Le processus d’adoption internationale est difficile pour les enfants qui le traversent : bon nombre vivent des traumatismes, des difficultés d’adaptation, des retards de développement et des troubles d’attachement. À cette liste de défis se greffe un nouveau stress quotidien : l’intégration à la garderie. Pour s’assurer que cette intégration ne s’ajoute pas à la liste des chocs que vivent les enfants adoptés, ces derniers devraient-ils bénéficier d’un traitement particulier? Tout dépend à qui l’on s’adresse!
C’est la question qui anime l’étude de Chantal Dézainde et Lyse Turgeon, chercheuses à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal. Par des entretiens menés auprès de douze familles québécoises qui ont adopté un enfant à l’international et les douze éducatrices de leurs enfants, les auteures comparent comment parents et éducatrices voient l’intégration en garderie de ces enfants.
La majeure partie du temps, les parents et les éducatrices sont sur la même longueur d’onde. Les éducatrices respectent l’intégration progressive de l’enfant en milieu de garde, principale demande des parents adoptifs lors de l’inscription en garderie. Les entretiens montrent que, sous cette entente apparente, toutefois, se cache quelques désaccords…
L’enfant adopté, différent des autres?
Pour les parents, oui. Pour la majorité des éducatrices, non : l’enfant adopté est un enfant comme les autres. Elles estiment donc ne pas avoir besoin d’une préparation spécifique et ne modifient pas leurs stratégies d’intervention.
« C’est pas différent des autres, c’est ça! C’est vraiment pareil qu’avec les autres, non pour moi c’était un enfant comme un autre là, si j’avais vu quelque chose, j’en aurais sûrement parlé avec les parents (…) »
– Annie, éducatrice.
Or, selon les chercheuses, les éducatrices doivent prendre en compte la réalité particulière de l’enfant adopté et adapter leurs interventions en conséquence. Par exemple, les parents adoptifs, ainsi que certaines éducatrices qui détiennent une formation spécifique à l’adoption, n’emploient pas la stratégie du retrait («time out»), qui isole l’enfant temporairement pour le punir. Cette méthode pourrait lui faire vivre un autre abandon.
Une question de connaissances, vraiment?
Dézainde et Turgeon s’accordent pour dire que les divergences d’opinion entre les parents adoptifs et les éducatrices découlent de leurs différentes connaissances des défis particuliers de l’adoption. Certaines lacunes expliqueraient que les éducatrices ne perçoivent pas la spécificité de l’enfant adopté.
Les parents adoptifs ont souvent acquis une connaissance précise sur les réalités entourant l’enfant adopté (traumatisme, retards de développement, conditions de vie dans son pays d’origine, ajustement à la famille adoptive). Ils sont préparés à l’adoption par des organismes agréés, des associations, ou les CLSC. Or, pour la grande majorité des éducatrices, l’arrivée d’un enfant adopté est une première expérience, ce qui peut expliquer les connaissances limitées qu’elles ont du phénomène. Toutefois, la plupart des éducatrices rencontrées ne souhaitent pas s’informer davantage ni suivre de formation spécifique à l’intervention auprès des enfants adoptés, selon l’étude exploratoire des auteures. En effet, en traitant l’enfant adopté comme les autres, les éducatrices veulent montrer qu’elles ne le stigmatisent pas en raison de ses origines et de son adoption, ou qu’elles n’accordent pas de « passe-droits » à un enfant en particulier.
« Non, non, parce que l’enfant va bien. Donc je n’ai pas besoin de comprendre, tu sais, de chercher à comprendre ou d’analyser des choses, ça va bien. »
– Johanne, éducatrice.
Au contraire, les parents estiment que les éducatrices doivent être formées ou sensibilisées aux réalités des enfants adoptés. Selon eux, elles saisissent parfois mal les enjeux d’intégration en garderie de ces enfants. Les parents d’enfants adoptés pensent peut-être davantage que leur enfant peut développer des problèmes de comportement ou de santé, expliquent les chercheuses. Dans la mesure où leur statut permet un accès facilité au réseau de la santé, ils sont plus souvent confrontés aux difficultés qu’un enfant peut développer si son intégration est délicate. D’un autre côté, leur expérience du processus d’adoption peut aussi les mener à surprotéger leur enfant.
« Oui, oui! Il y a sûrement quelque chose à faire, mais je sais que ce serait mieux si ces gens-là savaient un peu plus le cas, quoique le cas de Marie ce n’était pas si compliqué. Mais s’il y a un problème, je pense qu’ils ne sont pas outillés pour faire face à ça. C’est souhaitable qu’elle en sache plus, oui. »
– Louise, parent.
Une formation comme solution
Tenir compte de la réalité de l’enfant adopté est donc une nécessité. L’étude rappelle l’importance d’une formation spécialisée en petite enfance, de niveau collégial ou universitaire, pour offrir des soins de qualité aux enfants avec des défis particuliers. Dézainde et Turgeon recommandent également l’implantation d’un programme de formation continue qui porte sur l’adoption internationale.
Néanmoins, les auteures insistent qu’il faut tout d’abord répondre au défi de susciter l’intérêt des éducatrices à suivre cette formation et ce, en assurant une meilleure communication entre elles et les parents quant aux besoins de l’enfant. Elles suggèrent, par exemple, l’intégration d’une rencontre d’information entre les parents, la direction et l’éducatrice portant sur l’histoire de l’adoption de l’enfant et les particularités de son développement.
Former les éducatrices… et les futurs parents adoptifs
L’étude de Dézainde et Turgeon vise à conscientiser les acteurs et actrices du milieu de la petite enfance aux enjeux liés à l’adoption internationale. Selon elles, une partie de la solution passe par une formation destinée aux éducatrices. Réaliste? Peut-être, mais à condition d’éclaircir la question du « manque de motivation » que démontrent les éducatrices rencontrées dans le cadre de l’étude. Les recherches futures devraient peut-être tenter comprendre ce qui motive la réticence des éducatrices à adapter l’intégration pour répondre aux besoins précis de cette clientèle vulnérable.
De plus, les éducatrices sont-elles les seules qui puissent bénéficier d’une formation supplémentaire? Et les parents, pourraient-ils bénéficier d’une préparation additionnelle? Certaines adoptions se soldent par des échecs où les enfants aboutissent en centres jeunesse. Le désir d’enfant et l’amour ne sont peut-être pas toujours suffisants pour guérir les maux dont souffrent les enfants adoptés. La question de la préparation des futurs parents québécois à l’adoption internationale, chose que de nombreux pays d’origine exigent, se doit d’être approfondie également.