Un enfant d’âge scolaire sur 70 vit avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), selon la Fédération québécoise de l’autisme. Pour ces jeunes, grandir apporte son lot de défis, comme la scolarisation. Un défi facilité par la mise en place de mesures d’intégration scolaire dont plusieurs études vantent l’efficacité. Mais qu’en est-il du parcours de ces jeunes après l’école? Comment envisagent-ils leur passage à la vie adulte? Quels sont leurs projets, leurs inquiétudes? Voilà un sujet beaucoup moins connu. Documenter ces enjeux permet de mieux orienter les apprentissages et de développer un accompagnement adapté.
Marie Arsenault, doctorante en psychologie à l’UQAM, et Georgette Goupil et Nathalie Poirier, toutes deux professeures au département de psychologie de l’UQAM, tentent de brosser un premier portrait de ce passage à la vie adulte. Pour ce faire, elles ont rencontré 12 jeunes hommes âgés de 15 à 21 ans qui vivent avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) sans déficience intellectuelle, qui demeurent chez leurs parents et qui fréquentent l’école secondaire (sauf un inscrit au cégep).
Se projeter dans l’avenir
Qu’est-ce que signifie devenir adulte pour les jeunes hommes vivant avec un TSA? Pour plusieurs d’entre eux, la réponse est la même que pour n’importe qui : être adulte n’est pas une simple question d’âge, c’est plutôt le fait de devenir autonome, mature et responsable. Cependant, pour acquérir ces habiletés, les participants sont bien conscients qu’ils devront prendre les bouchés doubles et affronter des défis supplémentaires.
« Entrer dans le chemin de la maturité. Être capable de vivre par soi-même […] il y en a qui vivent par eux-mêmes, tout seuls, mais ils ne sont pas des adultes dans leur tête. Il y en a qui sont encore immatures. Va falloir que je pratique ça. »
Continuer les études et obtenir un emploi
La plupart des participants (10 sur 12) souhaitent accéder au cégep ou à l’université. Pour les auteures, le désir de continuer niveau postsecondaire témoigne d’une intégration scolaire réussie aux niveaux primaire et secondaire. Cela démontre aussi l’importance de prévoir les mesures nécessaires pour accueillir les jeunes adultes au niveau postsecondaire. Tous les participants ont aussi formulé le désir d’obtenir un emploi et, parallèlement, de développer leur autonomie financière.
L’effet « Tanguy »
Parler d’autonomie implique aussi la question du lieu de résidence. L’ensemble des participants (sauf un) prévoit éventuellement quitter le foyer familial, que ce soit pour vivre seul, en colocation ou en couple. Il est donc nécessaire de se préparer à « l’après-parent », et de développer les compétences nécessaires. Planifier un budget, payer ses comptes, faire le ménage et l’épicerie : l’autonomie amène son lot de responsabilités.
« C’est parce qu’à deux, évidemment côté tâches, on va pouvoir tout partager les tâches et même en faire ensemble […]. Financièrement, tu payes, tu partages les frais. »
Chez quelques-uns des jeunes hommes interrogés, vivre en couple ou en colocation n’est pas qu’un moyen de partager les responsabilités, c’est également une façon d’éviter l’isolement.
« Les désavantages à habiter seul, c’est qu’il n’y a personne pour t’empêcher de devenir fou. »
Pour d’autres, quitter le nid familial, c’est aussi un moyen de développer une meilleure estime de soi.
« J’ai un peu peur de finir comme un puceau, ‘loser’, qui se fait vivre par ses parents, puis qui habite chez eux. »
« [L]’effet ‘Tanguy’, que les enfants restent là […] j’ai vu des reportages que c’est les parents qui déménagent. Moi, je ne voudrais pas faire vivre ça à mes parents. »
Vivre en couple
Un peu plus de la moitié des participants souhaitent vivre en couple une fois adulte. Les auteures rappellent donc la nécessité de préparer les gens vivant avec un TSA à la vie de couple. Comment? Commencer dès l’école. Pour être bien outillés, les auteures proposent que ces jeunes reçoivent une éducation à la sexualité et à la vie affective. Mais elles insistent aussi sur la nécessité de fournir du soutien au conjoint ou à la conjointe sans TSA, afin de l’aider à « comprendre les comportements causés par le trouble ».
Les jeunes hommes sont conscients que la vie de couple peut être anxiogène et générer des conflits. Mais c’est aussi, selon eux, la possibilité de développer une complicité avec un ou une partenaire et de partager de beaux moments.
« L’avantage… Tu manges avec quelqu’un. Tu dors avec quelqu’un. Tu partages ta journée avec quelqu’un. Tu partages le cœur de quelqu’un. »
Moi, papa?
L’idée de devenir parent est aussi une source d’anxiété pour les participants. D’emblée, la moitié d’entre eux disent ne pas vouloir d’enfant, et trois autres sont hésitants. Seulement trois participants affirment clairement le désir d’être parent. Quelles sont les principales peurs engendrées par cette idée? Celle, notamment, de faire subir leur TSA à leur enfant.
« Ce n’est pas que je vais mal l’élever, mais admettons si j’ai toujours de l’anxiété, lui, l’enfant il ne comprendra pas ce que je vis. [Je] veux pas faire subir ça. »
Ils ont aussi peur de ne pas posséder les habiletés nécessaires pour éduquer et prendre soin d’un enfant, que les problèmes engendrés par un TSA se répercutent sur celui-ci.
« Les gens me disent que je serais bon d’avoir un enfant, mais moi je me dis le contraire parce que j’ai peur de péter ma coche devant mon enfant. Je n’ai pas envie que mon enfant soit triste juste à cause de moi. »
Toute une vie avec un TSA
Les études menées auprès des jeunes qui vivent avec un TSA portent fruit. Plusieurs mesures d’intégration en milieu scolaire permettent aujourd’hui à ces jeunes de vivre un parcours scolaire similaire à celui de leurs pairs. Témoins de cette réussite : presque tous les participants de cette étude entendent poursuivre leurs études au-delà du secondaire.
Le nouveau défi qui attend les chercheurs et intervenants : faciliter le passage à la vie adulte des jeunes avec un TSA. Pour continuer sur sa lancée, le Québec doit leur fournir les outils nécessaires pour se responsabiliser et gagner leur autonomie. Il faudra aussi miser sur les gens qui les entourent, les futurs conjoints comme les parents. En effet, plusieurs recherches montrent combien les parents qui s’occupent d’un enfant atteint de TSA peuvent souffrir d’un grand stress quotidien. Avec des outils adéquats, les parents, comme les enfants, vivraient plus facilement cette transition vers l’âge adulte.