À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Mónica Ruiz-Casares, Richard Sullivan, Emilia Gonzalez, Patricia Li et Carl Lacharité, « Cross-Cultural Mobility and Agency in Assessing the Appropriateness of Child Supervision in the Context of Cultural Diversity and Migration in Quebec », publié en 2023 dans Social Sciences, vol. 12, no 9, p. 515.

  • Faits saillants

  • Au Canada, seulement trois provinces, l’Ontario, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick, ont réglementé clairement sur l'âge auquel un enfant peut rester seul à la maison. Cette situation entraîne un manque de clarté quant à la définition d’une supervision parentale adéquate et laisse peu de repères pour les familles et les intervenant·e·s.
  • La définition de ce qui constitue des pratiques « adéquates » en matière de supervision parentale est souvent floue. Cette situation peut conduire à la stigmatisation de certaines familles issues de l’immigration et à une quantité excessive de déclarations aux services de protection de l'enfance.
  • Bien qu’ils soient directement concernés, les parents et les enfants sont souvent absents des discussions sur les pratiques parentales de supervision.
  • De nouvelles connaissances issues de la recherche ont rendu possible l'identification de critères spécifiques permettant une évaluation éclairée des pratiques de supervision des enfants dans des contextes culturellement diversifiés.

Une nouvelle famille immigrante vient de s’installer dans la maison voisine. Vous remarquez que Liam, 9 ans, et Amina, 7 ans, passent souvent quelques heures, seul·e·s, à la maison pendant que leurs parents sont absents. Que ressentez-vous en voyant ces deux jeunes sans surveillance? Cette situation peut susciter diverses réactions et interrogations. Est-il adéquat de laisser des enfants seuls à la maison quelques temps? Se pourrait-il que vos propres normes et attentes culturelles influencent votre perception de ce qui est approprié ou non en matière de surveillance parentale?

Une équipe de recherche issue de différentes universités1 s’est intéressée à ces questions. Elle examine les perceptions d’adultes et d’adolescent·e·s (âgé·e·s de 12 à 17 ans) de divers milieux socioculturels, incluant des personnes immigrantes de première et deuxième génération, au sujet de la supervision parentale considérée comme adéquate. Des discussions de groupes sont également organisées avec des professionnel·le·s de l’éducation, de la santé et de la sécurité, et d’autres adultes responsables des soins des enfants. Finalement, différentes mises en situation sont présentées aux participant·e·s afin de saisir leurs opinions et leurs expériences personnelles.

Ces exercices visent à documenter les variations de perception à travers les groupes et de proposer des clés pour une meilleure compréhension. Ceci, afin de guider les professionnel·le·s travaillant avec les familles issues de divers milieux culturels et de contribuer à combler le manque de connaissances dans l’établissement de critères professionnels de supervision adéquate.

Choc des cultures

Qui dit nouvelle communauté d’accueil, dit défis d’intégration pour une famille immigrante! Ces défis peuvent inclure un décalage entre les normes de supervision des enfants de cette communauté et les leurs. Ce qui est jugé approprié dans une culture peut être perçu différemment dans une autre. En conséquence? Des disparités qui peuvent conduire à la stigmatisation des familles de minorités culturelles et à un nombre élevé de signalements aux services de protection de la jeunesse. En l’absence de lois clairement définies, des incertitudes persistent : comment déterminer si la supervision parentale d’une famille est adéquate? Quels critères entrent en jeu? Ce sont les questions auxquelles doivent répondre les professionnel·le·s œuvrant auprès des familles.

Respecter les cultures et protéger les enfants : l’art d’intervenir sans imposer

Quelle posture adopter pour interagir de manière juste et sensible avec des familles issues de divers horizons culturels? Toute une question pour les intervenant·e·s, surtout lorsqu’elles et ils sont confronté·e·s à un manque de normes et de références. Au Canada, il existe peu de règles précises concernant l’âge minimum pour laisser un enfant seul à la maison. Seulement trois provinces, l’Ontario, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick, disposent de directives légales sur ce sujet. Ainsi, cette absence de politiques claires ajoute à la confusion de ce qui est socialement acceptable. De façon générale, les professionnel·le·s doivent reconnaître que les parents sont les expert·e·s de leur propre enfant et, qu’en retour, leur rôle est celui de les conseiller, en partageant leurs connaissances et les meilleures pratiques de supervision parentale. En impliquant l’enfant et les parents dans la réflexion, les intervenant·e·s peuvent adapter les stratégies de supervision à sa situation spécifique tout en respectant les normes culturelles de celle-ci. Plutôt que de critiquer les familles, valoriser et intégrer leurs perspectives dans les évaluations est recommandé pour garantir une supervision adaptée aux besoins de l’enfant.

