Pour un parent, nulle douleur n’est plus grande que celle de la mort d’un enfant. Même si l’image de l’homme qui cache ses émotions est tenace, le deuil d’un enfant accable tout autant les pères. Comment vivent-ils cette épreuve? Continuer d’avancer pour ne pas succomber à la douleur, ou entretenir les souvenirs de l’enfant disparu : le déchirement est palpable. Mais de ce tiraillement peut jaillir une réelle quête de sens, dans laquelle certains finissent par trouver du réconfort.
Si plusieurs études sur le deuil parental portent sur les décès en périnatalité, ou encore se concentrent davantage sur les mères, une équipe de chercheurs en sciences infirmières de deux universités montréalaises cherche à combler les lacunes. Treize pères se sont ainsi confiés sur leur expérience de deuil. Leurs enfants, âgés de 1 an à 17 ans au moment du décès, souffraient d’une pathologie chronique ou se sont éteints à la suite d’une maladie soudaine et rapide.
Penser au-delà de la douleur
S’occuper pour ne pas perdre la tête : une réalité bien présente chez les pères endeuillés. La douleur est vive et profonde pour les hommes rencontrés, que le décès soit soudain ou anticipé. Plusieurs racontent s’occuper l’esprit pour ne pas sombrer dans la souffrance. S’il est vrai que certains se sont jetés corps et âme dans le travail, d’autres trouvent leur salut dans le sport, l’entretien de la maison, ou le soutien envers un proche. Peu importe, en fin de compte, du moment que ces activités les empêchent de ressasser. Mais toutes ces tâches sont-elles des distractions saines, ou davantage une façon d’éviter les émotions du deuil? Difficile de trouver l’équilibre.
« Je travaille sans arrêt, ça me tient occupé… Ne me reste plus que trois ans avant la retraite… Mais alors, je risque de ne pas tenir en place… »
(Un père qui a perdu son enfant de 5 ans)
Les pères toujours en couple après le décès de leur enfant se tournent vers leur partenaire pour vivre cette épreuve, et chérissent le soutien mutuel qu’ils s’apportent, même s’ils ne vivent pas les étapes du deuil en même temps. La présence d’autres enfants peut aussi les aider à rester ancrés dans le quotidien, et ainsi à progresser dans le deuil.
« Mes garçons ont besoin d’un père attentif et expérimenté. Je veux être là pour eux. Mon amour pour ma femme et mes enfants sublime ma propre douleur. »
(Un père qui a perdu son enfant de 13 ans)
Mémoire et souvenirs : de la nécessité d’entretenir
Avancer en dépit leur tristesse : cette volonté n’empêche pas les pères de vouloir garder la mémoire de leur enfant bien vivante. De petits rituels s’ajoutent au quotidien, comme autant de façons de préserver une connexion avec lui. Un père raconte par exemple comment, chaque année, il se rase les cheveux pour amasser des fonds pour la lutte contre la leucémie. Un autre visite le cimetière régulièrement pour nettoyer la pierre tombale de son petit.
Les pères cherchent aussi à maintenir une forme de communication avec l’enfant. Certains s’adressent souvent à lui par la pensée, d’autres privilégient l’écrit pour se vider le cœur.
« Je lui écris à tous les jours, je lui envoie des courriels… Je lui dis comment je me sens, ce que j’ai fait, ce que je suis en train de faire, ce qui se passe dans nos vies, je lui dis tout. Ça m’a beaucoup aidé. »
(Un père qui a perdu son enfant de 6 ans et demi)
Parler: soulagement ou tourment? En général, les pères aiment partager les souvenirs avec leur famille, leurs proches, leurs collègues. Mais ce partage se concentre uniquement sur les bons moments, car peu d’entre eux abordent le décès de leur enfant.
Trouver un baume dans cette épreuve
Avec un pied dans le passé et les souvenirs, l’autre dans le futur et la vie qui continue, où se situent ces hommes endeuillés? Selon les chercheurs, ce dilemme se transforme en une quête de sens que les pères choisissent d’entreprendre, pour eux comme pour leur famille. Même s’ils ne cherchent pas de raisons à ce qui est arrivé, plusieurs mentionnent tirer des leçons du décès de leur enfant. Leur vie et leur deuil s’imprègnent d’un sens nouveau.
De nombreux pères affirment vivre davantage dans le moment présent, ou encore parlent de leurs priorités qui ont changé. Aujourd’hui, les problèmes du quotidien les touchent moins.
« Je passe plus de temps avec ma famille […]. Nous avons pris pour acquis que notre fils serait toujours des nôtres. Eh bien, ce n’est pas comme ça que ça s’est passé. »
(Un père qui a perdu son enfant de 4 ans)
Plusieurs remarquent aussi qu’ils sont plus empathiques et vulnérables depuis le décès de leur enfant. Si la majorité accueille ces nouveaux traits avec bienveillance, d’autres doivent les apprivoiser.
« Selon ma conjointe et notre famille, ça m’a rendu plus humain. J’étais un peu trop imbu de moi-même et un peu égoïste. Ça m’a forcé à m’ouvrir… Ça m’a rendu plus généreux… C’est le genre de choses qui te bouscule beaucoup. »
(Un père qui a perdu son enfant de 9 ans)
Vers qui se tourner?
Plusieurs organismes offrent du soutien pour les deuils périnataux, ou pour la perte d’un proche de façon générale, mais ne rejoignent pas spécifiquement les pères qui vivent le deuil d’un enfant. Quelques groupes Facebook offrent une plateforme pour partager son expérience avec d’autres parents dans une situation similaire, et verbaliser son chagrin, mais est-ce assez? Selon les chercheurs, les pères doivent pouvoir compter sur quelqu’un de confiance pour oser s’ouvrir et demander de l’aide. Si les partenaires jouent souvent ce rôle, les professionnels de la santé peuvent aussi aider. Du côté des services communautaires en soutien aux hommes et aux pères, on reconnaît la faible proportion spécifiquement dédiée aux pères endeuillés, mais les organismes en question se disent en mesure d’accompagner ces pères souffrant grâce à leur polyvalence en adaptant leurs interventions.