Prendre soin, éduquer et être responsable d’un enfant : rôle du parent, évidemment. Pourtant, le parent d’accueil assume aussi toutes ces tâches, mais sans être réellement parent. Voilà toute l’ambigüité de son rôle : un hybride entre parent et intervenant. Qui sont ces familles d’accueil régulières[1]? Des funambules animés par le don de soi, qui oscillent entre ces deux statuts, et entre un désir d’enfant et un désir d’accueil.
Ariane Boyer et Raphaële Noël, du département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, s’entretiennent avec les parents (cinq femmes et cinq hommes) de 10 familles d’accueil. Pour comprendre s’ils se considèrent comme des parents ou comme des professionnels, les chercheuses s’intéressent aux émotions et aux motivations liées à leur expérience. Leur constat : l’équilibre quotidien est difficile, car des qualités de parent et d’intervenant sont nécessaires pour assumer pleinement les responsabilités associées au rôle de parent d’accueil.
Volonté d’être parent, sans l’être légalement
Être parent, sans l’être : voilà le choix difficile que font les parents d’accueil. Ils se définissent comme des parents pour l’enfant et désirent occuper une place privilégiée auprès de lui, puisqu’ils répondent à ses besoins, et lui offrent soutien et réconfort. Paradoxalement, leur statut ne permet aucune reconnaissance parentale légale et implique de toujours considérer les parents d’origine. En effet, ils doivent accueillir et prendre soin d’un enfant, mais sans visée d’adoption, au plus jusqu’à la majorité, le tout entrecoupé de visites régulières chez les parents d’origine.
« On s’attache vraiment à l’enfant [quand il s’agit d’un enfant adopté]. Même si je dis que je les traite tous pareil, on s’attache à l’enfant vraiment comme un membre de la famille. Tandis que quand un enfant est placé en famille d’accueil, on s’attache beaucoup à cet enfant-là, mais on a toujours le « mais » qui vient nous dire qu’il va partir. »
Le désir des parents est double : s’investir pleinement dans la vie de l’enfant… et se préparer émotionnellement pour son départ éventuel. De fait, le caractère temporaire du placement limite et fragilise les possibles liens d’attachement. De plus, les parents d’accueil peuvent éprouver de la culpabilité envers les parents d’origine ou encore se sentir en compétition avec eux.
Parent d’accueil, une vocation
Le don de soi : voilà la qualité première des parents d’accueil. Les participants expriment être motivés par un élan naturel à donner, à aider et à prendre soin, pour offrir à ces enfants une deuxième chance et faire une différence dans leur vie. Ils sont également animés par la volonté de contribuer à la société toute entière.
La plupart sont d’ailleurs issus d’une famille nombreuse, dont la culture est souvent fondée sur l’entraide, la collectivité et l’union. Les parents ou grands-parents de certains familles d’accueil interrogées étaient eux-mêmes parents d’accueil. Leur investissement est donc guidé par des valeurs familiales, altruistes et presque humanitaires, selon l’interprétation des chercheuses.
« Cette enfant-là si tu lui parles du futur, c’est comme si elle était devant un précipice. Elle se dit « si ma famille n’est plus là, je vais aller où ? » Je pense que je suis la seule personne en qui elle a confiance dans la vie. »
Le don de soi est récompensé, car leur générosité s’avère très gratifiante. Les changements constatés chez les jeunes et la reconnaissance de la part des professionnels de la protection de la jeunesse les confortent dans leur choix.
« Quand on arrive en cour, le juge, la travailleuse sociale de l’enfant, la travailleuse sociale de la mère, même la mère étaient très sereins que sa fille soit chez nous. […] Puis le juge il dit : « c’est grâce à vous madame, vous avez pu mettre un équilibre pour cet enfant-là, pour qu’elle soit en paix ». »
Accueillir plutôt que désirer un enfant
Le désir d’accueillir un enfant et de faire sa part pour la société est donc bien plus important que le souhait d’être un parent. À cet égard, la plupart préfèrent accueillir plusieurs enfants, puisqu’ils veulent créer une famille nombreuse soudée au-delà du lien parent-enfant.
À l’inverse, les parents des familles d’accueil en Banque-mixte, qui accueillent des enfants dans le but de les adopter, sont davantage guidés par la motivation de faire de l’enfant accueilli, leur enfant. À leur avis, l’expérience de famille d’accueil régulière ne leur permet pas de réaliser leur projet parental de façon satisfaisante.
Un nouveau statut pour le parent d’accueil ?
La position de famille d’accueil régulière est complexe : l’identité de « parent » d’accueil implique une intimité et un don de soi importants, qui sont mis à l’épreuve par le caractère temporaire des placements ainsi que l’absence de reconnaissance d’un statut parental.
Le Québec connaît une pénurie de familles d’accueil régulières, comme le rapporte la Direction de la protection de la jeunesse depuis plusieurs années. Vieillesse, maladie, séparation, retraites des parents d’accueil : un renouvellement est nécessaire. Comment rejoindre et attirer des familles potentielles ? Une exploration du point de vue des familles qui hésitent à devenir famille d’accueil, qui ont arrêté de l’être, ou dont on a refusé la demande, permettrait d’offrir des réponses à ces questions.
[1] Il existe trois types de famille d’accueil au Québec : les familles d’accueil régulières, qui accueillent des jeunes temporairement ; les familles d’accueil en Banque-mixte, qui les accueillent dans l’optique de les adopter ; et les familles d’accueil de proximité, à qui sont confiées un enfant en raison des liens significatifs qui les unissent.