« Il n’y a personne qui sait prendre soin de mon mari comme je sais en prendre soin. » Les propos de Marie, 87 ans, illustrent bien le sentiment de devoir que ressentent plusieurs personnes proches aidantes qui prennent soin de leur partenaire au quotidien. Si certaines se dévouent corps et âme dans ce rôle, d’autres sont plus réticentes à le faire. En fait, elles adoptent généralement une posture dite « assumée », « résignée » ou « subie ».
C’est ce que constatent Isabelle Van Pevenage, Chloé Dauphinais, Didier Dupont et Valérie Bourgeois-Guérin, chercheurs en gérontologie sociale et en psychologie. Leur but : interroger 27 personnes (20 femmes et 7 hommes[1]) âgées de 65 à 91 ans qui prennent soin d’un conjoint malade au quotidien afin de mieux comprendre les motifs derrière leur dévouement. Les conditions médicales auxquelles elles font face sont diverses : pertes cognitives, maladies chroniques, aphasies et cancer.
Amour et solidarité : la posture « assumée »
L’un des plus puissants moteurs d’engagement chez les personnes interrogées ? L’amour ! Volonté d’aider assumée et défendue, satisfaction et fierté face au devoir accompli : les personnes proches aidantes qui adoptent une posture assumée voient leur situation d’un œil positif. Si certaines feraient tout pour l’être cher (posture assumée inconditionnelle) d’autres se fixent tout de même des limites (posture conditionnelle), afin de se préserver. Les « inconditionnelles » évoquent l’histoire d’amour qui donne un sens à leur engagement.
« Moi, personnellement, c’est très contraignant, exigeant. Mais c’est correct. On a toujours pensé que celui qui serait en difficulté des deux serait celui qui serait aidé par le conjoint, on a toujours voulu une vie comme ça. On a toujours eu une vie extrêmement heureuse. »
— Réjean, 87 ans, marié depuis 63 ans.
Tout n’est pas rose pour autant : les « conditionnelles » redoutent l’avenir, à mesure qu’évoluera la maladie de leur conjoint. Soucieuses de préserver leur santé mentale et physique, elles désirent accompagner leur partenaire le plus longtemps possible… jusqu’à un certain point. Habituellement, les problèmes de comportement (ex. : agressivité, sénilité avancée) pèsent lourd dans la balance. Par exemple, Norah, dont le conjoint est atteint de la maladie d’Alzheimer, ne supporterait pas de ne plus être reconnue, de devoir le nourrir ou d’avoir à le surveiller en permanence.
« Pas sûre que je serai capable de vivre ça. Par contre, ça serait très égoïste parce qu’il ne faut pas qu’il soit malheureux… c’est ça qui est important… c’est cette balance-là que je trouve difficile. »
— Norah, 82 ans, mariée depuis 50 ans.
Pour le meilleur et pour le pire : la posture « résignée »
Accepter de traverser le pire, maintenant que le meilleur est chose du passé : voilà ce que ressentent certaines aidantes. Même si elles ne remettent pas en question leur rôle, les participantes qui adoptent une posture résignée expriment beaucoup de lassitude et de fatigue face à leur situation, sur laquelle elles ont l’impression de n’avoir aucun contrôle. Malgré la lourdeur des tâches quotidiennes, elles se sentent incapables d’abandonner leur conjoint.
« Je prie pour avoir d’autres choses. Mais qu’est-ce que vous voulez, ce n’est pas moi qui décide ! Je suis obligée d’accepter. C’est ça, j’accepte. J’essaie d’accepter ça au jour le jour. »
— Colette, 83 ans, mariée depuis 60 ans.
L’aide apportée n’est pas discutable, il n’empêche qu’elles prennent de plein fouet la fatigue physique et émotionnelle. Déménager leur conjoint en institution ? Hors de question ! Ce serait pour elles synonyme d’abandon, voire de trahison.
Ne pas avoir le choix : la posture « subie »
Qu’en est-il des proches aidantes qui n’agissent pas – ou plus – par amour ? C’est le cas de celles qui adoptent une posture subie et qui se sentent coincées dans leur rôle d’aidante. Soit elles dépendent financièrement de leur conjoint, soit elles ne peuvent se résoudre à quitter l’autre, parce qu’il est trop tard ou qu’elles « ne sont pas comme ça ».
« Parce que je suis comme ça. C’est ma nature de prendre soin des autres. »
— Joanne, 67 ans, en couple depuis une vingtaine d’années.
Certaines maladies, particulièrement longues et épuisantes, nécessitent une prise en charge de tous les instants. Tourmentées par la fatigue, l’amertume et parfois la colère, quelques participantes avouent qu’elles seraient soulagées si tout était terminé. C’est notamment le cas de Joanne, qui prend soin de son conjoint atteint d’un cancer de stade IV.
« Je suis usée. J’ai hâte qu’il parte. Je ne vis plus depuis trois ans et demi quasiment. Je suis fatiguée. »
— Joanne, 67 ans, en couple depuis une vingtaine d’années.
Proche aidante : un rôle qui perdure, des émotions qui évoluent
Les personnes proches aidantes interrogées, en couple depuis plusieurs décennies avec leur partenaire, évoquent l’amour et la fidélité pour expliquer leur engagement. Leur longue histoire commune les encourage à supporter, parfois sur une longue période, une situation particulièrement éprouvante. Au-delà des motivations conjugales, des motifs identitaires entrent en jeu : certaines craignent de perdre un peu d’elles-mêmes au décès de leur conjoint, avec qui elles ont partagé de si nombreuses années de leur vie. Qu’en est-il des hommes proches aidants ? Même s’ils sont peu nombreux dans la présente étude, ils représentent près de la moitié des aidants au Québec. Comme ils ont tendance à moins se manifester et demander de l’aide, il importe d’adapter les services offerts pour répondre à leurs besoins.
Par ailleurs, les postures que prennent les personnes proches aidantes ne sont pas figées dans le temps : l’évolution de la maladie, leur santé physique et psychologique et l’accès aux services les influencent grandement. Par exemple, l’accès à des services de soutien peut favoriser le passage d’une posture résignée à assumée. Pour faciliter leur rôle, L’Appui pour les proches aidants d’aînés a publié un répertoire des ressources à leur disposition et a mis en place la ligne Info-Aidants, un service téléphonique confidentiel et gratuit d’écoute, d’information et de référence à l’intention des personnes proches aidantes d’aînés.
[1]L’article est rédigé au féminin, puisque les trois–quarts des personnes interrogées sont des femmes.