Plusieurs acteurs juridiques et sociaux québécois le scandent haut et fort : le droit de la famille est souvent déconnecté des réalités familiales actuelles. À preuve, le flou entourant les liens entre enfants et beaux-parents. Pourtant, aujourd’hui, les recompositions familiales se multiplient et font des beaux-parents une partie intégrante de la vie de plusieurs enfants. En cas de rupture, qu’en est-il du souhait d’un enfant de garder contact avec un ex-beau-parent? Il n’a aucun droit, même si cela pourrait être dans son intérêt. La jurisprudence récente en droit de la famille repose beaucoup sur le concept d’intérêt de l’enfant (primauté de sa sécurité, de sa santé et de son bien-être). Si l’intérêt de l’enfant prime, voilà une autre raison d’enclencher le processus de réforme du droit de la famille.
C’est l’opinion de plusieurs experts et acteurs en droit de la famille au Québec, dont Marie-Christine Saint-Jacques, professeure de l’École de service social de l’Université Laval. La chercheure fait aussi partie des membres du Comité consultatif sur le droit de la famille du Québec qui ont déposé, en 2015, une proposition de réforme du droit familial[1]. En se basant sur cette proposition, elle tente de montrer à quel point la question des liens enfants-beaux-parents peut, dans certain cas, être au cœur de l’intérêt de l’enfant.
Une abondance de modèles
L’époque du modèle familial composé d’enfants et de deux parents hétérosexuels mariés est bel et bien révolue. S’il demeure encore présent, ce modèle cède de plus en plus de place à d’autres types de familles : monoparentale, union libre, parents de même sexe, fratrie issue de différentes unions parentales, etc. Les liens entre enfants et beaux-parents sont, eux aussi, hétérogènes. Un enfant peut considérer son beau-père comme étant « le chum de sa mère », mais il peut aussi développer un fort lien d’attachement avec celui-ci au fil des années. La mise en situation suivante montre bien que l’absence de loi entourant la relation enfant-beau-parent peut aller à l’encontre du meilleur intérêt de l’enfant.
Lorsqu’elle était très jeune, les parents de Léa ont divorcé. Après quelques années, la mère de Léa rencontre Marc, son nouvel amoureux. Léa a maintenant un petit frère, Julien, issu de l’union entre sa mère et son beau-père. Cette nouvelle relation perdure pendant près de sept ans, mais se solde éventuellement par une séparation. Pendant toutes ces années, Léa a tissé d’importants liens affectifs avec son beau-père, qu’elle considère presque comme un deuxième père. Depuis le divorce, une semaine sur deux, le petit Julien va vivre chez son père Marc. Léa aimerait aussi continuer à voir son ex-beau-père, mais sa mère n’est pas d’accord. Elle est d’avis que, puisque Marc n’est pas son véritable père, Léa n’a pas à maintenir de lien avec ce dernier.
Dans cette situation, Léa a-t-elle des droits? Aucun. Cet exemple illustre bien ce que tentent de démontrer l’auteure et les membres du comité : l’intérêt de l’enfant n’est pas pris en compte dans le cadre juridique actuel.
S’inspirer du lien avec les grands-parents
Lorsque l’enfant a développé un lien affectif significatif avec un de ses beaux-parents, la primauté de l’intérêt de l’enfant devrait dicter une obligation de contact. Les membres du comité consultatif sur le droit de la famille s’inspirent du cadre juridique entourant les liens entre enfants et grands-parents pour proposer une clause :
« L’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses grands-parents et avec le conjoint ou l’ex-conjoint de son parent, dans la mesure où il a développé avec ce dernier des liens significatifs. Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit. »
Garder l’emphase sur l’enfant
La proposition du comité ne vise pas directement les parents, ni les beaux-parents. Elle place simplement le bien-être de l’enfant au cœur de l’enjeu, comme c’est le cas de plusieurs jugements rendus en droit de la famille. En d’autres mots, il ne s’agit pas de réglementer le droit des beaux-parents de maintenir un lien avec l’enfant : « [a]ux yeux du Comité, le maintien des contacts entre le beau-parent et l’enfant n’est pas un droit du beau-parent, mais bien un droit de l’enfant ». Le maintien de la relation n’est donc pas obligatoire ou systématique. Dans le cas où un enfant n’a développé aucun sentiment d’attachement envers un beau-parent, la relation prendra simplement fin. Même chose si l’enfant désire que le lien se poursuive, mais que le beau-parent ne désire pas maintenir les liens avec l’enfant. C’est donc seulement lorsqu’il y a une volonté mutuelle de maintenir la relation qu’interviendrait la loi. Les parents devraient alors prendre les mesures nécessaires pour répondre au besoin exprimé par l’enfant, pourvu que cela ne nuise pas à sa santé ou à sa sécurité.
De bien belles intentions, mais comment cela se déroulerait-il dans la vie de tous les jours? La logistique d’une garde partagée entre deux parents est déjà complexe, comment maintenir le contact, en plus, avec l’ex-beau-parent? Et de quel type de contact parle-t-on au juste? Sans définir sa forme, l’auteure précise que ce contact ne se traduit pas obligatoirement par des rencontres en personne. La technologie d’aujourd’hui permettrait de faciliter l’application de cette proposition (ex : vidéoconférences). L’idée, avant tout, est d’éviter une coupure radicale entre un enfant et une personne avec qui il a développé des liens affectifs importants.
Une réforme qui tarde à venir
Le Comité consultatif sur le droit de la famille du Québec a remis son rapport à la ministre de la Justice au printemps 2015. Les changements proposés visent à synchroniser le droit de la famille, dans son ensemble, avec les réalités familiales actuelles au Québec. Mais les tenants d’une telle réforme devront prendre leur mal en patience, puisque rien ne laisse présager un chantier d’une pareille ampleur dans un futur rapproché. Depuis son dépôt, le rapport est resté lettre morte.
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[1] Le rapport du Comité consultatif est disponible en ligne. https://www.justice.gouv.qc.ca/fileadmin/user_upload/contenu/documents/Fr__francais_/centredoc/rapports/couple-famille/droit_fam7juin2015.pdf