À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Alicia Boatswain-Kyte, Sonia Hélie et Marie-Noele Royer « A critical examination of youth service trajectories: Black children’s transition frome child welfare to youth justice », publié en 2023 dans Children and youth services review, volume 157.

  • Faits saillants

  • La Loi sur la protection de la jeunesse a pour mandat de protéger les enfants. Elle intervient lorsque la sécurité ou le développement d’un enfant est considéré comme compromis ou à risque de l’être.
  • La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a le mandat de protéger le public. Elle reconnaît l’adolescent·e comme entièrement responsable de ces actes et juge qu’il ou elle est en mesure d’y répondre. Elle a pour objectif de l’amener à respecter les valeurs de la société, et à réparer les dommages occasionnés par son geste.
  • Certain·e·s jeunes sont suivi·e·s dans le cadre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents après avoir reçu des services de la protection de la jeunesse.
  • Des facteurs de risque augmentent la probabilité qu’un·e jeune transitionne du système de la protection de la jeunesse vers le système de justice pour adolescent·e·s. Parmi ceux-ci, figurent l’âge, le genre, le fait d’avoir été placé·e ou non dans un centre de réadaptation et l’origine ethnoculturelle. En effet, les enfants Noirs sont 81% plus à risque de passer d’un système à l’autre que les enfants Blancs.
  • Au Québec, la Loi sur la protection de la jeunesse et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents se chevauchent. Le Québec est la seule province où un·e jeune qui présente des troubles graves de comportement peut être dirigé·e dans un système ou dans l’autre.

Certain·e·s jeunes passent des services de la protection de la jeunesse à ceux du système de justice pour les adolescent·e·s. Pourquoi? Le lien entre le fait d’avoir vécu de la maltraitance dans l’enfance et le développement de comportements délinquants a été établi. Mais tous les enfants ne sont pas égaux face à ce risque. Des facteurs augmentent les probabilités de passer d’une situation à l’autre. Les responsables? L’âge au moment de la première intervention de la protection de la jeunesse, le genre et le fait de parler une autre langue que le français à la maison. Plus encore, la comparaison entre deux groupes d’enfants réalisée dans le cadre d’une récente étude permet de constater l’influence de l’origine ethnoculturelle sur les risques qu’un·e jeune se retrouve dans le système de justice pour adolescent·e·s après une intervention de la DPJ dans sa vie.

Cette étude est menée par les chercheuses Alicia Boatswain-Kyte de l’Université McGill ainsi que Sonia Hélie et Marie-Noele Royer de l’Institut universitaire Jeunes en difficulté. L’équipe examine la trajectoire de vie sur une période de 10 ans de jeunes ayant reçu des services de la protection de la jeunesse. Elle brosse d’abord un portrait de leurs caractéristiques. Puis sur cette base, deux groupes sont retenus : celui des enfants Blancs et celui des enfants Noirs. Les chercheuses s’intéressent ensuite à ceux qui ont commis une infraction et qui ont été suivis dans le cadre de la Loi sur la justice pénale pour les adolescents après la fermeture de leur dossier en protection de la jeunesse. La comparaison entre ces deux groupes permet d’étudier la relation qui existe entre l’origine ethnoculturelle et l’implication dans le système de justice pénale pour adolescent·e·s. Ainsi, elles décèlent de nombreuses différences de traitement, et identifient plusieurs facteurs augmentant les probabilités qu’un·e jeune transitionne d’un système à l’autre. Force est de constater que l’origine ethnoculturelle se retrouve parmi les facteurs ayant le plus d’influence.

Deux lois, des objectifs différents

LPJ ou LSJPA, laquelle s’adresse à qui et pourquoi? Bien qu’elles agissent toutes les deux auprès des personnes mineures, la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) ont des visées bien différentes. Si la première a pour objectif d’assurer la protection des enfants, la seconde a plutôt pour but de protéger le public.

La Loi sur la protection de la jeunesse reconnaît les parents comme étant entièrement responsables de la protection de leur enfant. Lorsqu’elle intervient, c’est parce que la sécurité ou le développement de ce dernier est considéré comme compromis ou à risque de l’être. Dans ce contexte, les décisions sont prises dans le meilleur intérêt de l’enfant et les mesures sont mises en place dans le but de faire cesser la situation lui causant du tort. De son côté, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents considère le ou la jeune comme pleinement responsable de ses actions et juge que c’est à lui ou à elle d’en répondre. Les mesures prévues ont donc pour but d’encourager l‘adolescent·e à respecter les valeurs de la société et à réparer les dommages causés par les gestes posés1.

De la LPJ à la LSJPA : une transition pour quels enfants?

