« Le RQAP nous traite comme si j’avais ramassé mon conjoint sur le coin d’une rue pour en faire le parent de notre enfant afin de frauder le système et collecter des prestations d’assurance parentale. » Voilà un triste constat auquel sont confrontés plusieurs pères homosexuels qui ont recours à la gestation pour autrui. Toujours tabou et mal comprise, cette pratique de procréation assistée reste pourtant une des rares alternatives pour les pères homosexuels qui souhaitent concrétiser leur projet de famille. Mais entre les fonctionnaires qui jugent la pratique « illégale » et l’État civil qui leur met des bâtons dans les roues, c’est un véritable parcours du combattant pour les futurs papas.
Légale ou non, la gestation pour autrui? Oui, mais avec quelques nuances. Au Canada, il est bel et bien interdit de rémunérer une femme pour qu’elle agisse à titre de mères porteuses, sous peine d’une amende maximale de 500 000 $ et jusqu’à 10 ans de prison. Au Québec, tout contrat de procréation assistée est considéré « nulle de nullité absolue » : il n’a donc aucune valeur légale. Autrement, la pratique de gestation pour autrui est peut-être peu commune, mais elle n’est pas pour autant illégale. Les préjugés et les idées préconçues qui l’entourent laissent pourtant croire le contraire, et ce, même au sein de la fonction publique. Les fonctionnaires québécois qui jugent la pratique illégitime en viennent à mal interpréter la loi, ce qui complique les démarches pour les éventuels parents, en particulier pour les pères homosexuels.
Le travail conjoint entre Isabel Côté, professeure au département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais, et Jean-Sébastien Sauvé, doctorant en droit de l’Université de Montréal, permet de brosser un portrait de l’expérience de gestation pour autrui pour les pères homosexuels. Par le récit de 17 pères ayant suivi cette voie, et un examen rigoureux des lois, les spécialistes montrent que, décidément, rien n’est gagné pour ces parents qui doivent toujours lutter pour prouver la légitimité de leur démarche et de leur famille.
Direction de l’État civil : réticences et conseils mal avisés
« L’aspect légal, c’est ce qui m’empêche de dormir ces temps-ci », confie un père. Savoir s’ils seront vraiment les parents légaux de leur enfant est une des expériences des plus stressantes, et la Direction de l’État civil ne fait rien pour aider.
Plusieurs pères complètent leur projet de gestation pour autrui à l’extérieur du Québec, comme aux États-Unis ou dans une autre province canadienne où la pratique est mieux encadrée. De retour chez eux, les parents peuvent demander au Directeur de l’État civil d’insérer l’acte de naissance au registre comme s’il avait été fait au Québec. Mais le processus, en pratique, n’est pas aussi simple.
« Notre enfant est né en [PROVINCE CANADIENNE], nous avons fait une demande de reconnaissance d’un document d’état civil émis hors Québec et ça nous a été refusé. » – Un père
En effet, s’il a un doute sur la validité de l’acte de naissance hors Québec, le Directeur de l’État civil peut refuser d’insérer le document au registre. Pourquoi se méfier d’un document émis par une autre province canadienne, demandent les auteurs? Selon eux, c’est une preuve du malaise de l’État face à la gestation pour autrui. Les parents passent alors par les tribunaux pour faire valider le document, et même avec ce précieux sésame, certains doivent mettre de la pression au Directeur de l’État civil pour la reconnaissance de la paternité.
Ceux qui réalisent la gestation pour autrui au Québec ne sont pas non plus au bout de leur peine. Un des principes juridiques en vigueur est que « la mère est toujours certaine ». Autrement dit, la femme qui accouche est nécessairement la mère de l’enfant, point à la ligne. Quoi faire alors? Les pères se tournent vers l’adoption par consentement spécial : « la solution la moins insatisfaisante », selon un jugement de la Cour. La mère et le père biologique doivent donner leur consentement à ce que le père d’intention – le conjoint du père biologique – devienne le parent de l’enfant. Les parents passent ensuite devant la Cour du Québec pour rendre l’adoption effective.
Le comble de l’ironie? Les fonctionnaires du Directeur de l’État civil donnent parfois des conseils mal avisés qui s’apparentent à « jouer à la loterie ». Un exemple probant? Suggérer d’omettre volontairement le nom de la mère sur l’acte de naissance. Un juge a déjà traité cette stratégie « d’aberration [au] droit québécois ». Est-ce que cette tactique fonctionne? Parfois… Mais des juges ont aussi refusé des adoptions sous prétexte que la mère, absente de l’acte de naissance, ne pouvait donc pas consentir librement à l’adoption.
Tout ce branle-bas de combat est éreintant pour ces hommes. Après tout, c’est seulement un papier… non? Au contraire, les impacts sont bien réels sur les rentes de l’enfant en cas de décès, ou encore sur les prestations sociales, comme le congé parental du RQAP.
Des pères abandonnés par le RQAP
Les préjugés sur la gestation pour autrui ont la couenne dure, si bien que – devant des pères qui ont recours à cette technique – des fonctionnaires du RQAP se montrent inflexibles. Ils la croient illégale, et les familles en découlant, illégitimes. C’est bien simple : selon certains employés de l’État, celles-ci ne méritent pas les prestations parentales.
« Elle [l’agente du Régime québécois d’assurance parentale] me dit : « Vous savez, monsieur, que c’est illégal de faire appel avec une mère porteuse au Québec ». J’ai sauté ça de haut. « Ça fait 5 fois que vous me dites ça, allez chercher votre Code civil et lisez-moi l’article qui dit ça ». Elle me lit donc l’article. J’ai dit : « Est-ce que ça dit que c’est illégal ça? Non. » » – Un père
Le fameux article du Code civil stipule que les contrats de gestation pour autrui sont nuls, mais faire appel à cette pratique est – a priori – tout à fait légal…
Mais le malaise de l’État ne s’arrête pas là. Dans sa forme actuelle, le RQAP entretient une législation de type « deux poids, deux mesures ». Chez les couples lesbiens, la « conjointe de la mère » reçoit les prestations dites de paternité. Rien de tel pour les hommes : seul le père biologique peut recevoir les prestations de paternité.
Certains vont même jusqu’à pousser l’insulte à l’injure : des pères se sont vu forcer de réaliser un test d’ADN pour valider le lien biologique, et ce, même si leur nom figure sur le certificat de naissance.
« On m’a demandé de fournir un test d’ADN pour prouver que j’étais le père de mon enfant. Mais je suis son père! […] Nous, on a choisi de ne pas le savoir. Et là, le RQAP veut nous obliger! » – Un père
Demanderait-on une telle preuve au père d’un couple hétérosexuel? Poser la question, c’est y répondre… La seule « bonne façon » pour les pères gais de recevoir les prestations du RQAP serait donc par l’adoption, où chaque type de famille reçoit la même chose. Autrement, bonne chance!
Un besoin pressant de légitimité
On le voit : le flou juridique entourant la gestation pour autrui nuit considérablement aux pères homosexuels et à leur famille. À l’aube d’une réforme du droit de la famille qui est sur toutes les lèvres, la question se pose à savoir si cet épineux dossier sera de la partie. Les deux spécialistes suggèrent notamment de revoir l’adoption par consentement spécial, qui comporte plusieurs lacunes, afin de clarifier dès la naissance les questions de filiations entre enfants, parents adoptants et parents biologiques.