Le niveau des océans qui augmente, les forêts qui brûlent, les tempêtes qui s’intensifient, les espèces qui disparaissent… Ce ne sont pas seulement les adultes qui s’en préoccupent. En effet, de plus en plus, les enfants ressentent pleinement l’urgence et l’impact de la crise environnementale. Bien loin de l’insouciance qu’on attend de leur jeunesse, ils et elles sont conscient·e·s des menaces climatiques qui pèsent sur leur génération. L’écoanxiété, ce sentiment de détresse face à l’avenir de la planète, et à son propre avenir, gagne de plus en plus de terrain chez les plus jeunes. Face à cette crise, quel est vraiment leur niveau de connaissances, quelles émotions les traversent? Comment est-il possible de les soutenir dans cette vague d’incertitudes, en les aidant à apaiser leur angoisse et à trouver des moyens de surmonter leur anxiété?
Et si les enfants étaient confrontés aux mêmes préoccupations liées au changement climatique que les adultes? C’est ce que cherche à comprendre une équipe de recherche de l’Université du Québec à Montréal, de l’Université de Sherbrooke et de l’Université Bishop’s. Face à l’émergence de l’écoanxiété chez les jeunes, ce collectif se questionne : comment les enfants vivent-ils cette anxiété liée à l’environnement, et comment les parents peuvent-ils les soutenir? Pour explorer cette question, 12 duos parent-enfant ont participé à une étude qui comprenait des entrevues avec les enfants âgés de 8 à 12 ans et un questionnaire en ligne pour les parents. Les perspectives obtenues sont éclairantes. Trois thèmes majeurs se distinguent : ce qu’ils et elles savent du climat, leurs réactions face aux enjeux climatiques et leurs stratégies pour surmonter l’écoanxiété. Ces voix juvéniles montrent qu’elles comprennent et ressentent bien plus que ce à quoi nous nous attendions.
Le climat vu par nos petit·e·s expert·e·s
Que savent vraiment les enfants sur les changements climatiques? Sont-ils et elles aussi bien informé·e·s que préoccupé·e·s? La réponse n’est pas si simple : bien qu’une réelle conscience des phénomènes soit présente, leur compréhension reste parfois incomplète… Les enfants interrogés sont capables de citer des exemples concrets et visibles comme la fonte des glaciers, les incendies de forêt ou encore la disparition des ours polaires – des images percutantes qui s’impriment dans leur mémoire. Pourtant, quand il s’agit d’expliquer les causes, c’est une autre histoire! Par exemple, certain·e·s pensent que le soleil se rapproche de la Terre ou que notre planète est en train de fondre. Ces idées, bien que parfois erronées, témoignent de leur volonté de saisir un enjeu complexe malgré leur jeune âge.
Mais alors, quelles sont leurs sources d’information? L’école, mais pas seulement. Les enfants puisent aussi dans les médias, les conversations familiales, et, poussés par l’inquiétude, certain·e·s vont même jusqu’à faire leurs propres recherches en ligne, par exemple sur YouTube. Si le monde d’aujourd’hui est une véritable tempête d’informations, les petit·e·s n‘échappent pas à ce flot constant. Cela dit, au-delà de cette surabondance, comment ces informations sont-elles réellement et concrètement ressenties?
Quand la planète pleure, les enfants ressentent!
Les enfants ressentent-ils vraiment l’impact émotionnel des changements climatiques? Absolument! Comment exactement? La tristesse est l’émotion qui revient le plus souvent, notamment lorsqu’il s’agit de la perte de biodiversité et de la souffrance animale. Leur empathie naturelle pour le vivant est frappante, au point de ressentir pour plusieurs d’entre eux et elles une sorte de deuil face à l’extinction d’espèces. Imaginez un enfant prenant conscience que des animaux, comme les ours polaires, pourraient bientôt disparaître… Comment réagir face à une telle réalité, si difficile à accepter?
L’écoanxiété, c’est ce mélange d’inquiétudes et d’incertitudes qui naît face aux changements climatiques et qui est accompagnée de son lot d’émotions telles que l’anxiété, la culpabilité, la tristesse et un sentiment d’impuissance.
La colère fait aussi partie du tableau. Les enfants ne se contentent pas de regarder passivement la planète se dégrader; ils et elles expriment de la frustration… envers les personnes qui polluent, qui ferment les yeux, et parfois même envers les générations précédentes. La jeunesse ne mâche pas ses mots lorsqu’elle exprime sa frustration à l’égard des erreurs du passé.
D’autres ressentis plus spécifiques peuvent également émerger, comme la peur et l’anxiété. Il n’est pas rare que la vision d’un futur sombre, où la Terre serait «abîmée» ou «pire» se dessine dans leur esprit. Les enfants se sentent souvent impuissant·e·s face à l’ampleur du problème, se demandant comment ils et elles peuvent y changer quoi que ce soit. Une constatation revient dans les échanges : «On ne peut pas arrêter de polluer du jour au lendemain», explique la jeune génération.
