C’est un fait : la tendance est à la rupture dans la Belle Province. Accessible et majoritairement gratuite, la médiation familiale est un outil populaire auprès des Québécois·e·s qui traversent une séparation houleuse. Et le tiers des ménages aux prises avec ce changement conjugal opte pour cette méthode de résolution alternative, ce qui soulève des questions fondamentales. Comment les pratiques de médiation familiale répondent-elles à leurs besoins? Pourquoi certains parents récemment séparés choisissent-ils la médiation familiale alors que d’autres s’en tiennent éloignés? Quels sont les facteurs qui pèsent dans la balance?
Afin de répondre à ces interrogations, les chercheuses Élisabeth Godbout et Karine Poitras, de l’Université du Québec à Trois-Rivières et leur collègue Johanne Clouet, de l’Université de Montréal, retracent l’évolution de la médiation familiale au Québec. Par la même occasion, elles brossent un portrait des différentes motivations qui poussent les ex-conjoint·e·s à faire appel – ou non – à ce programme. Pour ce faire, elles s’intéressent au vécu de 1 551 participant·e·s ayant répondu aux questionnaires de l’Enquête longitudinale auprès des parents séparés et recomposés du Québec (ELPSRQ). Ces personnes sont à la fois séparées depuis deux ans ou moins, et parents de minimum un enfant en bas de 14 ans.
À l’issue de cette recherche, des tendances surprenantes émergent, notamment en ce qui concerne les caractéristiques des ménages qui sollicitent la médiation familiale, et les obstacles qui freinent l’utilisation de tels services.
Il était une fois… la médiation familiale au Québec
La médiation familiale, elle en a fait du chemin depuis son implantation dans les années 70! Ses objectifs initiaux? Répondre à l’augmentation des divorces et offrir une alternative au système judiciaire. Depuis, elle est passée du statut de méthode marginale à composante essentielle du soutien offert par le gouvernement québécois aux familles vivant une séparation.
Depuis 2012, ce sont cinq heures de médiation gratuites qui sont allouées dans le cadre d’une séparation parentale, auxquelles peuvent ultérieurement s’ajouter deux heures et demie afin de réviser un jugement ou une entente.
– Tirée de Élisabeth Godbout et ses collaboratrices, 2022
Aujourd’hui, deux principaux types de médiation familiale prévalent au Québec : la médiation psychosociale ou thérapeutique, et la médiation juridique. La première vise à améliorer la communication entre les ex-conjoint·e·s, à résoudre les conflits et à aider tous les membres de la famille à s’adapter aux nouvelles dynamiques. La médiation juridique, en revanche, se concentre davantage sur les aspects légaux de la rupture tels que le temps parental, le partage des biens et la pension alimentaire.
Dans un cas comme dans l’autre, la forme que prend l’intervention dépend surtout de la discipline d’exercice du médiateur ou de la médiatrice. Les avocat·e·s, les notaires, les psychologues et les expert·e·s du travail social composent l’essentiel de ces intervenant·e·s accrédité·e·s. Cette diversité d’expériences professionnelles facilite non seulement l’accès à ce type d’accompagnement, mais elle permet également de répondre à l’éventail de besoins des parents qui les emploient.
Qui fait appel à la médiation familiale?
Au Québec, les séances de médiation familiale gratuites offertes aux couples admissibles suscitent toujours un certain engouement. En plus d’être abordables, elles sont faciles d’accès et permettent souvent d’éviter les procédures judiciaires. D’ailleurs, parmi le bassin de répondant·e·s auquel se sont intéressées les autrices de l’étude, des 78 % qui indiquent savoir de quoi il s’agit, 65 % disent y avoir déjà eu recours.
Chose curieuse : bien que les séances gratuites de médiation puissent accommoder une clientèle d’horizons socioéconomiques variés, le profil des parents qui les utilisent réellement diffère de ce à quoi on pourrait s’attendre.
Premièrement, ce programme gouvernemental attire davantage de parents ayant un diplôme d’études collégiales ou universitaires. Par ailleurs, la recherche montre que les bénéficiaires des séances de médiation disposent généralement d’un revenu familial moyen à élevé. Assez paradoxal pour un service qui a l’avantage d’être offert!
