« Je ne pouvais pas arrêter de pleurer, et il n’y avait personne pour m’expliquer ou me rassurer », se rappelle Marie, qui a vécu une fausse couche. Près d’une grossesse sur cinq se termine de cette manière, généralement à l’urgence. Cet évènement particulièrement éprouvant est d’autant plus difficile à traverser en l’absence d’information ou de soutien de la part du personnel médical. Malheureusement, de l’annonce de la fausse couche à leur sortie de l’hôpital, les femmes décrivent trop souvent être laissées à elles-mêmes.
C’est le constat d’une étude menée par Danaë Larivière-Bastien, Francine De Montigny et Chantal Verdon de l’Université du Québec en Outaouais. Les chercheuses interrogent 48 femmes âgées de 22 à 41 ans ayant vécu une fausse couche à l’urgence à moins de 20 semaines de grossesse. L’objectif ? Identifier les pratiques de soins qui ont pu teinter négativement leur expérience. Les participantes déplorent un manque d’information à trois étapes critiques : à l’annonce de la fausse couche, pendant et après celle-ci.
L’annonce de la fausse couche : entre inquiétude et incompréhension
Vivre une fausse couche est un évènement bouleversant, et l’attente du diagnostic est particulièrement anxiogène. À leur arrivée à l’urgence, plusieurs participantes n’ont reçu aucune information quant au délai requis pour obtenir les résultats des tests. Bien souvent, ce long temps d’attente leur parait interminable.
« De temps en temps, je retournais voir l’infirmière du triage. Ce que j’ai trouvé vraiment dur, c’est qu’elle m’a dit : « Jusqu’à ce que vous remplissiez une serviette hygiénique par heure, je ne peux pas vous faire passer plus vite. » J’étais comme « Quoi ? Je dois saigner plus pour que vous m’aidiez ?! » […] » (Traduction libre des propos de Mary)
Entre les données incomplètes et le jargon médical, plusieurs déplorent que les professionnels de la santé ne répondent pas adéquatement à leurs questions, notamment quant aux causes de la fausse couche.
« Tu ne sais pas vraiment ce qui t’arrive, mais ils n’ont pas vraiment le temps de te répondre. L’infirmière te lance quelque chose comme « ton taux d’hormones est de [tant] ». C’est quoi ces hormones ? […] Je suis une femme intelligente et éduquée, mais je n’ai rien compris de ce qu’elle m’a dit ! » (Traduction libre des propos de Christine)
Pendant la fausse couche : un choix éclairé ?
Retourner à la maison et attendre, prendre un médicament pour faciliter l’évacuation du fœtus ou procéder à un curetage à l’hôpital : voilà les options de traitements qui s’offrent aux femmes une fois le diagnostic confirmé. Ici encore, elles doivent naviguer à l’aveuglette : le quart d’entre elles disent ne pas avoir reçu assez d’informations quant aux options offertes et n’ont donc pas été en mesure de faire un choix éclairé.
Résultat ? La moitié des femmes interrogées ne sont pas suffisamment préparées face à la douleur, à l’intensité des saignements ou au fait de devoir disposer du fœtus. C’est particulièrement le cas de celles qui choisissent de prendre la médication à la maison.
« L’infirmière m’a dit que j’allais beaucoup saigner, mais elle n’a jamais dit « Tu vas expulser un fœtus qui sera de la taille d’une lime, et il faudra en faire quelque chose, c’est toi qui décides. » Nous n’avons pas parlé de ça, mais c’était une part importante du processus, ce que je n’avais pas réalisé jusqu’à ce que ça arrive. […] » (Traduction libre des propos de Tina)
Le tiers d’entre elles auraient choisi une option différente (ex. : curetage à l’hôpital) ou demandé plus de soutien de la part de leurs proches si elles avaient su ce qui les attendait.
« J’étais recroquevillée en boule sur le sol de ma salle de bain. Ils ne m’ont pas dit que ça déclenchait les choses comme ça. Ils ne m’ont pas parlé de la douleur et de ce que je pouvais faire, de ce que je pouvais prendre. Si j’avais su que ça allait être comme ça, j’aurais probablement demandé à mon conjoint de rester avec moi. […] » (Traduction libre des propos de Cynthia)
Après la fausse couche : être laissée à soi-même
Près de la moitié des participantes n’avaient aucune idée des problématiques physiques qui pouvaient survenir après une fausse couche (ex. : saignements, changements hormonaux, modification du cycle menstruel, etc.). Pour trouver des réponses à leurs questions, la majorité s’est donc tournée… vers Internet.
Qu’en est-il des séquelles psychologiques ? De nouveau, une femme sur deux aurait apprécié savoir à quoi s’attendre sur ce plan (ex. : sentiment de deuil, dépression, etc.). Par exemple, les participantes mentionnent que le simple fait que l’infirmière leur dise qu’elles vivraient un deuil aurait mis du baume au cœur.
« Il a fallu beaucoup de temps avant que je puisse recommencer à fonctionner normalement. C’est sûr que si quelqu’un m’avait dit que c’était normal, que ça peut prendre du temps, ça m’aurait certainement aidée. » (Traduction libre des propos d’Emily)
La majorité des participantes déplorent aussi le mutisme du personnel soignant quant aux ressources disponibles suivant le drame.
« Je ne savais même pas qu’il y avait [des groupes de parents] dans le coin. Je n’aurais même pas su où les chercher. C’est le genre d’information qu’ils devraient te dire quand tu fais une fausse couche et que tu quittes l’hôpital… Personne ne m’a rien dit quand je suis partie. » (Traduction libre des propos de Linda)
Former pour mieux accompagner
Que ce soit pendant l’attente des résultats, lors de la fausse couche ou à la sortie de l’hôpital, le manque d’information et de soutien rend encore plus pénible cette expérience déjà difficile. Comme le soulignent les chercheuses, une partie de la solution passe par la formation des infirmières.
Pour pallier ces lacunes, Francine de Montigny, auteure de l’étude et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la santé psychosociale des familles, a mis en place une formation afin d’outiller les infirmières à mieux prendre en charge couples vivant une ou plusieurs fausses couches. Le projet, qui a reçu en 2017 le Prix de l’innovation clinique de l’Ordre des infirmiers et des infirmières du Québec, est maintenant offert aux quatre coins de la province.