Le père présent et impliqué : si la société valorise cette idée, elle ne se concrétise pas nécessairement en services dans les couloirs de la périnatalité. Les futurs pères sont aussi à la recherche d’apprentissages et d’engagements concrets, mais se retrouvent souvent devant… rien. Résultat : certains pères en viennent à croire que cela n’est pas de leur ressort, et « se limitent » à être un soutien pour leur conjointe. De quelle façon les accompagner lorsque toute l’attention est portée à la mère et au bébé à venir? Un espace dédié aux pères pourrait-il exister?
Une équipe de chercheurs des Universités du Québec en Outaouais et à Trois-Rivières se penchent sur l’expérience des futurs pères dans les services de périnatalité. En plus de consulter des documents comme les notes prises dans une consultation par le personnel soignant et les descriptions officielles de programmes en périnatalité, ils rencontrent 17 couples qui se confient sur leur expérience avant la naissance. Si la réalité des pères varie grandement, les écrits consultés démontrent clairement le peu de place qui leur est accordé dans le processus périnatal.
Tout ou rien!
D’une reconnaissance complète à une exclusion douloureuse : chaque père ne vit pas la grossesse de sa partenaire de la même façon. Ceux qui se sentent bienvenus apprécient surtout l’attitude des soignants, qui se veulent accueillants pour les deux futurs parents. Ils aiment particulièrement recevoir des informations spécifiques sur leur rôle, et des conseils pour se sentir utiles au bien-être de leur conjointe et de leur petit.
Cela dit, tous n’ont pas accès à la même considération. Les expériences négatives en contexte périnatal varient en intensité, mais sont tout de même chose courante chez les pères. Certains se sentent carrément invisibles face aux soignants.
« Le père, il ne le regarde même pas… Si tu ne poses pas de questions, ils ne te parleront pas du tout. »
(Richard, un père participant
D’autres pères vivent des expériences plus nuancées. Ils se considèrent comme des observateurs, des témoins des soins reçus par leur conjointe, sans vraiment s’engager durant cette période. Bien souvent, même s’ils se sentent bien reçus pendant les rendez-vous, ils ne disposent pas d’un moment propice pour faire état de leurs propres craintes et préoccupations.
« Les soignants n’étaient pas là pour jouer le rôle d’un psychologue. Ils étaient vraiment là pour la mère. Ils ne m’ont pas demandé comment j’allais, comment je vivais la situation. »
(Nick, un père participant)
Selon les chercheurs, ces impressions sont bel et bien fondées : les notes de consultation du personnel soignant comportent deux fois plus d’observations sur les mères que sur les pères, et quatre fois plus de retranscription d’actes sur les mères. Pourquoi intervenir si peu auprès des pères, alors qu’eux aussi vivent des problématiques réelles, comme des préoccupations face à leur rôle de père et, pour certains, un engagement difficile dans la vie familiale.
Les bottines suivent les babines
Les services de périnatalité, un espace pour toute la famille, n’est-ce pas? Aux dires des pères, pas vraiment. Malgré l’accent mis sur leur participation durant cette période charnière, ils doivent souvent se tenir au second plan. Les libellés officiels des cours de périnatalité renforcent leur perception, puisque le père est dépeint comme… « un membre significatif » du réseau de la mère!
« Les cours sont pour les mères. Ils ne sont pas destinés aux pères. Ils sont bienvenus, mais… ils ne s’adressent pas à eux. C’est vraiment pour les mères et les bébés. »
(Sam, un père participant)
Le manque de services dédiés aux pères contraste durement avec leur motivation. Le système hospitalier n’est toujours pas adapté à ce changement de mœurs, déplorent-ils. Un père se questionne par exemple sur le manque d’options pour dormir avec sa famille après l’accouchement. Un autre constate qu’on y propose un repas pour la mère seulement.
Selon les chercheurs, les documents officiels auxquels se réfère le personnel soignant concernent si peu les pères qu’ils risquent de générer un environnement hostile. Plus préoccupant encore : ce manque de considération risque réellement de désengager le père face à son rôle, poursuivent-ils.
Une colonne à la base fragile?
« Une colonne », « un mur » sur lequel se reposer : c’est ainsi que les pères, appuyés par leur partenaire, décrivent souvent leur rôle. Mais qui les soutient, eux? Pour l’instant, personne, déplorent les chercheurs. La situation est si désolante que les pères eux-mêmes négligent leurs besoins qu’ils considèrent peu légitimes comparés à ceux de leur conjointe.
D’ailleurs, ils trouvent difficile d’exprimer concrètement leurs besoins et inquiétudes. Rien de spécifique ne leur vient à l’esprit. Pour les chercheurs, c’est le signe qu’à force d’être relégués au second plan, les pères finissent par se contenter de ce rôle de soutien.
Les mères reconnaissent qu’elles ne sont pas les mieux placées durant cette période pour prendre soin des préoccupations de leur conjoint. Elles en ont bien assez dans leur assiette!
Comment aider les couples alors? Les chercheurs suggèrent par exemple que le personnel soignant convoque les deux membres du couple au rendez-vous, pas seulement la mère qui doit alors en faire part à son conjoint. Cette invitation toute simple donnerait un sentiment de bien-fondé aux pères tout en enlevant la responsabilité des seules épaules de la mère.
La garantie d’un espace, pour eux
Même si les pères s’expriment difficilement, les chercheurs croient quand même avoir trouvé ce qui peut les aider : un espace bien à eux, dans lequel ils doivent se sentir accueillis et reconnus pour leur engagement, mais aussi dans lequel ils doivent aussi être suffisamment à l’aise pour s’exprimer, et faire part de leurs craintes, de leurs attentes face à la paternité. Comment aménager un tel espace dans les soins périnataux? Une des pistes possibles pourrait être de sensibiliser le personnel hospitalier à la réalité des futurs papas. C’est d’ailleurs ce que vise l’Initiative Amis des pères au sein des familles, chapeautée par deux des chercheuses de cette étude. Ce projet cherche à informer et développer des outils de formation destinés aux intervenants, et ainsi laisser une juste place aux pères auprès de leur famille. Cependant, depuis 2018, le programme ne bénéficie plus de financement et a considérablement réduit son activité