Autant pour les ex-conjoint·e·s que leurs enfants, l’âge s’avère un autre facteur déterminant dans l’utilisation de la médiation familiale. En effet, la majorité des répondant·e·s adultes est âgée de plus de 35 ans, tandis que leur marmaille a, en moyenne, rarement moins de 6 ans.
Finalement, les chercheuses soulignent que les couples qui étaient mariés avant leur séparation, plutôt qu’en union libre, sont plus enclins à chercher de l’aide du côté des médiateurs et médiatrices.
Un service efficace à portée encore limitée
À rupture inévitable, médiation familiale? En effet, de nombreux parents se tournent vers elle pour gérer leurs conflits et assurer une transition harmonieuse. Si bien que, parmi tous les gens sondés ayant réussi à gérer partiellement ou entièrement leurs désaccords, 46 % y parviennent via cette approche seule ou en combinaison avec d’autres services et solutions. Certain·e·s choisissent par exemple d’introduire une entente à l’amiable dans le processus de médiation, sans toutefois y mêler des professionnel·le·s. Une minorité de répondant·e·s se sert quant à elle de la médiation familiale en complément d’un suivi juridique auprès d’avocats par exemple. Tout compte fait, c’est l’usage exclusif de la médiation qui apparait comme l’option la plus populaire.
Malgré les efforts de promotion et le haut taux d’adoption de cette initiative gouvernementale, un tiers des ménages québécois admissibles sélectionnent d’autres méthodes pour gérer leur séparation. C’est le cas des parents qui optent pour une entente à l’amiable, sans médiation ni intervention juridique. Il est possible que ces derniers voient ce processus comme relevant du domaine privé ou encore qu’ils souhaitent simplement conserver une autonomie décisionnelle. À ce moment-là, il n’est pas rare que des ami·e·s, des membres de la famille ou d’autres piliers de soutien importants pour l’ancien couple, se retrouvent à gérer les contrecoups de leur séparation.
Outre ces motifs, l’étude désigne plusieurs facteurs qui pourraient expliquer pourquoi certaines familles boudent la médiation en dépit de sa gratuité. D’abord, un certain nombre de parents estiment qu’ils peuvent régler eux-mêmes les conséquences juridiques et psychosociales de leur rupture. Ensuite, la méfiance à l’égard des spécialistes de la médiation joue également un rôle important. Parfois, il arrive aussi que l’un·e des partenaire·s refuse tout simplement d’y participer.
Violence en contexte de médiation familiale, prenez garde!
Bénéfique pour beaucoup de familles, la médiation peut occasionnellement être une méthode inappropriée. La présence de violence au sein du foyer, par exemple, conduit plusieurs spécialistes à déconseiller cette approche. De plus, l’étude montre que les familles confrontées à la violence sont moins susceptibles d’utiliser ces services.
En dépit de cela, la violence conjugale n’empêche pas tous les ex-conjoint·e·s de consulter en médiation. Les intervenant·e·s doivent donc redoubler d’attention afin de détecter ces situations et d’orienter les parents vers des solutions plus appropriées, le cas échéant.
Soutenir les familles en instance de séparation : un engagement nécessaire
Dispositif solidement ancré dans le système judiciaire québécois, la médiation familiale offre un cadre structuré aux parents qui traversent une séparation tumultueuse. Toutefois, malgré sa gratuité et sa grande disponibilité, cette pratique attire davantage une clientèle éduquée et aisée tandis qu’un tiers des familles qui pourraient en bénéficier penchent pour des formules alternatives. De la violence conjugale au désir d’anonymat en passant par le manque de confiance envers les institutions, plusieurs facteurs sont susceptibles de rapprocher ou d’éloigner les parents de ce service.
De plus en plus fréquentes, les séparations touchent une population qui se diversifie continuellement. Ainsi, il est primordial que les médiateurs et médiatrices familiaux soient en mesure d’adapter leurs pratiques à cette réalité tout en déployant un minimum de savoir-faire en matière d’accompagnement psychosocial. Reconnaître que les besoins des familles en transition post-séparation sont variés et souvent complexes apparait également essentiel. C’est dans l’optique de valoriser des approches toujours plus actuelles que l’Association des médiateurs familiaux du Québec offre des solutions et des ressources pour soutenir les familles confrontées à la rupture.