Lors de la rencontre de parents, Madame Trudel a du mal à comprendre les revendications des parents de Sofia, qui ont récemment immigré au Québec. Elle considère qu’ils ont des attentes démesurées à l’endroit de l’école et du personnel enseignant. Qu’est-ce qui explique ces exigences que partagent plusieurs parents immigrants? Une motivation principale les anime : la promesse d’un avenir meilleur pour leur enfant, garantie par une bonne éducation.
Josée Charette et Jean-Claude Kalubi, chercheuse et chercheur en sciences de l’éducation, veulent réduire les malentendus et les incompréhensions entre les parents immigrants et le personnel enseignant. Pour ce faire, les auteurs donnent la parole à des 25 parents d’élèves qui vivent au Québec depuis six mois à neuf ans. Leur objectif ? Mettre en lumière l’effet de leur parcours migratoire sur leur perception de l’école québécoise.
Un diplôme universitaire obtenu, c’est un projet migratoire réussi
Offrir un meilleur avenir à leurs enfants par l’éducation : voilà le sésame qui pousse la majorité des parents à migrer. Pourquoi? Pour les parents interrogés, c’est l’école qui détient la clé d’une l’insertion sociale et professionnelle sans accros! Comparativement au système d’éducation de leur pays d’origine, ils ont donc beaucoup d’attentes face à la mission du système québécois.
Pour un élève qui aime étudier, il peut aller loin ici. En Algérie, ma nièce, qui est un génie, elle sera formée aux études supérieures, mais elle ne pourra pas aller aussi loin. Là-bas, il n’y a pas de concordance entre le terrain et les études. Au Québec, la formation favorise l’intégration au marché du travail. (Mère d’origine algérienne, au Québec depuis six mois)
La pression est à l’image de l’avenir envisagé pour les enfants : grande ! Puisque la réussite scolaire des enfants est souvent la raison d’être de l’ensemble du projet migratoire familial, la réalisation d’études universitaires est prioritaire. Si certains parents en parlent ouvertement, d’autres le suggèrent plutôt en encourageant leurs enfants à choisir des professions qui exigent une formation de ce calibre.
J’ai dit : “Un jour, si tu n’arrivais pas à être ingénieur mécanique, un peintre, c’est bien, un chanteur aussi, tu vois.” Mais on les encourage toujours à continuer leurs études jusqu’à l’université. (Mère d’origine égyptienne, au Québec depuis sept mois)
Pourquoi est-ce si important d’atteindre un tel niveau d’études ? C’est le signe que partir en valait la peine. Dans certains cas, il s’agit aussi de perpétuer l’historique familial de diplomation universitaire.
Après tout, moi, ce que je me dis, c’est que si moi-même, j’ai une maîtrise, que leur papa a une maîtrise, que mon papa à moi a deux maîtrises, que ma mère en a une, que mon grand-père était médecin […] étudier, c’est une tradition familiale. » (Mère d’origine tunisienne, au Québec depuis cinq ans)
L’enjeu pour leur enfant : accéder à un emploi stable, bien rémunéré et valorisé. De par leur expérience, bon nombre de parents se sont heurtés à la déqualification professionnelle à leur arrivée au Québec. La conséquence principale ? Une position sociale inférieure à celle occupée dans leur pays d’origine. Une injustice qui les rend donc intraitables dans leurs attentes envers leur progéniture et l’école.
L’enseignement de l’anglais: le barème ultime
La capacité de l’école à enseigner l’anglais est primordiale pour les parents immigrants rencontrés. Qui dit connaissance de la langue de Shakespeare, dit insertion professionnelle réussie ! En effet, plusieurs milieux de travail québécois en exigent une maîtrise suffisante. Pour les populations immigrantes spécifiquement originaires du Maroc, de l’Algérie et d’Égypte, où le passé colonial est français, le défi est de taille ! Admises au Québec en raison de leur maîtrise du français, leur difficulté avec l’anglais les défavorise parfois, d’autant plus lorsqu’elles choisissent de s’établir dans les grandes villes, où même les emplois précaires exigent un bilinguisme fonctionnel.
