traitement médical ou une intervention chirurgicale. Le Code civil du Québec interdit également la discrimination basée sur l’identité et l’expression de genre depuis 2016. Sachant que les entrevues ont eu lieu entre 2013 et 2014, mesurer l’impact de ces changements juridiques sur la vie des personnes trans et de leurs familles permettrait de constater — ou non — le progrès sur leur reconnaissance.
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[1] En janvier 2021, la Cour supérieure du Québec a invalidé jeudi plusieurs articles du Code civil du Québec jugés discriminatoires envers les personnes trans ou non binaires. Le jugement facilitera notamment le processus par lequel les personnes trans peuvent changer leur identité dans les documents de l’état civil, ce qui représente une victoire importante pour les parents trans. La Cour supérieure du Québec donne au gouvernement jusqu’au 31 décembre 2021 pour corriger le tir. (Source : Guillaume Bourgault-Côté, « Victoire judiciaire importante pour les personnes trans et non binaires », Le Devoir, 29 janvier 2021).