À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Josée Chénard et Marina Trevisan, « Quand décider rime avec complexité – une étude qualitative menée auprès de parents devenus proches aidants », publié en 2022 dans la revue Frontières, volume 33, no 1, p. 1-17.

  • Faits saillants

  • Si la science offre désormais une meilleure chance de survie aux enfants gravement malades, cette réalité transforme aussi le quotidien des parents qui s’occupent d’eux à la maison, devenant de facto des proches aidants.
  • Les parents d’enfants atteints d’une condition médicale complexe sont appelés à prendre des décisions multiples, touchant toutes les sphères du quotidien, allant du soin à l’intégration sociale, en passant par les aspects professionnels, financiers et psychosociaux.
  • Plusieurs facteurs peuvent complexifier la tâche des parents qui font des choix au nom de leur enfant malade, notamment l’incertitude médicale, la grande quantité de nouvelles informations à assimiler ou encore la nécessité de prendre des décisions rapidement.
  • Les intervenant·e·s qui accompagnent les familles d’enfants gravement malades se doivent d’adopter une approche valorisant le dialogue et l’autonomie décisionnelle des parents.

Dans le salon des Dubois, où nombre de jouets jonchent le sol, le bourdonnement d’un ventilateur mécanique se mêle aux cliquetis d’une sonde d’alimentation. C’est que Lily, la petite dernière, vient de réintégrer son domicile après avoir passé les trois premières années de sa vie en unité de soins intensifs pédiatriques.

Ce type de situation, de plus en plus commune dans une ère où la science progresse à une vitesse folle, illustre un paradoxe grandissant : la médecine, en offrant de nouvelles perspectives aux enfants atteints d’une condition médicale complexe, vient alourdir le fardeau décisionnel des parents proches aidants qui peuvent désormais les garder à la maison. Ces derniers doivent cheminer, souvent à tâtons, à travers un labyrinthe de décisions où chacune est susceptible d’affecter la qualité de vie de l’enfant, voire son pronostic.

Face à ces circonstances, les chercheuses Josée Chénard et Marina Trevisan, de l’Université du Québec en Outaouais, étudient la multitude de trajectoires décisionnelles empruntées par les parents d’enfants vivant avec une condition médicale complexe. Pour ce faire, elles mènent une étude qualitative qui s’appuie sur une série d’entretiens individuels avec des parents dont les enfants, âgés entre 16 mois et 17 ans, sont atteints d’une grave condition. Conçues pour récolter les récits de vie des participant·e·s, ces entrevues s’attardent notamment aux expériences vécues, aux choix effectués par rapport à l’enfant et aux défis rencontrés au quotidien. Ultimement, ce projet de recherche met en lumière la nécessité de revoir les pratiques d’accompagnement utilisées auprès des parents qui portent la casquette de proches aidants.

Construire demain avec les défis d’aujourd’hui

Confrontés à une avalanche de décisions à prendre, les parents proches aidants d’enfants vivant avec une condition médicale complexe naviguent à travers quatre catégories de choix : les choix médicaux, ceux qui concernent l’intégration sociale de l’enfant, les décisions financières et professionnelles puis celles d’ordre psychosocial.

Chaque décision, qu’elle concerne la santé, l’intégration sociale, les facteurs psychosociaux ou financiers, comporte bon nombre d’implications. En conséquence? Elle s’inscrit dans un vaste continuum de choix interdépendants, où chaque décision est soumise à son contexte et façonne les possibilités prochaines.

Évoluer en milieu (in)hospitalier

Les parents proches aidants, constamment sur le qui-vive en raison de la santé précaire de leur enfant, doivent également gérer les répercussions aléatoires des décisions prises en son nom. Par exemple, consentir à une opération chirurgicale majeure peut améliorer le confort du jeune, mais aussi entraîner une longue période d’hospitalisation qui affecte l’équilibre familial ou professionnel. D’un autre côté, certain·e·s participant·e·s de l’étude dont les enfants sont trop jeunes ou trop lourdement atteints pour exprimer leurs souhaits, s’accrochent aux moindres signaux pour orienter leurs décisions.

