Il n’y a pas si longtemps, papi Richard, mamie Renée, leurs enfants et leurs petits-enfants, vivaient tous ensemble, dans une même maison. Mais les temps ont changé. Bien moins répandue qu’autrefois, la cohabitation intergénérationnelle – c’est-à-dire lorsque des parents vieillissants habitent avec des membres de la génération descendante – représente aujourd’hui une petite proportion des ménages québécois. Les quelques études à portée de main estiment qu’environ 1,6 % des ménages québécois suivent ce modèle.
C’est parce que nous en savons si peu sur ce type de ménage que Céline Spira, travailleuse sociale spécialisée en enjeux bigénérationnels, a mené une étude auprès de six familles d’origine québécoise de la Capitale nationale vivant en cohabitation intergénérationnelle. Pour chacune des familles, des rencontres individuelles ont été menées auprès d’un parent vieillissant (quatre femmes et deux hommes, tous autonomes) et d’un membre de la génération descendante (six femmes). Le recrutement des participants a été effectué par le biais de réseaux d’information de l’Université Laval et d’organismes qui soutiennent les personnes âgées. Le but de la recherche : mieux connaître les enjeux vécus par ce type de familles.
Bénéfices et inconvénients escomptés
Avant d’emménager sous un même toit, l’ensemble des membres des familles s’attendent à ce que la cohabitation apporte certains bénéfices (tableau 1) et inconvénients (tableau 2). Les enfants, désignés ici par le terme ménages cadets, l’envisagent comme un moyen d’assurer le bien-être de leurs parents et, dans quelques cas, comme un moyen d’accéder à la propriété privée en rachetant la demeure de leurs parents. Ils pourront aussi faire plus facilement appel au parent pour garder les enfants. Les ménages aînés, qui peuvent renvoyer à une seule personne, considèrent surtout le développement de relations plus étroites avec leurs enfants et petits-enfants ainsi que le bien-être et la sécurité liés au fait de demeurer à la résidence familiale (un endroit connu).
Tableau 1 : Bénéfices escomptés avant la cohabitation
Sur le plan des inconvénients, tant les ménages cadets que les ménages aînés craignent le développement de tensions relationnelles (les sujets de désaccords ne sont pas identifiés) et le manque d’intimité causé par l’absence de frontières entre les habitations des ménages cadet et aîné. Les enfants redoutent également les difficultés entraînées par une éventuelle perte d’autonomie de leur parent, i.e. le poids de responsabilités associées au rôle de proche aidant. Les aînés redoutent plutôt la perte de contrôle sur le milieu de vie dans lequel ils ont vieilli.
Tableau 2 : Inconvénients escomptés avant la cohabitation
Bénéfices et inconvénients réels
Une fois emménagés sous un même toit, les personnes interviewées réalisent que les bénéfices escomptés sont plus nombreux que prévu! Les enfants découvrent un sentiment d’entraide plus profond et profitent d’un soutien accru de leurs parents en cas de difficultés. Les aînés, quant à eux, rapportent un sentiment de sécurité, tant économique que physique, beaucoup plus grand que ce qu’ils anticipaient au départ.
« Ça me rassure, s’il y a de quoi, ils [mes enfants] vont prendre soin de m’envoyer à l’hôpital. Ils vont s’occuper de moi tout de suite. »
En plus de ce sentiment de sécurité, les aînés se sentent privilégiés de pouvoir entretenir des relations plus fréquentes avec leurs petits-enfants, des relations qui leur permettent de participer à l’éducation des petits et, rapportent-ils, de ne pas vieillir trop vite…
« Ils [les petits-enfants] nous apportent et nous on apporte aussi. […] Ça garde jeune. Ah oui, je trouve ça en tout cas. […] Je pense que l’on vieillit moins vite. »
Tableau 3 : Bénéfices réels de la cohabitation
Tout n’est pas rose pour autant… Les inconvénients s’avèrent, eux aussi, plus nombreux dans la réalité. Ces inconvénients sont surtout liés à des contrariétés momentanées plus qu’à de réels problèmes de fond. Les cadets sont parfois agacés par l’ingérence de leurs parents dans l’éducation des tout-petits ou dans l’entretien de la maison. Même frustration du côté des aînés, qui voient d’un mauvais œil l’idée de se soumettre aux lignes directrices de leurs enfants en ces matières. Cinq des six familles participantes perçoivent ces difficultés comme étant mineures et ne remettent pas en cause le choix de la cohabitation.
Tableau 4 : Inconvénients réels de la cohabitation
Tous pour un, et un pour tous
C’est en matière de solidarité familiale que les ménages intergénérationnels profitent le plus de cette cohabitation. Cette solidarité se divise en cinq composantes :
- Associative : fréquence plus élevée d’activité communes comme écouter la télévision ensemble, jouer aux cartes, ou tout simplement avoir une conversation en famille;
- Affective : développement de l’affection en certains membres de la famille;
- Consensuelle : partage d’un projet commun de cohabitation;
- Fonctionnelle : échange de services comme la préparation des repas, les achats, et soutien moral et matériel entre aînés et cadets;
- Normative : renforcement des rôles familiaux et du sentiment de redevabilité pour l’aide fournie.
Quel avenir pour la cohabitation ?
Bien que l’échantillon de Spira ne soit pas représentatif, son étude ouvre la voie à une piste de recherche intéressante puisque, dans l’ensemble, seule une famille se disait insatisfaite de la cohabitation intergénérationnelle. Ce constat saura-t-il faire en sorte que ce modèle de cohabitation se répande à au Québec ? Dans une province où la moyenne d’âge augmente année après année, les ménages québécois reviendront-ils au modèle d’habitation multigénérationnelle d’antan ?