Lorsque vous vous remémorez votre jeunesse, quels types de souvenirs vous viennent spontanément à l’esprit? Si certain·e·s posent un regard positif sur cette période de leur vie, d’autres grandissent avec un parent atteint d’un trouble de santé mentale et voient ce tableau assombri par la crainte ou l’incompréhension.
Malheureusement, les enfants et adolescent·e·s confronté·e·s à cette réalité sont souvent les grand·e·s oublié·e·s des systèmes de soutien québécois. En effet, les ressources d’aide disponibles s’adressent davantage à leurs parents ou aux jeunes ayant eux-mêmes des troubles de santé mentale ou de comportement.
Afin d’identifier et de proposer des pistes d’intervention plus adaptées aux personnes mineures dans cette situation, une équipe de recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, en collaboration avec l’organisme Anna et la mer, scrute les dossiers de 55 jeunes ayant rejoint Les Ateliers Anna, une des rares initiatives communautaires à les épauler au Québec. Recueillis entre 2009 et 2018, ces dossiers font l’objet d’une analyse statistique qui permet de préciser le profil de ces jeunes et leurs besoins en lien avec leur expérience concernant la santé mentale de leur parent. Pour bien comprendre l’état actuel des connaissances en la matière, Julie Lefebvre et ses collègues réalisent également une revue de littérature.
Santé mentale précaire : un terreau fertile à la vulnérabilité
À l’image du balancier qui aide le funambule à avancer prudemment sur sa corde, la santé mentale favorise le maintien de la stabilité à travers les intempéries du quotidien. Cet équilibre, pourtant si essentiel, peut cependant être mis à mal lorsqu’un trouble de santé mentale s’invite dans l’équation. Affectant directement 50 % de la population canadienne1, cette problématique transcende les générations, les cultures et les classes sociales. De ce nombre, impossible toutefois de déterminer la proportion de parents, ce qui laisse planer le mystère sur les conditions dans lesquelles leurs enfants grandissent. C’est ici qu’intervient le concept de vulnérabilité qui renvoie aux situations où la sécurité, la santé ou le bien-être d’une personne sont compromis.
Si certains traits individuels prédisposent à la vulnérabilité, elle peut aussi se manifester lorsque le contexte s’y prête. Ainsi, l’état psychologique d’un parent vivant avec un trouble de santé mentale peut par exemple avoir une incidence sur la situation financière du foyer, la qualité de la communication qu’il entretient avec ses enfants ou plus généralement, sur la force des liens entre les membres de sa famille. Par extension? Engendrer ou accentuer la vulnérabilité d’un enfant. Par ailleurs, il arrive que les jeunes en contexte de vulnérabilité voient leur parent être hospitalisé ou emprisonné, ce qui engendre un stress supplémentaire et entrave parfois leur développement.
Survivre au séisme : l’impact de la maladie mentale parentale sur l’enfant
Responsabilités trop lourdes à porter, isolement, incompréhension de la situation : s’épanouir pleinement lorsque son parent présente un trouble de santé mentale est une mission quasi impossible pour les enfants qui grandissent dans ce contexte. Outre les difficultés comportementales et émotionnelles, ils et elles sont plus à risque de manifester un retard de développement. À ce sujet, différents facteurs liés à la condition de santé mentale du parent, leur fréquence et leur importance peuvent venir prendre une place (très) importante dans l’assiette déjà bien pleine de ces jeunes. L’équipe de recherche évoque par exemple la présence d’un trouble de santé mentale chez les deux parents, l’irrégularité dans la prise du traitement et le manque de services de soutien. Considérant que les enjeux de santé mentale demeurent tabous, il arrive que certains parents évitent de les aborder avec leurs enfants. Un véritable cercle vicieux qui peut potentiellement accroître l’incompréhension et la vulnérabilité des jeunes.