« C’était probablement la fin. Mais moi, je suis allée parler à Olivier et pis je lui ai dit : « Olivier, si tu es tanné, si tu es au bout de ton rouleau, tu peux y aller, tu sais, c’est correct. Mais si tu as envie de te battre encore, même si je suis fatiguée, je suis plus capable, je vais me battre encore avec toi. » Pis là, il a lâché un gros soupir. Pourtant, il ne comprend pas, il ne parle pas pis il était comme dans un genre de coma là, tu sais. Mais il y a quelque chose qui a passé entre nous deux. Pis quelques heures après, il s’est réveillé pis il a pris du mieux, dans l’après-midi, là. Fait que ça pour moi, c’est comme à partir de là, je me suis dit : « Il veut se battre encore ». »

Mère d’Olivier, 17 ans

Chez les parents qui endossent le rôle de proches aidants pour la première fois, l’ambiguïté est exacerbée par le manque de repères ainsi que l’importante quantité de nouvelles informations à assimiler. Le processus décisionnel est ainsi noyé dans un flot d’options et de conséquences potentielles, rendant chaque phase de la démarche difficile et sensible aux changements de contexte.

Fait notable : plusieurs parents, lorsqu’ils prennent des décisions liées au pronostic vital de l’enfant, sont influencés par leurs valeurs personnelles et spirituelles. Dans de tels moments, il arrive aussi qu’ils ressentent le besoin de se tourner vers une « force supérieure », même en l’absence d’allégeances religieuses. Ces convictions vont, pour certains, déterminer comment ils se représentent la qualité de vie de leur progéniture au regard de quatre paramètres : l’état physique, émotionnel, sensoriel et relationnel. Au moment d’évaluer les options thérapeutiques, ils peuvent ainsi peser les bénéfices et les risques de chaque choix à travers le prisme de ces quatre dimensions de bien-être.

Hormis leurs effets sur la prise de décision concernant l’enfant malade, les valeurs et croyances des aidant·e·s affectent aussi l’attitude adoptée à l’endroit du monde médical. Si c’est la survie de l’enfant qui est au centre des préoccupations, ses parents auront tendance à encenser les prouesses de la médecine moderne. En revanche, les aidant·e·s qui se soucient davantage du bien-être de l’enfant et de la famille peuvent avoir des réserves quant aux traitements médicaux proposés.

À mesure que les parents cheminent dans leur trajectoire décisionnelle, ils se heurtent à des difficultés inhérentes au contexte. On pense par exemple à la définition même du « choix » lorsque les options sont limitées ou trop complexes pour qu’il soit possible de comprendre ce qu’elles impliquent. La nécessité de prendre une décision rapide sans en connaître toutes les implications est une problématique récurrente. Quant au cadre hospitalier – parfois rigide – et aux interactions parfois tendues avec le personnel soignant, ils font aussi partie des facteurs susceptibles d’influencer les voies empruntées par les parents.

L’ère de la co-décision en santé

Si l’offre de traitements pédiatriques se bonifie à vitesse grand V, les rapports entre les soignant·e·s et les familles des jeunes malades semblent tarder à se moderniser. Or, comme en témoigne la recherche, cette dynamique est parfois appelée à se transformer au fil de la trajectoire décisionnelle. Lorsque les interactions entre les divers·e·s acteurs et actrices sont collaboratives et basées sur le dialogue, l’autonomie parentale ou le partage des décisions occupent une place plus importante.

Dans ce contexte, les intervenant·e·s, tant soignant·e·s que non soignant·e·s, jouent un rôle crucial en soutenant les familles confrontées à la maladie. Ces spécialistes doivent certes agir avec bienveillance, mais aussi adopter une posture réflexive et critique quant à leur propre impact dans le processus décisionnel. En considérant les parents comme des partenaires à part entière dans la gestion de la prise en charge de leur enfant, les intervenant·e·s sont amené·e·s à reconnaître et valoriser leurs qualités parentales.

Celles et ceux qui accompagnent les parents agissent comme des guides sur le trajet décisionnel, clarifiant les options disponibles tout en aidant ces derniers à en établir les avantages et inconvénients.

Repenser l’intervention en santé pédiatrique

La recherche souligne l’urgence de repenser et d’optimiser nos méthodes pour mieux aligner nos priorités avec les besoins des enfants malades et de leurs familles. En réalité, si la relation thérapeutique conserve un certain arrière-goût paternaliste, la recherche montre que celle-ci est en train de changer. Les perspectives espérées? Un modèle plus égalitaire et un partenariat entre les parents et les soignant·e·s. Dans cet espace de soin renouvelé, chaque décision n’est plus systématiquement imposée. Il s’agit davantage d’une concertation où les voix des familles résonnent avec force. Les intervenant·e·s, en prenant le temps d’écouter et de comprendre les perspectives des familles qu’ils et elles accompagnent, allègent le fardeau décisionnel qui incombe aux parents. Ce faisant, ils et elles renforcent non seulement l’autonomie des familles, mais favorisent aussi ce dialogue continu si essentiel à la mise en place d’un modèle partenarial.