Depuis 2002 au Québec, grâce à la Loi instituant l’union civile et les nouvelles règles de filiation, deux femmes peuvent s’unir devant la loi et être reconnues comme parents d’un même enfant. Celles qui décident de fonder une famille optent souvent pour des techniques de procréation médicalement assistée qui utilisent le sperme de donneurs anonymes. Mais certaines choisissent plutôt de faire appel à un homme qu’elles connaissent plus ou moins (ami, connaissance, homme recruté sur Internet) pour qu’il leur fasse don de son sperme. Dès lors, une tierce personne, avec laquelle elles peuvent être très liées, participe au projet parental, sans être reconnue légalement comme parent.
Cette recherche vise à comprendre comment les femmes lesbiennes qui ont recours aux services d’un donneur en dehors du réseau médical conçoivent leur identité et leur rôle de parent, ainsi que l’identité et le rôle du donneur auprès des enfants. La recherche se penche aussi sur la représentation que s’en fait le donneur lui-même. Au travers d’organismes desservant la communauté gaie et lesbienne du Québec, de médias sociaux et de forums de discussion, la chercheure a recruté 27 participants, soit 9 couples de mères et les 9 donneurs qui ont contribué à leur projet parental. Les enfants de ces couples étaient nés après 2002 et avaient été conçus par insémination « artisanale », c’est-à-dire sans rapport sexuel. Il y a insémination artisanale, par exemple, lorsqu’une femme s’injecte du sperme dans le vagin à l’aide d’une seringue.
L’importance du quotidien
Pour l’ensemble des participants, c’est le désir d’avoir un enfant et le fait d’en prendre soin qui définit le parent. Les liens sociaux l’emportent donc sur les liens biologiques. « Être parent, c’est de vivre le quotidien, être là pour accompagner l’enfant dans son cheminement vers l’âge adulte », dit une participante. C’est le parent qui se charge de nourrir l’enfant, de le conduire à l’école, de l’accompagner chez le médecin… Ces activités sont effectuées par les mères et non par les donneurs.
La reproduction du modèle nucléaire
Les mères calquent leur structure familiale sur le modèle nucléaire, qui s’articule autour du couple : elles se conçoivent comme les éléments du noyau familial et ne veulent pas partager l’exercice du rôle parental avec une troisième personne. Elles croient qu’un enfant ne devrait pas avoir plus de deux parents : si le donneur occupait un rôle parental, l’enfant risquerait d’être embrouillé ou divisé. « Nous formons le noyau familial. Le donneur, même s’il est présent dans la vie de l’enfant, ne fait pas partie du couple. Il ne fait donc pas partie de la famille », formule une participante. Malgré cela, certaines mères désirent voir le donneur s’engager d’une certaine manière dans leur vie familiale, parce qu’elles croient qu’une figure paternelle est favorable au développement de leurs enfants.
La symbolique du sang
Au Québec et dans le reste de l’Occident, la biologie revêt une symbolique particulière dans la reconnaissance des liens familiaux. Malgré la préséance du quotidien sur la biologie, cette symbolique semble avoir influencé les démarches de certains couples, qui ont demandé à leur donneur de les aider à concevoir plus d’un enfant afin que la relation unissant les enfants soit consolidée. « Je pense [que nos enfants] vont se sentir plus proches parce qu’ils ont le même donneur », exprime l’une d’elles. Par ailleurs, pour pouvoir contribuer toutes les deux au bagage génétique de leur enfant, deux femmes ont fait appel au frère de celle qui ne l’a pas porté. Un lien biologique a ainsi été créé entre l’enfant et ses deux mères. « Ma fille, physiquement, ressemble à un mélange de ma conjointe et moi, et on trouve ça le fun », raconte l’une des mères.
Donneur-géniteur, donneur-père
Les identités et les rôles des donneurs rencontrés se distribuent le long d’un spectre qui va de « géniteur » à « père ». Certains donneurs ne sont considérés qu’en tant que géniteurs : ils ont très peu ou pas du tout de contact avec les enfants et sont plutôt perçus comme des « relais » qui ont permis leur conception. En revanche, d’autres donneurs ont développé une forte identité paternelle : ils voient régulièrement les enfants et sont considérés comme des pères. Mais ils ne sont pas pour autant des « parents »; ils n’en ont ni les devoirs ni les responsabilités. Enfin, certains donneurs oscillent entre les deux extrémités du spectre et sont présents à différents degrés dans la vie des enfants.
Et les enfants dans tout ça?
La chercheure souligne que la très grande majorité des couples interrogés avaient des enfants d’âge préscolaire. Ces derniers n’avaient vraisemblablement pas les outils nécessaires pour réfléchir au rôle qu’ils souhaitaient voir leur géniteur tenir. En vieillissant, peut-être développeront-ils des idées qui différeront de celles de leurs mères. Il serait intéressant de mener une étude similaire auprès d’enfants plus âgés de couples lesbiens afin d’évaluer comment ils perçoivent l’identité et le rôle de leur géniteur et s’ils ont voix au chapitre.