Or, cet environnement instable engendre occasionnellement des adaptations positives chez les jeunes qui côtoient un parent atteint d’un trouble de santé mentale. Ceux et celles qui parviennent à prendre du recul sur la condition ont un moins fort sentiment de culpabilité, font preuve d’une plus grande maturité émotionnelle, d’une meilleure compréhension du trouble de leur parent et sont en mesure de socialiser et d’échanger avec leurs pairs vivants dans un contexte semblable. Contre toute attente, l’adversité rencontrée peut également contribuer à rehausser leur estime de soi.
Quand les enfants invisibles prennent la parole
Malgré leur tendance à passer entre les mailles du filet, les enfants dont un parent souffre d’un trouble de santé mentale ont des besoins bien réels. Ils et elles peuvent notamment souhaiter comprendre le trouble de leur parent, voir leurs émotions reconnues et validées et partager leur expérience avec d’autres enfants en mesure de comprendre leur vécu.
Pour mieux adapter les services qui sont offerts aux jeunes en situation de vulnérabilité, il importe de s’attarder à la provenance de la demande d’aide faite en leur nom.
Au sein de la population étudiée par l’équipe de recherche, la majorité des demandes proviennent d’intervenant·e·s psychosociaux du réseau de la santé, d’organismes communautaires ainsi que de l’entourage des enfants. Les motifs de référence démontrent souvent une incompréhension du trouble parental qui, dépendamment du profil psychosocial de l’enfant, peut se manifester directement ou de manière plus détournée. Outre les symptômes de vulnérabilité, ils et elles peuvent par exemple avoir des comportements ou des difficultés particulières. Beaucoup font état d’une souffrance qui se présente comme de l’anxiété, d’un repli sur soi ou des difficultés à exprimer ses émotions. D’autres encore, subissent les contrecoups de l’ambiance familiale turbulente, où la pauvreté et les conflits sont attisés par la problématique de santé mentale.
Un élément à considérer : peu de garçons sont inclus dans la présente étude. Le fait qu’ils expriment leur détresse différemment, soit par des comportements extériorisés (les émotions difficiles sont projetées vers l’extérieur, plutôt que vers l’intérieur) et des passages à l’acte qui sont plus difficiles à relier au contexte familial de vulnérabilité, pourrait être une explication. Plutôt orientés vers des ressources d’intervention axées sur la gestion de leurs comportements problématiques, il est donc possible que, dans leur forme actuelle, les programmes de soutien soient perçus comme moins adaptés à leurs besoins.
Jeunes vulnérables : des organismes communautaires à la rescousse
Comme le démontre l’étude, grandir aux côtés d’un parent atteint d’un trouble de santé mentale influence profondément le développement et le bien-être des enfants, accentuant au passage leur vulnérabilité. Le profil psychosocial des jeunes qui font face à cette réalité souligne la variété et la complexité de leurs besoins en matière d’intervention. Malgré cela, quelques organismes québécois comme Les Ateliers Anna, T’as ta Place, Réseau avant de craquer, Fondation Jeunes en tête et APPAMME – Estrie mettent à la disposition de ces enfants et adolescent·e·s un parcours de soutien riche en activités, qui leur permet de développer des stratégies adaptatives et de retrouver la confiance perdue.
En leur offrant un milieu de vie où ils peuvent sortir de leur cocon, les organismes qui les accompagnent les aident à améliorer leur relation avec le parent affecté, à acquérir une meilleure compréhension des troubles de santé mentale et à s’ouvrir sur leur expérience. Permettre aux jeunes qui doivent composer avec le trouble de santé mentale d’un parent d’être en contact avec des personnes qui partagent leur réalité, c’est possiblement influencer de manière positive leur trajectoire de vie.
- Dès l’âge de 40 ans, près de 50 % de la population aura vécu ou vivra avec un trouble de santé mentale. (Tiré de « Faits saillants sur la santé mentale et la maladie mentale », Association canadienne pour la santé mentale (2021), consulté le 22 novembre 2023.) ↩︎