Dans quelle mesure le passage d’un système à l’autre est-il chose fréquente? Combien d’enfants sont concernés? Les résultats démontrent qu’elle touche un peu plus de 1 jeune sur 10.

De nombreux facteurs sont identifiés comme augmentant les risques qu’un·e jeune soit suivi·e dans le cadre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents après avoir reçu des services de la protection de la jeunesse. Lesquels? Parmi ces derniers, on retrouve le fait d’avoir été signalé·e pour des préoccupations en lien avec son comportement, d’avoir été signalé·e par un·e professionnel·le, le fait d’avoir vécu de l’instabilité dans ses placements et celui de parler une autre langue que le français à la maison. L’âge, le genre, le fait d’avoir été placé·e en centre de réadaptation et l’origine ethnoculturelle y figurent aussi.

Plus les jeunes sont âgé·e·s au moment de l’intervention de la protection de la jeunesse, plus les risques d’un passage vers la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents sont élevés. Les garçons ayant été victimes de maltraitance se retrouvent également plus souvent impliqués auprès du système de justice pour adolescent·e·s que les filles ayant subi les mêmes traitements. En ce qui concerne l’origine ethnoculturelle, les risques qu’un·e jeune soit suivi·e sous la LSJPA à la fin des services de la protection de la jeunesse ou à l’âge de 12 ans sont les mêmes pour les deux groupes. Mais à mesure que le temps avance, les jeunes Noir·e·s sont plus à risque d’un passage vers la LSJPA que les jeunes Blanches et Blancs. Combien de fois plus à risque? L’étude révèle que les enfants Noirs sont 81% plus susceptibles de vivre une transition vers le système de justice pénale pour adolescent·e·s que les enfants Blancs.

Du motif de signalement au type de placement, des parcours bien différents

Mais le risque plus élevé de passer vers la LSJPA qui pèse sur les enfants Noirs n’est pas le seul élément qui les distingue des enfants Blancs. Des différences existent entre les deux groupes dès leur entrée dans le système de protection de la jeunesse et même avant. Lorsqu’on examine les motifs de signalement ainsi que leur source, on constate que les enfants Noirs et les enfants Blancs ne sont pas signalés pour les mêmes raisons ni par les mêmes groupes de personnes.

Même type d’infractions, peines distinctes

D’autres distinctions? Elles continuent de se cumuler entre les enfants Blancs et Noirs qui transitionnent vers la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Mais lorsqu’on compare leur parcours à ce niveau, on retrouve d’abord des ressemblances. L’âge moyen de la première infraction est de 15,7 ans pour l’ensemble des jeunes, sans égard à leur origine ethnoculturelle. Les infractions commises sont également similaires, c’est-à-dire qu’on ne détecte pas la présence de délits plus graves ou de criminalité plus sévère au sein de l’un ou l’autre des deux groupes2.

Malgré une absence de distinction dans les méfaits, on constate des différences dans les mesures qui sont prises et le taux de récidive.

Trouble de comportement : police ou DPJ?

Si on reconnaît le Québec pour son approche moins punitive en matière de délinquance juvénile, c’est notamment parce que la législation québécoise permet d’intervenir auprès d’un·e jeune qui présente des troubles graves de comportement par le biais de la Loi sur la protection de la jeunesse. Mais certaines conduites incluses dans ce motif de signalement peuvent aussi être sanctionnées en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Le résultat de ce chevauchement? Il est possible de diriger un·e jeune âgé·e entre 12 et 17 ans chez qui l’on observe ce type de difficultés vers l’un ou l’autre des deux systèmes. Choisir de se tourner vers la LPJ ou la LSJPA influencera de façon très différente son parcours, considérant que la première préconise une approche de type « soins » et la seconde, une approche axée sur la responsabilisation.

L’étude démontre que des différences de trajectoire existent bel et bien entre les enfants Blancs et les enfants Noirs qui se retrouvent dans ces deux systèmes. Pour l’équipe de recherche, cela soulève le besoin de mieux comprendre l’implication de la protection de la jeunesse auprès des enfants qui présentent des troubles de comportement. Quel enfant a accès aux services de la protection de la jeunesse et dans quel contexte?


  1. Les informations complémentaires sur la LSJPA qui se trouvent à la fin de ce paragraphe sont tirées de la section « Déclaration de principes » de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, consultée le 19 juin 2024 à :  https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/y-1.5/page-1.html#docCont ↩︎
  2. Les informations complémentaires contenues dans cette section sont tirées de la conférence « À la croisée des chemins : Les enfants Noirs et le système de protection de l’enfance du Québec » organisée par le partenariat de recherche Familles en mouvance et donnée par Alicia Boatswain-Kyte le 20 mars 2024, consulté le 19 juin 2024 à : https://www.youtube.com/watch?v=AbCg3U-QecM ↩︎