Karl, 62 ans, habite avec son fils âgé de 30 ans atteint d’une déficience intellectuelle sévère. Même si la cohabitation se déroule bien, Karl ne se fait plus tout jeune et s’inquiète pour le futur de son grand « petit » garçon. Qu’arrivera-t-il lorsqu’il ne pourra plus en prendre soin ? Devrait-il le garder à la maison ou le placer dans une ressource d’hébergement ? Si la planification de « l’après-parents » est une étape essentielle, plusieurs pères hésitent à amorcer des démarches, notamment en raison de leur attachement envers leur enfant et de la difficulté à trouver des services.
C’est ce que constatent Zoé Faubert et Georgette Goupil du département de psychologie de l’UQAM, après avoir interrogé 17 pères âgés de 49 à 70 ans qui habitent à temps plein avec leur enfant adulte ayant une déficience intellectuelle moyenne, sévère ou profonde. L’objectif derrière cette démarche ? Explorer les avantages et les inconvénients de la cohabitation, les émotions des pères face à l’avenir de leur enfant, et la manière dont ils planifient la transition de l’après-parents. Parmi les pères de l’étude, huit occupent un emploi, deux sont en retraite progressive et sept sont à la retraite.
La cohabitation : ni tout blanc, ni tout noir
Cohabiter avec son enfant adulte ayant une déficience intellectuelle : « ça va de soi », selon les pères interrogés. Plusieurs souhaitent vivre auprès de lui jusqu’au bout, c’est-à-dire tant que leur santé le leur permettra. Regrettent-ils leur choix ? Pas du tout ! La cohabitation renforce le lien avec leur enfant, met du bonheur et de la vie dans leur quotidien et leur permet de vivre dans le moment présent.
« C’est sûr qu’adulte c’est différent. On a eu beaucoup de peine, mais on a eu beaucoup de joie avec elle. On a encore des joies avec elle, et il n’est pas question qu’on la place au moment où on se parle. » (Père d’une fille de 27 ans)
Si la cohabitation comporte de nombreux avantages pour les pères, elle apporte aussi son lot de contraintes, comme la nécessité d’habiter à proximité des services, la perte de liberté, d’intimité de couple et le manque de services de soutien, comme du répit. À cela s’ajoutent des conséquences notables sur leur carrière professionnelle, tels une retraite prématurée ou le refus d’une promotion.
Un avenir incertain
Où ira leur enfant lorsqu’ils ne seront plus en mesure d’en prendre soin ? Poser cette question délicate, ce n’est pas forcément y répondre ! La plupart des pères interrogés envisagent d’avoir recours à une ressource intermédiaire de type famille d’accueil ou prévoient transformer leur domicile en résidence intergénérationnelle. D’autres ne se sentent pas prêts à choisir un autre domicile pour leur enfant, notamment parce qu’ils ne sont pas satisfaits des ressources disponibles ou qu’ils ne font pas confiance aux administrateurs des ressources résidentielles.
« J’aime mieux me priver à l’os que de l’envoyer dans une famille d’accueil, non je ne serais pas capable. Non : je vais vendre ma maison, je vais vendre mon chalet, je vais rester dans un 2 ½ s’il le faut. Je vais payer quelqu’un pour s’occuper de mon gars. » (Père d’un fils de 26 ans)
Qu’en est-il de leurs rêves pour leur enfant ? Le bonheur, la qualité de vie, le soutien et l’autonomie sont au cœur de leurs souhaits.
« J’espère qu’il aura toujours l’occasion d’être dans un milieu où il aura une qualité de vie, que ce soit chez nous, que ce soit dans un foyer de groupe, ou que ce soit ailleurs. Mais une qualité de vie qu’il va apprécier. » (Père d’un fils de 23 ans)
Aucun d’entre eux ne mentionne espérer que leur enfant trouve l’âme sœur ou fonde une famille. En revanche, le quart des pères, inquiets pour l’avenir de leur enfant, souhaitent qu’il les précède dans la mort.
« Le plus beau rêve, je sais que ce n’est pas correct, mais c’est qu’on ait le temps de l’enterrer avant qu’on parte. » (Père d’un fils de 34 ans)
La fratrie à la rescousse !
Épargner et planifier les aspects légaux par un testament, une fiducie ou une curatelle : autant d’étapes par lesquelles doivent passer les pères pour assurer le bien-être de leur enfant lorsqu’ils ne seront plus là. Seulement deux pères, les plus âgés de l’étude, ont inscrit leur enfant sur une liste d’attente pour un autre milieu de vie.
« La liste d’attente, mais qui peut attendre jusqu’à 5 ans ? Il faut attendre qu’il y ait une place qui se libère. Et faut-il encore que la place soit rapprochée de la maison. S’ils vous disent que c’est à Chicoutimi, on ne peut pas aller la voir toutes les fins de semaine. » (Père d’une fille de 35 ans)
Et la fratrie dans tout ça ? Dans plusieurs familles, les frères et sœurs sont la relève des parents, notamment pour assurer un suivi avec les services résidentiels. Cependant, certains pères sont réticents à demander de l’aide à leurs autres enfants, car ils se sentent coupables d’avoir été moins présents pour eux.
« Elle, sa sœur, son inquiétude c’était, elle avait peut-être peur qu’on lui dise : regarde, tu vas le garder. Je lui ai dit : je ne veux pas que tu le gardes, je veux que tu le places dans un endroit où il va être bien. » (Père d’un fils de 21 ans)
Plus de la moitié des pères n’ont pas discuté avec leur enfant de ses préférences pour l’avenir, puisqu’ils estiment qu’il ne comprend pas la notion du temps ou qu’il n’est pas prêt à avoir cette discussion.
Pour garantir une solution ? Adoucir la transition
La transition de l’après-parents suscite beaucoup d’émotions chez les pères, qui sont généralement peu préparés face à ce changement. Comment mieux les accompagner dans ce moment crucial ? Puisque les démarches doivent être amorcées tôt, les chercheuses soulignent l’importance pour les centres de réadaptation d’identifier un moment précis pour les amorcer. Une information claire, centralisée et accessible quant aux informations sur l’après-parents et sur les services offerts pour les adultes pourrait aussi faire partie de la solution. Enfin, comme la transition est source de nombreuses inquiétudes pour les parents, la mise en place d’une transition graduelle gagnerait à être étudiée.