Pourtant, tout n’est pas noir. Certains enfants, conscient·e·s de ne pas encore être directement touché·e·s par les catastrophes climatiques, se sentent chanceux et chanceuses et parviennent à exprimer de la gratitude. Sans compter que plusieurs éprouvent de la fierté face à l’adoption de comportements écoresponsables, comme le recyclage. Ces petits gestes parviennent à démontrer que, même dans l’adversité, l’espoir trouve souvent sa place.
L’écoanxiété, une conversation à plusieurs voix…
Et les parents dans tout ça? Ils sont souvent perçus comme des modèles pour les comportements écoresponsables : recycler, réduire les déchets, utiliser des transports écologiques. Mais une question persiste : pourquoi les enfants ne les considèrent pas comme leur source principale d’information sur le climat? Souvent, la peur ou la culpabilité ressentie par les parents face à cette crise les empêche d’aborder le sujet, par crainte d’inquiéter leurs enfants; et cet évitement – par extension – peut mener à un décalage de perceptions.
«Ce n’est pas vraiment moi qui choisis de le faire [ramasser les déchets et faire du compost], donc je ne sais pas vraiment pourquoi.» – Enfant participant à l’étude
Résultat? Les enfants puisent leurs informations ailleurs — principalement à l’école — et développent leurs propres inquiétudes, parfois en silence. Ce silence, pourtant, n’est pas toujours la meilleure approche. Des parents qui évitent le sujet risquent d’envoyer, sans le vouloir, le message que ces craintes doivent être gardées pour soi. À l’inverse, ouvrir la discussion, même si ce n’est pas toujours intuitif, permet aux enfants d’exprimer leurs émotions. Avec cette prise de conscience, ils et elles comprendront mieux le sens des actions écologiques et pourront s’y engager de façon plus autonome.
Comment faire? Des outils simples, comme lire des histoires sur le climat, adaptées aux enfants, ou passer du temps en nature, peuvent créer un espace de dialogue rassurant. Ouvrir cette conversation, c’est permettre aux jeunes de se sentir enfin compris… et aux parents de mieux saisir les préoccupations qu’ils partagent face à l’avenir de la planète.
Quant aux enseignant·e·s, leur rôle est tout aussi important : en reconnaissant les perspectives et émotions des enfants, toutes et tous créent un espace sûr où les jeunes peuvent s’exprimer sans crainte, tout en les aidant à gérer ces émotions liées à l’écoanxiété. Ensemble, les parents et le personnel enseignant deviennent des allié·e·s indispensables pour les guider dans leurs inquiétudes.
Action, émotion, sens : trois façons de faire face à l’écoanxiété!
Comment les enfants parviennent-ils et elles à gérer leurs émotions face à la crise climatique? C’est là qu’interviennent les stratégies d’adaptation. L’une des stratégies les plus courantes est l’action individuelle, ou stratégie centrée sur la résolution de problèmes : ramasser des déchets, économiser l’eau, réduire les plastiques… Ces simples gestes leur donnent l’impression de participer. Attention cependant : bien que cela procure un sentiment de contrôle, ces initiatives peuvent aussi mener à l’épuisement si les jeunes réalisent que leurs efforts seuls ne suffiront pas à changer les choses.
D’autres préfèrent éviter le problème, en minimisant sa gravité ou en évitant d’en parler : il s’agit alors de la stratégie centrée sur la gestion des émotions. Le soutien social, que ce soit des parents ou des ami·e·s, aide également à atténuer leur anxiété. La tendance? La plupart des enfants oscillent entre ces deux stratégies : l’action et l’évitement émotionnel.
Une dernière approche, moins courante: viser à donner un sens positif à la situation. Ici, les enfants reconnaissent la complexité des changements climatiques, mais choisissent de reformuler la situation de manière positive et encourageante. Par exemple, certain·e·s constatent que la pollution diminue et espèrent que, dans quelques décennies, les efforts pour l’environnement porteront leurs fruits. Cette stratégie permet aux émotions désagréables, comme l’anxiété, de cohabiter avec des émotions plus positives, tels que l’espoir et l’optimisme face à l’avenir et à l’humanité. Cela leur redonne un sentiment de contrôle tout en acceptant la réalité telle qu’elle est.
Main dans la main pour un monde meilleur!
Comment transformer une inquiétude en moteur de changement? L’écoanxiété est une émotion troublante lorsqu’elle est vécue seule. Mais elle peut devenir un puissant levier d’action lorsqu’elle est soutenue par des connaissances claires, des émotions bien accueillies, et des stratégies d’adaptation efficaces. Et avec un soutien décliné à plusieurs, on peut aller plus loin! En effet, grâce à l’accompagnement d’adultes engagés, cette anxiété peut se transformer en opportunité. Ouvrir le dialogue, c’est ouvrir la porte à une meilleure compréhension des enjeux climatiques et des émotions qui y sont liées. En montrant l’exemple et en offrant des outils concrets, les adultes permettent aux enfants non seulement de comprendre, mais aussi de transformer leurs inquiétudes en actions positives.