Faire don de son sperme, « ça permet de faire une famille ». C’est ainsi qu’un donneur résume l’aventure de la procréation assistée avec un couple lesbien. L’adoption de la Loi 84, en 2002, qui a légitimé la procréation assistée par don de sperme, a soulevé de vives inquiétudes dans le milieu scientifique québécois. Marchandisation de la filiation, banalisation du rôle de père, instrumentalisation des donneurs de sperme par les lesbiennes… La table était mise pour la catastrophe ! Pourtant, les témoignages des donneurs québécois montrent un portrait beaucoup plus nuancé ; le don de sperme est un choix réfléchi.
C’est ce qui ressort des 18 entrevues effectuées auprès de donneurs ayant offert leur sperme à des couples lesbiens, dans le cadre d’une recherche menée par Isabel Côté, Francine de Montigny et Kévin Lavoie, respectivement professeures à l’Université du Québec en Outaouais et doctorant à l’Université de Montréal.
Dix de ces 18 donneurs connaissaient déjà le couple lesbien ; les huit autres hommes avaient entrepris des démarches à partir d’une plateforme web. Dans tous les cas, les donneurs et les couples lesbiens avaient donc fait connaissance avant la conception de l’enfant. Comment s’est déroulée leur expérience ? Quel est leur point de vue dans cette aventure qu’est le don de la vie ?
La procréation assistée : un pari risqué ?
Les inquiétudes soulevées par les détracteurs de la Loi 84 sont légitimes. Il existe certains risques qui pourraient être la source de fâcheuses conséquences. Par exemple, la loi prévoit que le géniteur n’a aucun droit de filiation… sauf si l’enfant a été conçu par relation sexuelle. Dans ce cas, le donneur peut se prévaloir de ses droits de père jusqu’à un an après la naissance de l’enfant. Scénario extrême : un couple lesbien ayant procédé ainsi pourrait être la cible de chantage de la part du donneur qui, par exemple, pourrait tenter de leur soutirer de l’argent moyennant l’abandon de ses droits de filiation. Autre problème potentiel : en attendant l’abandon des droits de filiation par le donneur, la mère n’ayant pas porté l’enfant ne peut l’adopter légalement et jouir de son statut de parent (la loi québécoise ne reconnaît pas la pluriparentalité). Certains spécialistes craignent aussi un impact négatif sur le rôle de père. En d’autres mots, les efforts des dernières années pour valoriser la paternité sont-ils mis à mal par des dons de sperme? Le géniteur évacue-t-il toute responsabilité à l’égard de l’enfant ? Les couples de lesbiennes pourraient-ils instrumentaliser les hommes?
De la procréation assistée à la procréation négociée
Les auteurs ne nient pas l’importance de ces risques mais constatent, à la lumière du témoignage des donneurs, que l’expérience se révèle généralement positive. Donner son sperme, une décision à la va-vite ? Loin de là ! Que le don de sperme soit leur idée ou celle du couple lesbien, tous les participants ont mentionné avoir vécu une période de réflexion et d’introspection préalable.
« Ma première réaction a été que ça me prenait une période de réflexion avant de le faire. J’étais porté à dire oui, mais j’avais quand même besoin d’une période de réflexion. »
La réflexion ne se limite pas au donneur : elle se fait aussi en compagnie des couples lesbiens.
« Les donneurs […] ont discuté, avec les femmes bénéficiaires de leur don, de leurs attentes et de leurs visions respectives quant à l’implication appréhendée auprès de l’enfant à naître et aux mots qui seraient utilisés pour le désigner. Aussi, les droits et responsabilités de chacun et de chacune ont été entendus. »
Les donneurs et les couples ont donc pris soin d’aborder tous les sujets sensibles avant de prendre leur décision. La plupart ont mis le fruit de ces réflexions par écrit (contrat ou document notarié), bien que ce soit surtout la bonne entente et la souplesse des deux parties qui soient perçues comme importantes. Devant ce souci d’aborder les moindres détails avant de s’engager, les auteurs parlent d’une procréation négociée plutôt qu’assistée. Rien n’est laissé au hasard. L’important est de répondre aux besoins et préoccupations de tout un chacun. Le rôle des donneurs n’est pas passif : ils participent réellement à l’élaboration d’une famille.
Ami, parrain, mentor… quel rôle pour le donneur ?
Pour l’ensemble des participants, la décision la plus importante était de savoir quel serait le statut désigné des donneurs à l’égard des enfants à naître. S’ils préfèrent n’avoir aucune responsabilité légale ou économique, les donneurs ne sont pas pour autant indifférents à l’égard de l’enfant : ils sont prêts à jouer un rôle dans la vie de ce dernier. Mais quel rôle ? Les possibilités sont nombreuses. Les auteurs parlent d’une « toile complexe de relations interpersonnelles » et identifient trois types de donneurs : le donneur-géniteur, le donneur-périphérique et le donneur-père.
Le donneur-géniteur entend jouer un rôle de mentor auprès de l’enfant ou bien rester un « ami spécial » de la famille, et est ouvert à l’idée d’aider l’enfant à répondre à des questionnements identitaires dans les années à venir. Les donneurs-périphériques garderont un lien familial plus formel, comme un oncle ou un parrain, et entrevoient la possibilité d’être présent lors des événements rituels (anniversaire de l’enfant, Noël, graduation, etc.). Le donneur-père prévoit être présent sur une base régulière et est encore plus engagé dans la vie quotidienne de l’enfant, sans pour autant être légalement reconnu comme le père. Certains donneurs-pères iront jusqu’à participer activement à la prise de décision familiale concernant l’enfant.
Fruit d’une réflexion amplement mûrie où chaque détail a été discuté, la décision de faire don de son sperme semble être un événement significatif dans la vie des donneurs. C’est en ce sens que l’étude de Coté, Montigny et Lavoie se démarque, puisque rares sont les recherches qui ciblent le point de vue des donneurs, préférant le plus souvent mettre l’accent sur les bénéficiaires. Et les enfants dans tout ça ? Les auteurs mentionnent avec raison que très peu d’études ont tenté de croiser le point de vue des donneurs et des parents avec celui des enfants. Comment ceux-ci conçoivent-ils le système familial choisi par les parents et les donneurs?