Quand ils [l’agence d’immigration] te choisissent, ils voient tout. Ils voient nos diplômes, ils voient la quantité de français qu’on sait, ils voient, ils voient, ils voient… Ils ont pris des gens, la crème de la crème. […] Par contre, à Montréal, tu dois être bilingue. C’est fou, c’est partout ! Dans tout emploi, ils m’ont demandé si je savais l’anglais. (Père d’origine égyptienne, au Québec depuis sept mois)
Pour ces parents, une maîtrise impeccable de l’anglais facilitera l’insertion de leurs enfants sur le marché du travail québécois. Ils évaluent donc ce critère avec grande attention, pointant notamment du doigt le peu d’heures allouées à son enseignement ou la faible qualité du programme. Lorsqu’ils jugent l’enseignement insuffisant, certains n’y vont pas par quatre chemins : un déménagement pour changer d’école ou une inscription à des cours particuliers ou parascolaires.
J’ai demandé ça au début, mais l’adjoint de l’école, il m’a dit : « Ah, madame, on n’a pas ça, on a juste deux heures! » J’ai fait la rencontre avec l’enseignante de l’anglais cette année pour mes deux enfants. Elle m’a dit : « Écoute, madame, pour la première année, on enseigne des choses comme ça, c’est des bases, mais la deuxième année, ils vont avoir des devoirs. » Mais ce n’est pas beaucoup ! (Mère d’origine marocaine, au Québec depuis trois ans et demi)
L’école, lieu d’assimilation de la culture québécoise
S’il y a un problème dans l’immigration, ce n’est pas les enfants, c’est nous, les parents, parce que nous, on fonctionne avec deux systèmes. C’est comme deux logiciels dans un PC [ordinateur], mais deux logiciels qui sont en relation conflictuelle. (Père d’origine marocaine, au Québec depuis neuf ans)
Passer d’un pays à un autre et jumeler deux systèmes de valeurs, ça demande beaucoup d’adaptation! Surtout lorsque l’on est mal à l’aise avec les relations adultes-enfants qui, selon les parents rencontrés, sont moins hiérarchiques dans les écoles québécoises. Ajoutez à cela une représentation différente de l’unité familiale, des libertés et de l’autonomie qui doivent être accordées aux enfants : le défi prend de l’ampleur. Les parents interrogés ont peur que ces valeurs et pratiques en lien avec l’éducation des jeunes du Québec – qu’ils n’approuvent pas toujours et qui sont transmises à l’école – ne perturbent l’équilibre de leur famille. Une préoccupation loin d’être prise à la légère, d’autant qu’elle peut mener à remettre l’ensemble du projet migratoire en question.
C’est pour qu’ils reçoivent une bonne éducation, mais quand ils grandissent, on voit que leurs problèmes grandissent et qu’on n’est pas capables de régler ou bien de gérer ces problèmes-là, surtout quand ils deviennent adolescents. (Père d’origine marocaine, 9 ans, immigration économique)
L’intervenant communautaire scolaire interculturel, un nouvel acteur-clé ?
Le processus migratoire, leur expérience de déqualification et l’adaptation aux pratiques et valeurs de la province façonnent le regard qu’ont les parents récemment immigrés de l’école québécoise. D’où l’importance, pour le personnel enseignant, de connaître leur histoire, et de considérer l’importance de la famille et de l’avenir des enfants dans leur projet migratoire, concluent Charrette et Kalubi.
Depuis 2009, pour faire face aux défis rencontrés à l’école par les jeunes immigrants et leur famille, la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) développe le réseau des Intervenants Communautaire Scolaire Interculturels (ICSI) dans différentes villes d’accueil du Québec. L’ICSI, qui fait partie de l’équipe de l’organisme d’aide aux nouveaux arrivants local, favorise l’inclusion scolaire des jeunes récemment immigrés, leur intégration au sein du pays d’accueil et la création de liens entre ces derniers, leur famille, l’école et la communauté. Un métier encore récent, dont la mission et les fonctions gagnent à connues et développées !