Supervision adéquate : quels éléments entrent en jeu?

Mais comment peut-on déterminer si une supervision est adéquate? Cela dépend de plusieurs facteurs, principalement liés à l’enfant, à sa famille, et aux ressources disponibles. L’étude identifie des critères importants pour évaluer la qualité de la supervision. Tout d’abord, trois aspects sont nommés par les parents et les personnes en charge des soins aux enfants : les responsabilités parentales, la qualité de la relation de confiance entre les parents et l’enfant, et les compétences des soignant·e·s. Par exemple, un parent peut se questionner avant de partir pour le travail : « est-il approprié que je parte maintenant? »; « est-il adéquat de laisser mon enfant seul à la maison pendant quelques heures? »; « y a-t-il un·e voisin·e de confiance disponible pour intervenir en cas de besoin? ». Ces questionnements aident à évaluer si les conditions sont réunies pour que l’enfant soit en sécurité en l’absence du parent.

Ensuite, concernant les facteurs qui sont liés à l’enfant, son niveau de maturité, son âge et son aisance à rester seul sont fréquemment nommés. Dans le cas d’un enfant de dix ans qui fait ses devoirs seul à la maison pendant que ses parents sont encore au travail, sa confiance en soi et son niveau de confort à être laissé sans supervision sont des facteurs importants à prendre en compte. Pour les professionnel·le·s travaillant avec les familles, les facteurs contextuels tels que l’histoire familiale, la présence de personnes de confiance à proximité et la durée pendant laquelle l’enfant reste seul sont davantage considérés. Par exemple, un enfant peut jouer dans un parc sous la surveillance occasionnelle d’un·e voisin·e, ce qui pourrait être considéré comme adéquat selon l’environnement et la fréquence des vérifications. La proximité de la famille, des amis ou des voisins qui peuvent aider à la garde des enfants, ou du moins servir de ressource pour les enfants en cas d’urgence, a été mentionnée par tous les groupes participants.

Écoutons-les! Ce que les enfants et les parents nous enseignent.

Cordonnier mal chaussé : cette expression pourrait bien s’appliquer aux parents et aux enfants en contexte de supervision parentale. Même si les pratiques de supervision les touchent directement, leurs opinions sont souvent négligées. En effet, enfants et parents apportent des réflexions nuancées et des perspectives sur la supervision des enfants, qui méritent d’être intégrées. Les familles peuvent révéler des aspects méconnus des professionnel·le·s, tels que des pratiques de supervision culturellement spécifiques, des dynamiques familiales changeantes, des perceptions de sécurité différentes, et des défis d’accessibilité aux services. Ainsi, en écoutant attentivement ce que les familles ont à dire, il est possible d’ajuster les interventions pour mieux répondre à leurs besoins spécifiques, surtout durant les périodes où elles sont vulnérables, naviguant entre leur communauté d’origine et leur nouvelle communauté d’accueil.

Lutter contre les biais pour une pratique de supervision adéquate

Prendre des décisions éclairées en tant qu’intervenant·e·s, ou élaborer des lois sur la supervision des enfants, n’est pas une tâche simple. Mais pourquoi est-ce si important de s’y attarder? Parce que les lois, les normes mais, aussi, les biais culturels en matière de supervision parentale peuvent significativement influencer la vie des familles, parfois de manière injuste. Cela se manifeste notamment par la surreprésentation des familles issues de minorités ethnoculturelles dans les services de protection de la jeunesse. Le postulat de base pour s’assurer d’un traitement juste envers toutes les familles? Chacune est unique. Comprendre leur situation, c’est faire preuve de discernement : les personnes impliqué·e·s dans la supervision, les ressources disponibles ou les normes culturelles, doivent être prise en compte pour respecter l’intégrité de la famille. En tant qu’intervenant·e·s, voir à la sécurité de l’enfant tout en respectant cette intégrité devient alors essentiel.

  1. Toronto Metropolitan University, Université McGill, University of British Columbia, Université du Québec à Trois-Rivières ↩︎