« Est-ce que je dois m’occuper plus de mon parent atteint de démence? » Certaines personnes issues de différentes communautés culturelles ne se posent même pas la question, elles le font tout simplement. À l’image de Angelica – d’origine italienne – qui cuisine et fait les courses pour sa mère Anna, ou encore de Wesley – originaire des Antilles – déménagé chez son frère Kaie, car ce dernier ne pouvait plus vivre seul. Mais si toutes ces cultures s’accordent sur l’importance du don de soi, chacune vit une expérience unique de la maladie.
L’équipe de recherche composée de Rossio Motta-Ochoa, Paola Bresba, Jason Da Silva Castanheira, Chelsey Lai Kwan, Shaindl Shaffer, Omega Julien, Meghan William et Stefanie Blain-Moraes s’interroge sur l’influence de la culture des victimes de maladies neurodégénératives et de leurs personnes proches aidantes. Après avoir mené des entretiens et des observations auprès de 49 participants et participantes d’origines ethniques diverses, leur constat est clair : vivre avec des troubles cognitifs est une expérience influencée par les contextes culturels et linguistiques, tant pour la personne atteinte que pour celles qui la soutiennent.
Soutenir ses proches, une forme d’épanouissement
Notre bagage culturel : un véritable moteur dans nos décisions les plus importantes. L’équipe de recherche constate que les personnes d’origine antillaise, juive et italienne n’hésitent pas à prendre en charge leurs proches aux prises avec des troubles cognitifs. Elles considèrent que la famille est essentielle à leur bien-être, et éprouvent même un sentiment d’épanouissement personnel dans ce rôle. Une participante à l’étude décrit son choix comme une décision qui allait de soi :
« J’ai pris cette décision. Je sais… c’est une situation bizarre, inhabituelle. Mais ça ne me dérange pas… Donc, pour moi, ça n’a rien d’étrange parce que, dans ma culture, nous prenons soin de nos parents jusqu’à la fin de leur vie… » (Traduction libre d’une entrevue avec Lisa, proche aidante, Antillaise)
Le bagage culturel peut aussi avoir une incidence sur la façon dont le diagnostic est reçu. Également, la religion ou la spiritualité peuvent aider à donner du sens à la maladie en plus d’offrir un soutien additionnel autant pour les personnes atteintes que pour celles qui sont proches aidantes.
Maintenir le lien… À quel prix?
À cause des symptômes de la maladie, tels que la difficulté à se concentrer, à se faire comprendre et à comprendre les autres, le changement d’humeur et de comportement ou la désorientation dans le temps et l’espace, la vie sociale de la personne vivant avec la maladie s’effrite. L’équipe de recherche observe une propension marquée des personnes proches aidantes de différentes communautés culturelles à garder leur parent ou partenaire engagé dans sa communauté. Comment? En l’accompagnant dans un lieu de culte, en se livrant à des activités, ou même en organisant des soirées jeux dans sa résidence. Le point positif? Malgré les troubles, la personne reste ancrée dans sa famille et sa communauté.
Le retour de bâton? Cette implication a un coût sur la qualité de vie de la personne proche aidante. Ce don de soi peut accentuer leur épuisement et se répercuter sur leur propre vie sociale. On peut penser – par exemple – à une proche aidante qui fait une croix sur sa soirée-bowling du vendredi pour accompagner son partenaire au bingo. Le sentiment d’exclusion peut devenir de plus en plus fort, alors que l’état de la personne se dégrade et que ses besoins augmentent. Au fur et à mesure qu’elle s’affaiblit, c’est un véritable cercle vicieux qui guette l’aidant ou l’aidante : plus de soins, plus d’implication, plus de solitude.
Familles et entourage : chaque geste compte
Comment mieux soutenir l’individu qui vit avec des troubles cognitifs et sa personne proche aidante? En passant du temps avec elles! Cette simple action contribue grandement au sentiment d’inclusion des familles atteintes, et ce, peu importe leur culture.
« Aujourd’hui, Michelle a demandé aux clients de décrire un moment heureux de leur vie où ils se sentaient « bien », « épanouis », « accomplis » et où ils avaient « leur place ». Presque tous ont répondu qu’ils étaient heureux lorsqu’ils étaient avec leur famille. Par exemple, Ulysses a dit que chaque dimanche après-midi, il était « l’homme le plus heureux de la terre » parce qu’il recevait la visite de son fils, qui vivait en ville, et de ses petits-enfants adorés. » (Traduction libre d’un exemple de notes de terrain)
Le cercle amical peut aussi apporter son lot de soutien à la personne proche aidante. Son influence est d’autant plus appréciée lorsqu’il s’efforce d’en apprendre plus sur la maladie. Non seulement cela aide la personne aux prises avec ces troubles à se sentir toujours acceptée, mais cette démarche peut aussi se traduire par une aide concrète et bénéfique pour l’aidant ou l’aidante.
« Après le souper, à l’une de ces occasions, un de nos vieux amis a dit : « J’ai une idée, Fred. Peut-être que tu ne devrais pas sortir autant d’ustensiles parce que ça la perturbe. » Et j’ai répondu : « Tu as raison! C’est une très bonne idée! » et je ne lui donne qu’un seul ustensile, pour être sûr. » (Traduction libre des propos de Fred, proche aidant, Juif)
Trouver l’équilibre, mais comment?
Les conclusions de l’étude soulignent l’importance de maintenir un équilibre entre le soutien offert à la personne souffrant d’une maladie neurodégénérative et son propre réseau social en tant que personne proche aidante, surtout pour les ceux et celles provenant de cultures qui valorisent fortement le don de soi vis-à-vis de ses proches. La clé? Garder la personne active dans sa communauté culturelle sans invisibiliser l’aidant ou l’aidante. Plus facile à dire qu’à faire… Si les personnes proches aidantes se sentent isolées de leur communauté, demander de l’aide peut sembler encore plus difficile. Pourtant, selon l’organisme L’Appui, rester vigilant face aux signes d’épuisement, nommer ses émotions, les laisser s’exprimer et chercher du soutien est primordial.