À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Jean-Martin Deslauriers, « Une perspective écosystémique sur l’expérience de jeunes pères : du test de grossesse à la première bougie », publié en 2016 dans la revue INTERVENTION, no 144. p. 77-90

  • Faits saillants

  • La plupart des jeunes pères sont optimistes : même s’ils endossent subitement des responsabilités d’adulte, et ont des moyens limités, ils s’accomplissent dans leur nouveau rôle et sentent qu’ils améliorent le sort de leur famille.
  • Les jeunes pères développent leur confiance en eux quand ils se sentent en mesure de s’occuper adéquatement de leur enfant.
  • Une relation saine avec la mère est cruciale pour le bien-être de l’enfant selon les jeunes pères. À l’inverse, une rupture entraîne un grand détachement entre ces derniers et leur enfant

« Je ne savais pas quoi dire, j’étais bouche bée, confie Maurice, 17 ans. Après une semaine ou deux, ça se prend, tu l’assumes. » Passé le choc de l’annonce, les jeunes pères sont nombreux à se dire prêts à vivre cette nouvelle étape de leur vie. La paternité à peine sortie de l’adolescence, un billet aller simple vers l’échec? La réponse de ces jeunes hommes pourrait surprendre!


Le chercheur Jean-Martin Deslauriers, de l’Université d’Ottawa, a fait des pieds et des mains pour contacter de jeunes pères québécois, et comprendre leur réalité. Il s’est finalement tourné vers les organismes d’aide aux jeunes mères (moins de 20 ans) pour être mis en relation avec une trentaine de jeunes pères de 15 à 24 ans. Ces derniers partagent leur expérience dans deux entretiens : un juste avant la naissance de leur enfant, puis l’autre, à sa première bougie. Si leur jeunesse peut s’apparenter à un désavantage dans les premiers mois, la fierté et l’accomplissement qu’ils retirent de la paternité viennent adoucir le tout… à condition d’être toujours en relation avec la mère!

D’ado à adulte en deux temps, trois mouvements

Salaire minimum, horaire atypique, un 3e secondaire, au tournant de la vingtaine, peu impliqués dans la décision de garder l’enfant : à vue de nez, la situation des jeunes pères semble peu favorable à la paternité. Pourtant, ils sont nombreux à témoigner de l’optimisme face à cette nouvelle réalité. Sont-ils naïfs, inconscients? Loin de là, selon l’auteur. Ces jeunes hommes voient plutôt la paternité comme une occasion de se réaliser.

« Je m’impressionne des fois, c’est vrai en maudit, avant je n’avais pas de job, ça, ça a aidé ma confiance à cause que le fait que j’aie une job, je peux aller en appart, je peux faire vivre mon enfant, je peux vivre avec ma blonde, ma famille, ça a fait un gros morceau du casse-tête là… »

(Simon, 17 ans)

D’ailleurs, plusieurs racontent s’être pris en main et avoir redressé leur situation, du début de la grossesse au premier anniversaire de leur petit. Cinq se sont trouvé un emploi, et quatre retournent sur les bancs d’école. Si leur salaire mensuel moyen reste bas, il augmente néanmoins de près de 475$ par mois, pour atteindre une moyenne de 1660$. Une vingtaine cohabitent désormais avec leur compagne, alors qu’ils n’étaient que seize avant la naissance.

S’occuper de l’enfant : une double fierté

Les jeunes pères ne font pas exception : devant les premiers sourires, les yeux attentifs de leur enfant et les gazouillis, ils craquent! Mais cette fierté n’est pas réservée qu’à leur progéniture. Ils sont aussi fiers d’eux-mêmes, de la façon dont ils s’occupent de leur enfant et de la relation qu’ils développent avec lui. Cela contribue à augmenter leur confiance en eux, ce qui n’est pas toujours évident au sortir de l’adolescence.

« Il te reconnait, c’est le fun. Il commence à avoir une interaction, il y a un lien qui est en train de se former. Si tu le passes à quelqu’un d’autre, il va continuer à pleurer, mais moi je le prends, si tu le colles sur toi, il te reconnait. »

(Paul, 20 ans)

Plusieurs ne s’attendaient pas à ressentir des émotions aussi fortes. Voir leur petit évoluer les encourage et leur donne l’impression de se recentrer sur la vie, loin du travail et du train-train quotidien.

« Tu peux pas être plus proche de quelqu’un que ça. Je me sens comme si j’avais été père toute ma vie, j’me vois plus sans elle [sa fille], c’est elle qui compte. »

(Charles, 20 ans)

Blonde et chum, maman et papa : trouver l’équilibre

Ce n’est un secret pour personne : les premiers mois sont synonymes de montagnes russes pour bon nombre de nouveaux parents! Les jeunes pères n’y échappent pas, mais sont en plus confrontés à la candeur de leur jeunesse. Ils s’efforcent de soigner la relation avec la mère, mais leur jeune âge peut leur jouer des tours. Par exemple, certains nouveaux parents veulent garder un mode de vie de « jeune », tandis que d’autres veulent plutôt se ranger.

« Elle sortait vraiment comme une fois par semaine puis on dirait que ça me fatiguait. Elle sortait puis moi, je m’étais arrangé pour avoir une vie tranquille. »

(Jules, 19 ans)

D’autres expériences font état des horaires atypiques et des longues heures de travail qui épuisent et rendent le retour à la maison plus difficile. Les doutes persistent aussi sur la relation avec la mère : ont-ils trouvé « la bonne »?

« Ça va tout le temps me tracasser un p’tit peu parce que je n’ai pas nécessairement l’impression que ma blonde c’est la femme de ma vie, t’sais? J’ai toujours ce doute-là quand même qui persiste. Je me demande si je vais le regretter. »

(Jules, 19 ans)

Une occasion de grandir

Devenir père à un jeune âge comporte son lot de défis : en plus des apprentissages inhérents à tous les nouveaux papas. Ceux qui font aussi leur entrée officielle dans l’âge adulte doivent souvent composer avec une situation financière précaire, une scolarité de base et des responsabilités bien différentes de celles de leurs amis. Mais la confiance et le sentiment de se réaliser adoucissent les difficultés, les attachent à leur enfant et brisent les clichés du jeune irresponsable. En dépit de cette volonté, identifier les jeunes pères du Québec est compliqué. Les programmes d’aide pour les familles vulnérables repèrent les parents en fonction de l’âge et du niveau d’éducation de la mère, non du père. Pas moyen de trouver les jeunes pères s’ils ne sont pas rattachés à une jeune mère donc. Comment alors les soutenir de manière adéquate? Le Regroupement pour la valorisation de la paternité propose plusieurs outils pour aider les organisations à mieux prendre en considération la réalité paternelle dans leurs interventions. Les services aux parents vulnérables pourraient s’en inspirer pour cibler de façon plus précise les enjeux liés à la paternité en jeune âge.