Line et Benoît accueillent Laura, une petite fille de 4 ans, en tant que famille d’accueil depuis plusieurs mois. Son arrivée dans cette famille lui a été très bénéfique : elle se porte à merveille et fait beaucoup de progrès. Aujourd’hui, c’est le cœur gros qu’ils lui disent au revoir, alors qu’elle les quitte pour retourner auprès de sa mère biologique. Cette situation fait partie de la réalité des familles d’accueil régulières qui offrent un milieu de vie à des enfants pour une durée variable. Interagir régulièrement avec les parents biologiques et entretenir une entente cordiale avec eux sont également des défis auxquels elles sont confrontées et pour lesquels elles doivent recourir à du soutien. Mais ce soutien est-il présent? Il l’est… dans une certaine mesure. Mais un clivage entre la réalité des familles d’accueil et les interventions des professionnels le compromet.
C’est l’enjeu qui anime l’étude d’Ariane Boyer et Raphaële Noël, chercheuses en psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Elles se sont entretenues avec dix parents de familles d’accueil régulières, en leur permettant de partager librement leurs expériences et leur vécu. L’objectif : saisir leurs difficultés et ce qui facilite leur rôle, mais, surtout, comprendre comment les intervenants peuvent mieux les accompagner.
Les désirs des parents d’accueil et la réalité : deux mondes
Entre ce que les parents d’accueil doivent faire et ce qu’ils désirent, le fossé ne saurait être plus grand. Les parents d’accueil font face à des défis quotidiens. Entretenir des relations saines, cordiales et constructives avec l’enfant, ses parents biologiques et les intervenants, voilà qui est loin d’être reposant! Comme ils accueillent un enfant pour une durée indéterminée, sans avoir le statut légal de parent, ils doivent aussi composer avec son retour probable dans sa famille d’origine, au détriment du lien qu’ils essaient de construire avec lui.
« Quand c’est un enfant qui est placé en famille d’accueil, on s’attache beaucoup à cet enfant-là, mais on a toujours le “mais” qui vient nous dire qu’il va partir. »
– Un parent d’accueil
Pour d’autres, les difficultés sont plus notables avec les parents biologiques des enfants. Complexes, malaisantes et parfois conflictuelles, les visites des parents biologiques sont néanmoins un droit inéluctable avec lequel les parents d’accueil ne savent pas toujours comment composer. Pour cette raison, plusieurs participants expriment leur désir d’être reconnu comme parent principal des enfants qu’ils accueillent. Certains au contraire, voient d’un œil positif l’implication de plusieurs parents pour un même enfant. Les participants qui acceptent la présence des parents biologiques dans leur vie ont d’ailleurs plus de facilité à négocier leur place comme parent.
Quel soutien pour les parents d’accueil?
Le soutien offert par la DPJ permet-il de pallier tous ces défis? Pas tout à fait. Les parents d’accueil soulèvent que l’accompagnement reçu ne correspond pas toujours à leurs besoins et à leurs réalités. Les intervenants, qui ont comme mission d’aider les familles d’accueil, ont également la fonction de les évaluer, ce qui rend les parents méfiants.
« On a eu deux intervenants très “by-the-book” (…) t’es plus sur le qui-vive (…) on se livre moins, on parle moins des choses. »
– Un parent d’accueil
Certains ont le sentiment d’être constamment en train de se battre pour être entendus ou crus dans leurs propos sur les enfants qu’ils accueillent.
« Quand t’es parent d’accueil, tu te bats. Contre la démocratie, la bureaucratie… C’est tout le temps ça, c’est tout le temps une grosse bataille. Ça vient très frustrant j’te dirais. »
– Un parent d’accueil
Les témoignages révèlent que le manque de disponibilités des intervenants et l’important roulement des membres du personnel rendent les échanges avec les parents d’accueil difficiles. Le changement fréquent d’intervenant affecte le lien de confiance, et les parents se questionnent quant aux efforts mis pour favoriser la stabilité chez les enfants. Les participants déplorent également les délais de réponse trop longs qui, en plus, ne correspondent pas à la réalité des familles. Cette lourdeur administrative se répercute sur les enfants qui n’ont pas accès à des services dans l’immédiat.
« Oui j’ai du soutien, mais pas souvent à la vitesse qu’on aimerait (…). Parce que je les vois les besoins de l’enfant, et des fois t’es des années sur une liste d’attente. On a le temps de voir toutes les répercussions sur le jeune. »
– Un parent d’accueil
Bref, les parents se sentent seuls face à la lourdeur du mandat, la souffrance associée au départ des enfants, la complexité des relations entretenues avec les parents biologiques et l’impossibilité d’être reconnu comme de réels parents. Une charge mentale non désirée qui gagnerait à être soulagée s’ils avaient l’occasion d’exprimer librement leurs émotions et leur ressenti.
Au-delà de l’enfant, être écouté
Grâce à l’espace de parole laissé par les chercheuses dans le cadre de cette étude, les participants réalisent maintenant l’importance de leur rôle. Ils trouvent utile d’avoir des moments pour parler de leur parentalité en soi, plutôt que des besoins des enfants.
« C’est spécial, j’ai jamais eu à le faire, généralement quand on a une discussion, on a un cas, on a un problème… On va parler de l’enfant, jamais de nous. »
– Un parent d’accueil
Ce type de discussion a un effet libérateur, car il leur permet de formuler leurs préoccupations, de se détendre et, surtout : de ventiler! Ils apprécient qu’on s’intéresse à eux puisque les occasions de partager librement leur vécu et leurs expériences sont rares. De manière générale, les familles d’accueil souhaitent être plus entendues et considérées par les intervenants.
La lumière au bout du tunnel?
Heureusement, les parents d’accueil possèdent des atouts non négligeables facilitant leur expérience. Les participants identifient des éléments positifs dans le soutien reçu par la DPJ. Ils apprécient notamment la souplesse des intervenants qui, dans certains cas, mettent de côté les protocoles pour essayer de mieux les écouter et considérer leurs besoins.
« C’était pertinent ce qu’elle disait cette intervenante-là. Elle nous donnait des pistes, nous on disait ce qu’on avait essayé avec ce jeune-là… elle parlait pas juste pour prendre la place. »
– Un parent d’accueil
Le nombre d’années d’expérience est également un avantage. Au cours des années, les parents d’accueil aguerris ont construit un lien de confiance avec les intervenants, et n’hésitent plus à demander de l’aide lorsqu’ils en ressentent le besoin.
« Quand ton travailleur social te fait confiance, j’suis capable de dire c’qui va et c’qui va pas, il faut pas se gêner. »
– Un parent d’accueil
D’autres mentionnent que le soutien du conjoint est indispensable. En outre, leur optimisme et leur capacité à faire face aux épreuves sont des avantages considérables dans leur rôle de famille d’accueil.
Un besoin criant de changement
Les parents d’accueil s’engagent réellement auprès des enfants en difficulté, malgré les différents défis qu’ils rencontrent. Ils ne demandent qu’à être écoutés et soutenus dans l’exercice de leur rôle. En revanche, leur discours témoigne d’un besoin d’accompagnement différent de celui actuellement offert par les intervenants-ressources. L’une des solutions serait de leur laisser un espace pour parler de leur expérience.
Dans un contexte aussi délicat que celui d’offrir un foyer stable et aimant à un enfant en difficultés, les deux parties – enfant comme parents – devraient être considérées à parts égales dans la mission de la DPJ.